Intervention de Jean-Pierre Dufau

Séance en hémicycle du 19 juin 2014 à 9h30
Politique de développement et solidarité internationale — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme de nos débats sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

En première lecture, nous avions eu des discussions nourries, tant en commission des affaires étrangères qu’en séance publique, et nous avions considérablement modifié le texte initial du Gouvernement. Je ne mentionnerai ici que l’unanimité qui s’était dégagée sur le fait qu’il n’était pas acceptable que ce projet de loi d’orientation et de programmation ne prévoie aucune disposition relative à la programmation des moyens.

Notre assemblée avait tenu à faire apparaître la référence aux engagements internationaux de notre pays en faveur de l’objectif de consacrer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement. Elle avait précisé la responsabilité sociale des entreprises. Elle avait évoqué les enjeux de l’économie sociale et solidaire, le micro-crédit et les autres formes d’intervention. Elle avait aussi renforcé l’information du Parlement en matière de politique de développement en prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement un rapport « sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement et sur l’équilibre entre les prêts et les dons » – questions auxquelles nous sommes tout particulièrement attachés –, et en veillant à la transparence de l’action de cette agence.

Nos collègues sénateurs ont fait de même de leur côté ; j’y reviendrai dans un instant de façon détaillée. Ainsi, le texte se trouve considérablement enrichi grâce au travail parlementaire.

Je me réjouis que la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 juin au Sénat sous la présidence de Jean-Louis Carrère, ait réussi, sans grande difficulté, à trouver un accord sur les points qui restaient à harmoniser.

Lors de la CMP, nous n’avons pas souhaité revenir sur l’ensemble des modifications formelles, de structure, de rédaction ou de terminologie que le Sénat a cru devoir introduire pour donner plus de cohérence au texte. Vous aurez peut-être constaté, en examinant le tableau comparatif, que ces modifications sont nombreuses, à tel point qu’une lecture un peu rapide pourrait donner l’impression que certains des éléments que nous avions tenu à introduire, et que nous avions parfois conquis de haute lutte en séance publique, avaient été supprimés. Je peux vous assurer qu’il n’en est rien.

L’exemple le plus manifeste concerne l’amendement relatif au rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement, que j’ai mentionné à l’instant et qui résultait d’un compromis trouvé en séance avec le ministre Pascal Canfin. Cette disposition avait été insérée à l’article 4 du texte adopté par l’Assemblée nationale, mais le Sénat l’a déplacée à l’article 10, qui contient désormais l’ensemble des dispositions relatives à l’évaluation, tandis que l’alinéa 141 du rapport annexé apporte des précisions utiles. Nous pourrions faire des commentaires semblables sur d’autres dispositions qui, de la même manière, ont été déplacées par le Sénat. Le principal est de s’y retrouver.

Au-delà de ces changements formels, qui donnent sans doute plus de cohérence à l’ensemble du projet, nos collègues du Sénat ont également renforcé le texte sur d’autres points. Convenons que ces modifications sont bienvenues. Dans plusieurs cas, d’ailleurs, il s’agissait de sujets déjà évoqués à l’Assemblée, mais qu’il était prématuré que nous tranchions car le Gouvernement attendait alors les résultats d’évaluations ou d’expertises qui n’étaient pas encore achevées. D’un commun accord avec le ministre, il avait été décidé que ces questions seraient traitées par le Sénat, et que l’Assemblée nationale aurait la possibilité de se prononcer à nouveau sur ces points. Je pense à la réforme de notre dispositif d’expertise internationale et, pour ce qui concerne l’action des collectivités territoriales, à l’extension du dispositif de la loi Oudin-Santini à la gestion des déchets.

S’agissant de l’expertise internationale, un amendement avait été retiré en attendant les travaux du Sénat. L’éparpillement et la faiblesse du dispositif français étaient dénoncés depuis longtemps. Les agences françaises, trop nombreuses, ont des statuts juridiques et des moyens fort différents ; elles sont très fragmentées et ont des modalités d’action diverses, alors même qu’elles interviennent sur des secteurs qui peuvent se recouper. Cet éparpillement nuit à leur capacité d’être présentes et réellement compétitives dans les appels d’offres internationaux. Le regroupement de ces agences était donc à l’étude.

Cette question apparaît cruciale lorsqu’on examine les moyens de la GIZ, opérateur unique en Allemagne, qui pèse près de 1,7 milliard d’euros, ou lorsqu’on observe que le DFID britannique dispose d’une société privée agissant comme opérateur d’expertise dont le chiffre d’affaires dépasse les 115 millions de livres sterling. Face à ces poids lourds de l’expertise internationale, que peuvent faire des opérateurs dont le chiffre d’affaires plafonne à 1, 1,5 ou 2 millions d’euros, comme c’est le cas pour certaines agences françaises ?

L’avenir de nos agences passe donc évidemment par la fusion. C’est la raison pour laquelle le Président de la République avait souhaité, en clôturant les Assises du développement et de la solidarité internationale, que notre dispositif soit réformé. Le chantier avait été engagé quelques semaines plus tard, et le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique a rendu ses conclusions en avril dernier. Récemment, un arbitrage a été rendu lors d’une réunion interministérielle, qui a opté pour une solution ambitieuse ; le texte adopté par le Sénat va même un peu plus loin. Selon les informations qui m’ont été communiquées, non seulement le Gouvernement se satisfait des axes tracés par le Parlement, mais il travaille déjà à la mise en oeuvre de la réforme pour respecter les délais assez contraints prévus par le texte.

