Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voilà arrivés à la fin du débat sur ce projet de loi sur le développement. Les écologistes, avec Pascal Canfin, se sont battus pour que ce texte puisse être adopté. Cette loi, même si elle reste modeste, est un premier pas vers l’encadrement d’un secteur qui avait toujours vécu à l’ombre de l’entreprise coloniale. Jamais, depuis les indépendances, la politique d’aide au développement n’avait fait l’objet d’un débat de fond, hormis lors de la traditionnelle discussion budgétaire où il se réduisait souvent à un bilan comptable. Avoir débattu des orientations de notre aide, de son périmètre, de ses critères est donc une avancée importante.
Nous nous félicitons particulièrement de quatre éléments essentiels consacrés par la loi. Premièrement, la consécration de l’approche par les droits est une avancée majeure. Cette approche soutient qu’il ne peut y avoir de progrès dans le respect des droits humains sans dynamique de développement, ni de développement sans une meilleure réalisation des droits humains. Elle propose de considérer les populations bénéficiaires comme des acteurs et des sujets de droit, et non comme des récipiendaires passifs. Fonder sa politique de développement sur les droits donne à la fois une légitimité aux politiques publiques en découlant, mais aussi un devoir de responsabilité accru.
Deuxièmement, la mise en cohérence des politiques d’aide. Celle-ci peut se définir comme l’obligation de garantir que les politiques commerciales, agricoles, industrielles, celles concernant le domaine des migrations ou du climat, ne contredisent pas l’objectif d’éradication de la pauvreté dans les pays en développement et de respect des droits, notamment des populations les plus vulnérables du Sud. Trop souvent, l’aide au développement a été perçue comme le paravent d’une politique privilégiant, par exemple, nos exportations agricoles ou textiles, qui empêchaient les pays aidés de se développer. Celle loi n’empêchera malheureusement pas de telles dérives, mais il était nécessaire de faire de ce principe, déjà consacré par l’Union européenne, un pilier de la politique de développement de la France, ce que la présente loi d’orientation et de programmation met en avant dès l’article 3. Il faudra, comme il est précisé dans le rapport annexe, le traduire par un plan d’action opérationnel.
Troisièmement, la transparence de l’aide. La loi d’orientation et de programmation se fixe comme objectif l’efficacité et la transparence de l’aide. Des données accessibles et actualisées régulièrement, en utilisant les normes promues internationalement par l’Initiative internationale pour la transparence de l’aide, permettront un suivi et un contrôle effectif de l’aide, ici et dans les pays concernés. Ces informations seront un vecteur de valorisation et de légitimation de la politique française d’aide au développement. De plus, la loi d’orientation et de programmation adopte pour la première fois une grille d’indicateurs de résultats de l’aide bilatérale et multilatérale. Alors que la France est la quatrième contributrice mondiale de l’aide publique au développement – 9,4 milliards d’euros par an –, cette politique restait jusqu’ici peu transparente avec une mission « Aide publique au développement » éclatée sur vingt-trois lignes budgétaires et l’insuffisance d’informations accessibles et lisibles.
Quatrièmement, la priorité accordée au domaine de l’environnement en matière d’aide est un élément positif. Concernant le climat, cet aspect a même été renforcé par le travail de nos collègues sénateurs et par la commission mixte paritaire. C’est une bonne chose par rapport à la prochaine conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin 2015. La France peut et doit être à l’origine d’une alliance privilégiée en matière de développement des énergies renouvelables et de maîtrise de l’énergie avec des pays du Sud menacés par le changement climatique.
Je me réjouis également que plusieurs notions apparaissent dans la loi ou le rapport. Désormais la France soutient le développement de l’économie circulaire, s’inscrivant dans le cadre du développement durable, qui concrétise l’objectif de produire des biens et des services tout en limitant la consommation et le gaspillage des matières premières, de l’eau et des sources d’énergie. Il s’agit de promouvoir un modèle centré sur l’utilisation locale des ressources disponibles et les circuits courts partout où cela est possible. D’autres avancées, comme l’importance de l’agriculture agrofamiliale et vivrière, de l’autonomie des paysans, de la souveraineté alimentaire ont été reconnues soit dans le corps même de la loi, soit dans le rapport annexé qui permettra aux ONG de se revendiquer d’une base législative substantielle.
