Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Leroy n’est pas simplement un fin connaisseur des enjeux maritimes, c’est aussi, il l’a démontré dans son propos, un cinéphile averti. En 2012 sortait sur les écrans de cinéma un film danois intitulé Hijacking. Son histoire est celle de marins danois pris en otage par des pirates somaliens. La force du film réside dans son réalisme, dans le rendu cru de situations de tension extrême. La peur se lit sur les visages, s’entend dans le son des voix contraintes, se ressent lorsque le héros, chef cuisinier, hésite entre deux actions à faire. Le film passe également beaucoup de temps à relater les négociations qui ont lieu, depuis Copenhague, siège de la compagnie affréteuse. On y voit le PDG de cette entreprise tiraillé entre les directives de son conseil d’administration et ses convictions personnelles, son attachement authentique à son équipage. L’intérêt des marins, le sort de leurs familles, revient finalement toujours, tout au long du film, se heurter aux intérêts économiques.
C’est malheureusement la situation actuelle telle que nous la vivons : dans certains endroits du globe, la piraterie est devenue une source de revenus comme une autre. Cette criminalité, car il s’agit bien de criminalité, pèse sur les hommes, à bord des bateaux, bien sûr, et j’y reviendrai, à terre aussi. N’oublions pas, en effet, les dégâts causés par cette criminalité sur les populations locales. Le développement de la violence liée à la piraterie, les trafics en tous genres qu’elle engendre, minent les économies locales déjà bien fragiles. En enlevant à leurs familles des jeunes hommes partis chercher fortune en mer, elle prive les pays concernés d’une jeunesse qui pourrait contribuer au développement local.
La seconde facette de la piraterie, c’est le danger qu’elle fait peser sur les hommes. Lorsque l’on s’embarque sur un navire, ce n’est pas pour se battre. Ce n’est pas le rôle du marin que d’être un soldat, ni celui du capitaine que d’être un chef de troupe. Pourtant, sur certaines mers, c’est ce qui peut attendre les marins. La pire des solutions serait bien évidemment de ne rien faire, ou de considérer que les opérations de maintien de l’ordre internationales comme Atalante seraient suffisantes. Demander aux marins de s’armer pour se défendre eux-mêmes, serait contre-productif. On ne s’improvise pas militaire. On apprend à un marin à manoeuvrer un bateau, pas une arme. Cette solution armée ouvrirait la voie aux bavures et aux accidents. De même, l’ouverture de ce marché aux sociétés privées sans réglementation préalable serait périlleuse.
Nous devons en effet bien comprendre que cette activité de sécurité n’est pas une activité comme les autres. Elle met en jeu des intérêts humains et économiques particuliers. Elle intervient dans un cadre lui-même particulier, celui de la mer, qui possède ses propres contraintes. Longtemps, cela a déjà été dit, la piraterie était restée cantonnée à certaines régions du globe. Il était alors plus facile, en quelque sorte, d’y échapper, en modifiant, par exemple, les routes maritimes, en prenant des précautions supplémentaires à l’approche de certaines zones, mais la mondialisation de la piraterie, née de divers facteurs, a rendu ses précautions insuffisantes. Le nombre d’attaques a lui-même été multiplié par dix entre la fin des années quatre-vingt-dix et la fin de l’année 2007, qui fut celle d’un bien triste record, avec plus de 2 400 attaques recensées.
Face à ces constats, la question de légiférer ne se pose donc plus. De nombreux pays ont d’ores et déjà franchi ce pas. La plupart des États de l’Union européenne ont autorisé la mise en place d’entreprises de protection privée à bord des navires. La France restait, jusqu’à présent, un des seuls grands pays de tradition maritime à ne pas autoriser cette présence à bord ; saluons donc, une nouvelle fois, l’initiative prise par Arnaud Leroy. Pour le pavillon français, cette indisponibilité représentait véritablement un désavantage. Ce risque supplémentaire imposé aux hommes mais aussi aux cargaisons, rendait le pavillon français moins compétitif, alors même qu’il pouvait se targuer d’une formation particulièrement excellente de ses équipages.
La question économique joue un rôle dans l’ouverture des activités privées de sécurité à bord des navires, cela a été maintes fois répété lors de nos discussions, tant en commission que dans l’hémicycle. On chiffre en effet entre 7 et 9 milliards d’euros l’impact de la piraterie sur le commerce mondial qui emprunte, toujours, à 80 %, la voie maritime. Ce coût ne mesure toutefois pas le coût humain, qui dépasse, bien évidemment, tous les enjeux économiques.
