Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de nos débats sur le projet de loi, les députés du groupe GDR, du Front de gauche, ont été amenés à poser un certain nombre de questions. Au terme de notre discussion, je dois avouer que peu de réponses nous ont été fournies.
La piraterie maritime constitue, à l’évidence, une menace, qui s’est accrue, sur le commerce international et la sécurité des approvisionnements. L’enjeu est d’autant plus important que 90 % du transport des marchandises au niveau mondial s’effectuent par voie maritime.
Néanmoins, le recours à des entreprises privées armées constitue-t-il la réponse adaptée ? Ne pose-t-il pas plus de problèmes qu’il n’en résout ? Parmi les nombreuses interrogations, qui en découlent, figurent celles qui touchent au recrutement de ces personnels, aux critères qui y président, à la validation professionnelle au regard de la formation et du parcours du postulant. Qui, en effet, va former ces agents, qui devront bien connaître et maîtriser la vie et l’activité maritimes ? D’un point de vue pratique, qui décide, à bord, de faire usage des armes ? Quelle est la responsabilité du capitaine du navire et, d’ailleurs, en a-t-il encore une en la matière ? Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’il existe plusieurs instances de décisions à bord. En outre, nous le savons par expérience, la constitution de ces entreprises privées ouvre la porte aux risques de marchandisation de leurs activités avec toutes les dérives qui peuvent les accompagner, notamment le recrutement de mercenaires sans foi ni loi.
Parmi les difficultés juridiques figure en bonne place la question de la légitime défense. L’intervention armée relève du droit régalien des États dans le respect du droit international, et des agents privés ne peuvent faire usage de leurs armes qu’en cas de légitime défense. Or ces personnels auront à faire face à des actes de piraterie qui consistent notamment à prendre un navire d’assaut, actes qui relèvent, par leur forme, d’actes de guerre. Ils seront donc amenés à organiser une riposte à la hauteur de l’attaque, comme ont mission d’y procéder des militaires. Nous sommes loin des évaluations de la légitime défense, mais bien dans une logique d’affrontement militaire.
Or, à cette ambiguïté juridique, s’en ajoute une autre, qui relève du droit international. La convention des Nations unies, sur le droit de la mer, prévoit que la haute mer est affectée à des fins pacifiques. Les activités militaires ne sont donc autorisées que si elles sont conformes aux principes du droit international prévus dans la Charte des Nations unies, comme les opérations militaires de l’OTAN et de l’Union européenne pour lesquelles l’exercice de la force a été autorisé par le Conseil de sécurité. Dans une résolution du 2 juin 2008, ce dernier a considéré que les sociétés militaires privées n’avaient pas la compétence pour exercer des activités militaires en haute mer. Elle autorise uniquement les États à utiliser la force pour réprimer des actes de piraterie et les vols à main armée en mer.
Cela a d’ores et déjà eu des conséquences concrètes. Au mois d’octobre 2013, dix marins et vingt-cinq gardes privés travaillant pour une société de l’Ohio ont été arrêtés en Inde alors qu’ils convoyaient un navire de protection anti-piraterie pour le compte d’une société militaire privée américaine. Ils ont été accusés de possession illégale d’armes. Par conséquent, l’agrément de gardes privés au niveau national, sur lequel nous légiférons, ne préjuge en rien le statut de leur présence et de leur utilisation dans les eaux internationales ou dans les eaux territoriales d’autres pays, au regard du droit international.
De même, la législation nationale sur les armes de l’État côtier s’applique dans ses eaux territoriales et lui permet donc d’engager des poursuites pour non-respect de sa législation. Des États interdisent ainsi explicitement l’utilisation de gardes armés dans leurs eaux territoriales, considérant cela comme une violation de leur souveraineté.
Les actes de piraterie se concentrent sur des espaces limités et identifiés, en général, à proximité de passages étroits, dans l’Océan Indien, en particulier dans le golfe d’Aden, qui constitue le passage obligé vers le canal de Suez, par lequel transite 15 % du pétrole mondial et la totalité des échanges par conteneurs entre l’Europe et la Chine. Le Bassin somalien, le Golfe de Guinée, l’Indonésie, les détroits de Singapour et le Bangladesh sont d’autres endroits à risques. Des initiatives ont été prises au niveau international et européen pour sécuriser ces espaces et la France y a pris sa part.
La question du renforcement de ces dispositions doit être posée, par une coopération multilatérale, afin de les rendre plus efficaces. Nous constatons que, là où elles ont été appliquées, les actes de piraterie reculent. À l’inverse, la piraterie s’accroît là où rien n’a encore été entrepris. Je crois davantage à ce déploiement de la coopération qu’à la création de ces gardes armés privés, dont nous voyons toutes les difficultés matérielles et juridiques, auxquelles elle nous expose et les risques de dérives, vers lesquelles elles peuvent nous entraîner.