Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où la crise économique et financière menace en divers points du globe les acquis d’années d’efforts et de solidarité en direction des pays les moins développés, l’aide publique au développement demeure une composante importante de notre politique étrangère. Elle est toutefois d’abord et avant tout, une obligation morale, une véritable exigence éthique pour une puissance économique comme la nôtre, soucieuse de développement, de stabilité et de paix.
Si le monde a connu ces dernières années, ainsi que l’a souligné le rapport annuel de l’ONU sur les objectifs du millénaire pour le développement, de profondes évolutions et des progrès indéniables en termes de développement, reconnaissons que ces progrès n’en sont pas moins inégaux et disparates selon les régions du monde, les pays et les groupes de population. En affirmant cela, il nous faut admettre que le monde est soumis au changement, un changement à grande vitesse, c’est une évidence, à la mesure d’ailleurs des besoins et des attentes des pays partenaires de la France.
De nombreux objectifs du millénaire pour le développement pourront être atteints à l’échéance de 2015. Certains pays, notamment les très grands pays émergents, bousculent les équilibres, plus particulièrement depuis les années quatre-vingt-dix. En dépit de ces bouleversements, de profondes inégalités et fragilités persistent. Si la pauvreté a reculé dans certaines régions de la planète, elle n’a pas disparu pour autant, tant s’en faut, puisque le nombre de personnes pauvres est, lui, plus important.
L’Afrique reste sans aucun doute le continent qui illustre le mieux ce paradoxe : alors qu’il enregistre un rebond économique tout à fait remarquable, les taux de croissance peuvent y varier d’une manière incroyablement inégale, si l’on en juge par les disparités de situations. Pour l’essentiel, les concentrations de richesses ne peuvent faire oublier le fait que la majeure partie des populations vit dans la pauvreté et le dénuement, ce qui est inacceptable en ce début de XXIe siècle.
Partant de ce constat, notre politique de développement doit tenir compte des facteurs objectifs changeants mais aussi de cette constante du sous-développement : la différenciation des niveaux de développement des pays et des régions, l’émergence de nouvelles puissances étrangères, l’extension et la généralisation des aspirations démocratiques, mais aussi la globalisation des enjeux environnementaux et des politiques qu’il convient de mener dans le cadre de la lutte contre les changements et désordres climatiques et, par voie de conséquence, la protection des populations les plus exposées.
La politique d’aide au développement doit aussi faire face à son plus grand paradoxe, celui d’une politique ambitieuse, généreuse, à laquelle la France consacre près de 10 milliards d’euros par an – ce qui la place au quatrième rang des donateurs du Comité d’aide au développement – pourtant critiquée quant à son pilotage, sa cohérence, sa visibilité et ses difficultés à respecter ses engagements internationaux.
À la veille d’un nouveau sommet entre les États membres de l’ONU en septembre 2015, ces constats révèlent de façon criante la nécessité de s’engager dans une loi d’orientation qui hiérarchise les objectifs, améliore la gouvernance et analyse au mieux les impacts.
Nous soutenons bien évidemment une politique de développement et de solidarité internationale ambitieuse. Il en est de notre responsabilité. Nous saluons, à ce titre, cette initiative, qui s’inscrit dans le prolongement des travaux des assises du développement et de la solidarité internationale menés dans la concertation et en cohérence avec les décisions prises par le Gouvernement lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 13 juillet 2013.
Il n’en demeure pas moins que les objectifs de la politique de développement de la France font régulièrement l’objet de critiques. Ils sont jugés insuffisamment hiérarchisés. Bénéficiant à un trop grand nombre de pays, nos actions seraient dépourvues de lignes stratégiques spécifiques et devraient davantage se concentrer sur les zones géographiques qui en ont le plus besoin, notamment l’Afrique subsaharienne.
D’aucuns jugeraient nécessaire de profiter de ce projet de loi pour refonder nos objectifs et nos orientations de manière plus adaptée à nos moyens et aux besoins.
Bien évidemment, nous approuvons d’autres apports incontestables de ce texte. Je pense à la recherche d’efficacité par la concentration de l’aide et la mise en place de partenariats différenciés selon les besoins et la situation des pays partenaires.
Je pense également aux mesures qui permettront de renforcer la cohérence de la politique de développement avec l’ensemble des politiques publiques. Je pense enfin aux avancées de ce texte en matière de transparence et d’évaluation. Néanmoins, refonder la politique de développement et de solidarité internationale supposerait un travail en profondeur. Malheureusement, une simple évaluation qualitative ne saurait suffire et, au-delà des déclarations de principe, il y aurait lieu de se donner tous les moyens de l’efficacité.
Permettez-moi de rappeler, nous l’avions déjà souligné en première lecture, que ce projet de loi élude complètement un point essentiel de la politique de développement : je veux parler ici des moyens que nous entendons lui consacrer. Il s’agit là pourtant d’un aspect essentiel de la politique de développement car c’est ainsi que se concrétise l’aide publique au développement.
Depuis le Sommet du millénaire en 2000, les pays des économies développées se sont engagés à consacrer 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide publique au développement. Ce niveau d’engagement a été maintes fois rappelé et confirmé lors des nombreux sommets sur le développement qui ont suivi. Il est aussi fixé par la plupart des instances internationales auxquelles la France adhère, notamment l’OCDE, l’ONU et l’Union européenne – et, soit dit en passant, il constituait un des nombreux engagements du président François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Nous nous rapprochons à grande vitesse de l’échéance de 2015, mais l’objectif de 0,7 % fixé dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement semble, lui, s’éloigner. Je rappelle que la France y consacre aujourd’hui 0,48 % de son revenu national brut. En première lecture, cet objectif a été inscrit dans le corps du texte mais les moyens financiers, les pistes concrètes de financement, y sont quasiment absents.
Le groupe UDI estime, madame la secrétaire d’État, que des pistes concrètes de financement de l’aide publique au développement auraient dû figurer dans ce projet de loi et être exploitées pour se rapprocher de l’objectif de 0,7 %, comme la taxe sur les transactions financières, l’élargissement des moyens financiers que peuvent consacrer les collectivités locales à la solidarité internationale, les fondations d’entreprise, les assurances vie défiscalisées dans le domaine de l’épargne responsable ou encore la taxe sur les billets d’avion, etc. Or, le projet de loi évoque timidement ces financements innovants destinés à accroître l’effort d’aide global. La commission des lois du Sénat a elle-même regretté l’absence de toute programmation financière qui aurait fixé le cadre budgétaire de la politique de développement pour les années à venir. Une réelle ambition aurait permis de déployer ces produits additionnels et d’être en cohérence avec l’ampleur annoncée de ce projet de loi. Innover, donner de l’élan à l’aide au développement en la dotant des moyens concrets de son efficacité : voilà un vrai combat contre l’extrême pauvreté, contre les inégalités et pour la défense des libertés fondamentales !
De toute évidence, après deux lectures au sein de nos assemblées, force est de constater que ce projet de loi ne répond pas à cette ambition : ce texte n’est ni une loi de programmation, ni un texte à grande portée normative, et les objectifs financiers sont insuffisants.
Vous comprendrez donc, au vu de ces différentes considérations, que le groupe UDI ne pourra pas approuver ce projet de loi issu des travaux de la commission mixte paritaire et qu’il s’abstiendra. S’il est animé des meilleures intentions – et je sais, madame la secrétaire d’État, que tel est votre sentiment –, il n’est pas suffisamment ambitieux pour l’avenir de notre politique de développement et de solidarité internationale, ce que vous me permettrez de regretter.