Les opérations militaires, je le disais, ont leur utilité. Personne, aujourd’hui, ne songerait à les remettre en cause. Elles permettent de sécuriser des zones au moyen de technologies de pointe. L’usage de celles-ci est indispensable, nécessaire à la gestion globale de l’espace maritime. Elles ne sauraient toutefois permettre de protéger, à elles seules, la circulation de l’ensemble des navires. Là aussi, les chiffres mesurent le niveau d’intervention et la nécessité, pour couvrir les déplacements des navires, d’avoir cette alternative que nous proposons aujourd’hui.
Cette mission ne pouvait donc être dévolue qu’à des professionnels de la sécurité. Nous possédons déjà une certaine expérience des activités privées de sécurité, avec par exemple le convoyage de fonds. Si des améliorations sont toujours possibles, ce modèle a clairement établi sa pertinence. Il a montré qu’une activité régulée peut être source de sécurité, qu’elle peut protéger à la fois les hommes et l’activité économique.
La possibilité de recourir aux gardes armés sur les navires sera encadrée : c’est nécessaire. Il ne s’agit pas, en effet, d’un marché comme un autre. Des garanties doivent être posées d’emblée : contrôle du casier judiciaire, limitation à certaines zones maritimes et à certains types de navires, interdiction de la sous-traitance, suivi strict des armes embarquées, détention d’une carte professionnelle d’agent de protection, usage de la force en cas de légitime défense uniquement. Tels sont les garde-fous mis en place pour encadrer ce marché pas comme les autres – j’insiste sur ce point, car cela me semble nécessaire ; du reste, nos débats l’ont montré. Ainsi, nous mettons en place un dispositif suffisamment encadré, dont nos navires pourront bénéficier dans un bref délai – sur ce dernier point, la volonté du législateur est claire, et s’est exprimée à de nombreuses reprises au cours de nos débats.
Des interprétations différentes se sont fait jour dans la discussion parlementaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est tout l’intérêt de la navette parlementaire. Il ne faut pas rejeter cette pluralité des points de vue, ni la regarder comme une difficulté ; au contraire, il faut la saluer et la considérer comme bénéfique pour nos travaux. Les rapporteurs du texte dans les deux chambres ont accompli un travail remarquable, qui a permis de nourrir nos discussions. Ils ont aussi permis d’apporter, par voie d’amendement, les corrections nécessaires au projet de loi.
Leur dialogue permanent a permis d’assurer une parfaite rédaction de ce texte. La codification était un enjeu pour le Sénat, notamment pour le sénateur Alain Richard, qui a été entendu sur ce point, notamment en commission mixte paritaire. La mise à contribution des entreprises européennes pour le financement du Conseil national des activités privées de sécurité était un enjeu pour notre rapporteur : cette avancée a également été réalisée. Nous voyons là une évolution positive entérinée grâce aux discussions qui ont eu lieu tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
Cet enrichissement mutuel des deux assemblées – mais également de l’ensemble des groupes politiques – a permis, je le crois, de déboucher sur un texte équilibré qui protégera d’abord nos marins. J’insiste sur ce point : il s’agit de protéger d’abord nos marins, puis le pavillon français et notre économie. Ce texte témoigne d’une vision globale des réponses à apporter au problème de la piraterie. L’expérience que nous avons acquise dans ce domaine, notamment par l’intervention des forces publiques, nous a permis d’éprouver certaines solutions.
Nous savons, par exemple, que pour résorber le phénomène de la piraterie, il faut emprunter les chemins de la solidarité internationale – le groupe écologiste l’a rappelé lors de la discussion générale au Sénat. Je le disais au début de mon intervention : il faut considérer que la piraterie est d’abord une difficulté pour les populations locales qui se voient privées de ressources humaines, de jeunes, qui pourraient contribuer au développement local. Nous savons également que le droit international mérite d’être harmonisé : le groupe Communiste, républicain et citoyen au Sénat l’a souligné, et cela a été rappelé il y a quelques instants. Ces éléments esquissent des réponses aux enjeux liés à la piraterie, réponses auxquelles cette loi contribue largement.
Ces difficultés sont connues : elles ne sont pas insurmontables, à condition de construire, en permanence, un droit maritime fort. Notre collègue Arnaud Leroy a montré, dans son rapport, en quoi les enjeux maritimes sont essentiels pour notre pays, et constituent un levier formidable en termes économiques, à condition que nous soyons très actifs sur la question du pavillon français. Je sais, M. le secrétaire d’État, que vous agissez pour faire jouer ce levier dans le combat économique que nous menons.
C’est à ce chantier que nous nous sommes attelés ces dernières semaines. La majorité comme l’opposition ont mené un travail constructif de l’opposition.