En revanche nous sommes inquiets du fait que, sur d’autres aspects, un compromis acceptable n’ait pu se faire jour. C’est le cas notamment sur la RSE, la responsabilité sociale et environnementale, pourtant présentée comme une dimension transversale de la politique de développement et de solidarité internationale. Sa place est affirmée comme essentielle mais les dispositifs sont inexistants pour les assurer. Or l’incendie l’année dernière de l’usine textile Rana Plazza au Bangladesh a montré comment le respect des droits humains par les acteurs privés était bafoué. Le décalage entre l’affirmation de la RSE comme enjeu clef et la promotion des investissements directs à l’étranger comme opportunité majeure de développement, en faisant l’impasse sur les défis capitaux les concernant en termes d’encadrement et de régulation, pose un problème central. Là encore, l’obsession de la compétitivité des entreprises contredit dans les faits les principes de la loi. Nous souhaitons donc que soit précisée dans ce débat la définition de la RSE, qu’elle intègre le devoir de vigilance incombant aux entreprises dans le cadre de leurs activités, de celles de leurs filiales et de leurs sous-traitants, afin de prévenir les dommages sanitaires et environnementaux qui peuvent en résulter. À ce titre, nous sommes toujours dans l’attente des avancées législatives spécifiques à ce propos.
De même, la responsabilité fiscale et la notion d’exemplarité de l’État dans le soutien apporté à des acteurs privés ont été réduites à la portion congrue. Nous serons vigilants sur cet aspect essentiel de toute politique de coopération solidaire. La loi d’orientation et de programmation devrait rappeler le lien existant entre fiscalité et développement et devrait se prononcer clairement en faveur des nouvelles règles de fiscalité internationale. Le sujet n’est abordé que sous l’angle de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, limitant la compréhension des enjeux. Les ressources qui échappent aux pays en développement sont principalement liées, non pas aux manquements de ces États, mais à l’évasion fiscale et au déplacement par les entreprises multinationales de leur assiette fiscale. Le récent débat sur l’accord entre Areva et le Niger illustre fort bien ce point.
S’il y a des progrès au niveau international sur ces questions, il n’y a pour l’instant aucune garantie que les pays en développement en bénéficient, parce qu’ils sont exclus des négociations menées principalement au sein de l’OCDE. Tous les efforts les concernant portent sur le renforcement de capacités, mais leurs besoins spécifiques pour redéfinir les règles ne sont pas pris en compte. Nous regrettons également vivement que la programmation budgétaire soit absente de la loi d’orientation, alors même que le budget de l’aide a encore régressé de 10 % en 2013. La cohérence entre les engagements politiques pris et les moyens budgétaires nécessaires n’est donc en aucun cas assurée à l’avenir, même si nous pouvons nous féliciter de la clause de révision de la loi de programmation.
De plus, les choix en matière d’aide européenne et multilatérale, compléments de l’aide bilatérale, ne sont pas explicités. La question du pilotage de l’aide, essentielle pour maîtriser la complexité institutionnelle et son caractère dispersé et non hiérarchisé n’est pas non plus précisée. Le vrai pilote de l’aide risque donc de continuer à être l’Agence française de développement, la loi d’orientation et de programmation ne faisant aucune proposition pour remédier à ces carences. Le rôle du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement – ou CICID –, mentionné dans la partie sur la cohérence, mériterait pourtant d’être encore renforcé. Nous regrettons que les objectifs de l’AFD, son fonctionnement et son rôle n’aient pas été encadrés par la loi. À moyen terme, ne faudrait-il pas revoir cette conception à peu près unique dans le monde d’une agence à la fois banque et opératrice des subventions ? Comment procéder au minimum à un rééquilibrage entre les prêts et les dons bilatéraux ? En prêtant sans annuler les dettes, on enfonce les pays les plus pauvres comme le Mali ou Haïti dans une spirale de la pauvreté.
Pour conclure, cette loi va dans le bon sens, celui d’une éthique de la solidarité responsable, fondée sur la logique d’une interdépendance positive entre les peuples du Nord et ceux du Sud. Elle restera un marqueur fort pour l’avenir car la coopération solidaire au développement reste à nos yeux un outil majeur servant à éradiquer la grande pauvreté et la faim. Le groupe écologiste votera évidemment ce texte qui tient, malgré toutes les réserves émises, un des engagements de l’accord de législature et du contrat présidentiel.