Intervention de Jean-Marie Tetart

Séance en hémicycle du 19 juin 2014 à 9h30
Politique de développement et solidarité internationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Tetart :

Madame la secrétaire d’État, le Président de la République et votre prédécesseur, Pascal Canfin, avaient souhaité inviter tous les acteurs qui concourent à la politique d’aide au développement et de solidarité internationale à des assises nationales du développement. Cette annonce avait provoqué à la fois scepticisme et espoir : scepticisme, avec la crainte que ces assises ne soient qu’un machin de plus ; espoir, celui qu’elles débouchent sur un diagnostic équilibré de l’état des lieux, des forces et faiblesses de notre pays, de ses priorités, des moyens consacrés et des modes opératoires, afin de formuler des propositions propres à recentrer les priorités, donner une meilleure efficacité et assurer une meilleure lisibilité.

Pour avoir participé avec assiduité aux travaux de ces assises, je veux dire ici que l’esprit de concertation y a prévalu et saluer l’excellence du travail réalisé par les services concernés.

L’annonce que le résultat de ces travaux donnerait lieu à l’élaboration d’un projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale avait aussi été accueillie avec satisfaction. Il était en effet nécessaire de revoir la politique d’aide au développement de notre pays et de fixer ses nouvelles lignes directrices. Il était même primordial de le faire à la veille d’échéances telles que les discussions du programme de développement pour l’après-2015.

Bien des évolutions l’exigeaient : la multiplication des pays émergents et des rapports qu’ils entretiennent avec les pays les plus pauvres ; la consolidation des politiques liées aux objectifs du millénaire ; les nouveaux défis que posent le réchauffement de la terre, la lutte contre l’extrême pauvreté et la malnutrition, les grandes pandémies pour ne citer que ceux-là ; l’évolution politique de nombre de pays en quête de démocratie ; la nécessité d’inscrire tous les champs de la coopération, y compris économique, dans une démarche d’éthique sociale et environnementale ; la consolidation du rôle de nouveaux acteurs de coopération dans notre pays, au premier rang desquels les collectivités locales.

Tous ces facteurs conduisent en effet à redéfinir et à faire connaître les nouvelles priorités d’intervention de notre pays, du point de vue des pays bénéficiaires comme des thématiques prioritaires, de l’articulation entre le bilatéral et le multilatéral, des modes opératoires et, enfin, de l’articulation entre les différents opérateurs.

Le principe du réalisme imposait aussi cette inflexion : dans un contexte de crise économique persistant et d’obligation de maîtrise de la dépense publique, il convenait de rechercher la meilleure affectation des moyens, qu’ils soient humains ou financiers.

La version du projet de loi que nous avions examinée dans cet hémicycle nous avait laissés sur notre faim : si certains amendements avaient pu en changer quelques points, elle restait, au sortir de cette lecture, bavarde, confuse et idéologique. Surtout, elle ne proposait pas de mesures permettant d’adapter les modes opératoires de notre coopération aux nouvelles priorités, à la recherche d’efficacité et à la prise en compte de nouveaux acteurs.

Dans ce contexte, je ne peux que me réjouir de l’amélioration ou plutôt de la transformation que les sénateurs ont apportée à ce texte. Ils n’ont pas pu le rendre moins bavard, c’est sa marque de fabrique, ils n’ont pas pu le rendre moins idéologique, c’est aussi sa marque de fabrique, mais ils ont atténué ces aspects en lui donnant une nouvelle architecture, qui lui confère une portée plus directive et plus opérationnelle. Ils ont aussi adopté des dispositions que notre assemblée n’avait pu accepter comme l’extension des principes de la loi Oudin aux déchets, le renforcement de la reconnaissance de l’action extérieure des collectivités locales, en l’élargissant et en la sécurisant. Ils ont surtout adopté des dispositions que notre assemblée n’avait même pas abordées comme le regroupement de l’expertise internationale française en un organisme unique, l’indépendance de l’évaluation des politiques d’aide au développement, la facilitation des transferts de fonds affectés par les migrants au développement de leurs pays d’origine.

Ces vraies avancées, que nous attendions, permettent aujourd’hui à mon groupe de donner son appui à ce texte, qu’elles ont structuré et renforcé dans sa portée opérationnelle.