Concrètement, il est prévu qu’une agence française d’expertise technique internationale soit créée, sous la forme d’un établissement public industriel et commercial placé sous la double tutelle des ministres des affaires étrangères et de l’économie. Un délégué interministériel à la coopération technique internationale devra la mettre en place au 1er janvier prochain, en fusionnant les six principales agences, dont France Expertise internationale, l’ADETEF et le GIP ESTHER. Les autres opérateurs ont vocation à rejoindre le dispositif au plus tard le 1er janvier 2016. Une attention particulière doit être portée aux opérateurs intervenant dans le domaine sanitaire et médical, dont la gestion est parfois paritaire : ils doivent donc être traités spécifiquement.

S’agissant des collectivités territoriales, la loi de 1992 les a autorisées à financer des actions de coopération décentralisée sur leur budget général. En 2005, la loi dite « Oudin-Santini » a modifié le code général des collectivités territoriales au profit des communes, des établissements publics de coopération intercommunale et des syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d’eau potable et d’assainissement, en leur permettant de mobiliser jusqu’à 1 % des ressources affectées à leur budget. L’amendement adopté par le Sénat et confirmé par la commission mixte paritaire étend cette possibilité aux déchets. Cette extension, que nous avions déjà évoquée, était unanimement souhaitée, car la gestion des déchets et ordures est un problème crucial dans les pays en développement. Le Gouvernement n’attendait que les résultats d’études d’impact, qui n’ont été connus qu’en mars dernier : dont acte.

Lors de la discussion au Sénat, le Gouvernement a également présenté des amendements qui ont été adoptés. Les dispositions correspondantes figurent aujourd’hui aux articles 5 quater et 5 quinquies du projet de loi.

L’article 5 quater autorise l’AFD à gérer des fonds de dotation multi-bailleurs ou à déléguer, en cas de besoin, la gestion de ses propres crédits à ce type de fonds, qui se révèlent être des outils essentiels pour mieux coordonner l’aide multilatérale. Ce dispositif vise à confier à une structure de gouvernance ad hoc les fonds que les bailleurs se sont engagé à apporter pour atteindre un certain nombre d’objectifs sectoriels ou géographiques. Il permet de renforcer l’efficacité de l’aide grâce à des procédures communes de programmation et de gestion, de réduire les coûts, d’assurer des échanges d’informations, une meilleure transparence et une coordination systématique entre les opérateurs. Ce dispositif s’avère particulièrement pertinent dans les pays en crise, pour lesquels des interventions multilatérales complexes et coûteuses sont nécessaires.

L’article 5 quinquies, que le Gouvernement a également proposé d’insérer dans le texte adopté par l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi au Sénat, vise à renforcer le potentiel de solidarité et d’investissement des migrants, dont les transferts représentent théoriquement le double de l’APD au niveau mondial. Pour ce faire, un chapitre VIII vient désormais compléter le titre Ier du livre III du code monétaire et financier. Il donne aux établissements de crédit ayant leur siège social dans un État figurant sur la liste de l’OCDE des pays bénéficiaires de l’APD la possibilité d’offrir, sous des conditions prudentielles strictes, des opérations de banque à leurs clients. Cette initiative rappelle les anciens dispositifs de co-développement ; j’espère qu’elle aura davantage de succès.

Sur toutes ces questions, il faut souligner qu’un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat a été trouvé en CMP, sans aucun problème.

En revanche, un sujet a fait l’objet d’une longue discussion : celui de l’évaluation de la politique d’aide au développement. Le Sénat avait tout d’abord renforcé le texte voté par l’Assemblée nationale en posant, à l’article 4 du projet de loi, le principe d’une évaluation continue et indépendante. Pour garantir cette indépendance, il avait prévu, dans le rapport annexé, la fusion des trois unités d’évaluation relevant actuellement des ministères des affaires étrangères, des finances et de l’AFD, lesquelles auraient été rattachées au Premier ministre.

Nous sommes aisément tombés d’accord, en CMP, sur l’importance de renforcer les mécanismes d’évaluation, même si je me permets de rappeler que, lors de la dernière revue de la politique française en 2013, le comité d’aide au développement de l’OCDE avait souligné leur qualité. Après un long débat, la CMP a finalement adopté un mécanisme intermédiaire partagé, dans un objectif de mutualisation, de rationalisation des moyens et d’impartialité des évaluations. Un observatoire regroupera désormais ces services d’évaluation et définira un programme de travail. Émanation du Conseil national du développement et de la solidarité internationale, confirmé par la loi, l’observatoire sera composé de manière à souligner le poids renforcé du Parlement dans ce processus de contrôle, puisque quatre de ses onze membres seront des parlementaires ; la présidence de l’observatoire sera assurée alternativement par un représentant de l’Assemblée nationale et un représentant du Sénat.

Si la plupart des modifications que j’ai présentées portent sur les articles du projet de loi et ont été introduites lors de la lecture du texte au Sénat, cette dernière modification est la plus importante de celles touchant le rapport annexé qui, par comparaison, a été relativement peu modifié. Ce dispositif figure à l’alinéa 136 du rapport annexé, et il appartiendra au Gouvernement de le mettre en oeuvre.

Quoi qu’il en soit, au terme de ce processus législatif, le présent projet de loi se trouve considérablement renforcé par rapport au texte initial qui nous a été soumis. Ces changements traduisent l’importance du travail parlementaire, la bonne coordination avec le Gouvernement et, surtout, le consensus que nous partageons tous aujourd’hui sur la nécessité d’une meilleure transparence et d’une meilleure information, impartiale, sur cette politique publique complexe et longtemps demeurée opaque. Je formule le voeu que le vote que nous allons exprimer tout à l’heure soit franc et massif, afin de confirmer ce consensus sur tous les bancs de l’hémicycle.

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