Toutefois, la dimension de programmation n’est pas allée au-delà du titre de la loi qui va être adoptée aujourd’hui. Aucune volonté budgétaire autre que de principe n’est réellement affirmée. Je ne peux donc que regretter, madame la secrétaire d’État, comme nombre de mes collègues, que le Gouvernement ne veuille pas s’engager à atteindre le plus rapidement possible – et non pas en fonction des évolutions de la situation économique de notre pays – l’objectif des Nations unies consistant à consacrer 0,7 % du RNB à l’aide au développement. Plus d’aide au développement maintenant, c’est moins d’aide au développement demain, c’est moins de souffrances, moins d’atteintes à l’environnement, plus de démocratie, plus de paix rapidement.

Certes, les financements nouveaux et innovants sont encouragés. À cet égard, je salue l’affectation exclusive de la taxe sur les billets d’avion à la lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida : ce choix permet à la France d’être au premier rang dans la lutte contre ces grandes pandémies. Je ne peux cependant que dénoncer, madame la secrétaire d’État, le fait qu’une partie de la taxe sur les transactions bancaires soit affectée au simple équilibre du budget de votre ministère. En effet, ces nouvelles recettes pourraient être efficacement dédiées aux grandes causes, telles la couverture sociale universelle en matière de santé, pour ne parler que de cela.

Votre projet de loi affiche deux priorités transversales, définit dix secteurs prioritaires d’intervention, propose des partenariats géographiques différenciés. Nous les partageons !

L’appui au développement territorial est l’un des secteurs prioritaires. À titre personnel, je regrette qu’il ne soit pas donné assez d’importance à la nécessaire émergence d’autorités locales efficaces, associant les populations à leur gestion et au financement des services offerts. Cette émergence est reconnue par la communauté internationale comme le facteur principal de réussite des politiques de développement, particulièrement dans certains domaines d’intervention sectoriels comme la santé, l’agriculture, l’éducation et l’information, l’environnement et l’énergie ou l’accès aux services de base.

D’un côté, la France revendique et assume le fait d’être pilote pour la mise en oeuvre des lignes directrices internationales pour la décentralisation et l’accès aux services de base. De l’autre, on semble reléguer le renforcement de la décentralisation et la mise en capacité des collectivités locales des pays en développement au rang d’un outil parmi d’autres. Cela devrait pourtant être au centre des dynamiques de développement et de démocratie à un moment où le processus de décentralisation paraît être en panne dans certains pays partenaires.

L’implication de la société civile par ses réseaux d’ONG est aussi au coeur de votre projet et joue déjà un rôle déterminant. Il conviendrait cependant de s’assurer que cela ne conduira pas à un éparpillement de l’aide au développement. Il faudra aussi veiller à ce que l’ensemble de ces ONG ne deviennent pas progressivement, à l’instar de certaines d’entre elles, de simples groupes de pression ou des bureaux d’études ordinaires.

Enfin, l’implication des populations immigrées résidant dans notre pays dans l’aide au développement est primordiale en raison de l’importance de l’épargne qu’elles consacrent à leurs proches, à leurs villages mais aussi, de plus en plus, aux cofinancements des projets de développement portés par les collectivités locales de leur pays d’origine. Le projet de loi le reconnaît et propose de faciliter les transferts financiers consacrés aux investissements dans leur pays d’origine. Mais ces migrants sont aussi de plus en plus capables d’apporter une expertise pertinente dans les projets d’aide au développement, au niveau de l’État comme des collectivités locales. Cela nécessite que leur mobilité et leur implication soient facilitées.

Madame la secrétaire d’État, je regrette enfin que la coopération dans le domaine économique ne soit pas réellement prise en compte et que le lien entre coopération, aide au développement, appui à nos entreprises et à notre exportation ne soit pas mieux soutenu alors qu’il est bien évidemment au coeur des démarches des pays anglo-saxons mais aussi, ne nous y trompons pas, des pays émergents de la Chine au Brésil.

Ce texte donne légitimement à nos entreprises plus de contraintes en matière de responsabilité sociale et environnementale mais n’en fait pas pour autant les acteurs privilégiés de la mise en oeuvre des équipements et infrastructures que permet l’implication de notre pays dans la solidarité et l’aide au développement. Cette question mérite sans doute de nouvelles assises !

En attendant, madame la secrétaire d’État, je vous redis notre appui à ce projet de loi.

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