Intervention de Michel Barnier

Réunion du 30 octobre 2012 à 17h00
Commission des affaires européennes

Michel Barnier, commissaire européen :

Je vous remercie, Mesdames, de ces propos introductifs, qui embrassent beaucoup de questions. Je salue également les députés, les sénateurs et les parlementaires européens, ainsi que leurs collaborateurs respectifs, dont je connais les qualités de suivi et les compétences. Enfin, je trouve très intéressante l'idée de dialogue tripartite, lancée à l'origine par Pierre Lequiller.

Nous faisons face à une série de crises inédites par leur addition et leur ampleur. La crise financière est née il y a cinq ans aux États-Unis – précision importante, car outre-Atlantique, on tend à faire porter la responsabilité de tous les problèmes du monde à l'Europe. Elle fut provoquée par le comportement irresponsable d'un certain nombre de banques et de banquiers, s'étant tout permis, et à qui l'on avait tout permis. Le grand vent de la mondialisation et de l'ultralibéralisme avait emporté avec lui beaucoup d'idées, parmi lesquelles celle d'économie sociale de marché compétitive, à laquelle je crois et pour laquelle je suis revenu à Bruxelles. Cette crise financière a brisé la croissance des pays industrialisés, notamment celle des États-Unis et de l'Europe, où l'on enregistre un taux de 10 % de chômage.

Elle s'est greffée de surcroît sur une crise qui est bien la nôtre, celle de la dette. Nos pays ayant dépensé plus qu'ils ne gagnaient et ne s'étant pas réformés suffisamment tôt, il leur faut à présent payer leurs déficits et leur endettement excessifs.

Lors des conseils européens qui se sont succédé depuis quatre ans, et lors des réunions du G20, c'est le dos au mur et au forceps que les dirigeants européens ont cherché à élaborer des solutions nouvelles pour faire face à ces crises. Je n'oublie pas l'engagement du précédent Président de la République et de la chancelière Merkel lors ces réunions.

Mais c'est le 29 juin dernier que l'on a pour la première fois apporté une réponse globale à la crise globale, un résultat auquel le Président Hollande a amplement contribué et qui explique en partie le calme et la sérénité retrouvés l'été dernier par les marchés financiers et les acteurs économiques. Afin d'être crédibles, il nous faut à présent mettre en oeuvre les décisions prises. Elles concernent la régulation financière – dont j'ai la responsabilité –, la mise en oeuvre des décisions du G20, la coordination économique et budgétaire – recommandée en vain, il y a dix ans par Jacques Delors lors du passage à la monnaie unique –, la remise en ordre des finances publiques dans les pays où cela est nécessaire et la croissance économique.

Dans ce cadre, la Commission européenne a joué son rôle de proposition auprès du Conseil des ministres européens et du Parlement européen. En effet, dans la mesure où elle ne prend de décision dans aucun autre domaine que celui de la concurrence, il faut obtenir un accord de ces deux instances avant d'agir, notamment dans les domaines dont je suis chargé – la régulation financière et le marché intérieur.

Constitué d'une trentaine de propositions fort complexes, l'agenda de notre politique de régulation financière est présenté dans le document qui vous a été distribué, qui distingue les propositions déjà adoptées par l'Union européenne, celles qui sont en discussion au Parlement et au Conseil, et celles qui restent à proposer. À terme, aucun marché, acteur ou produit financier ne sera censé échapper à une régulation efficace. En pratique, je ne suis pas sûr que tout sera réalisé, tant nous nous heurtons au lobbying. Je suis d'ailleurs très heureux qu'il y a deux jours, Christine Lagarde ait rappelé l'urgence de cette régulation. Nous progressons puisque l'Europe met en oeuvre les engagements qu'elle a pris dans le cadre du G20 et que d'ici la fin de l'année prochaine, nous aurons probablement achevé ce processus.

Je citerai à titre d'exemple la régulation des produits dérivés – échanges financiers mondiaux d'une valeur de 600 000 milliards de dollars se faisant à 80 % dans l'opacité la plus complète puisque de gré à gré, ou « sous la table ». À l'instar des États-Unis, nous nous sommes engagés à inverser cette proportion, de telle sorte que 80 % de ces transactions soient enregistrées, standardisées et compensées. La proposition que j'ai présentée il y a un an et demi, intitulée Single Rule Book, a été adoptée il y a quelques mois et entrera en vigueur à la fin de l'année – à l'instar d'autres textes relatifs à la régulation des ventes à découvert : elle fixe un cadre de régulation pour l'ensemble des acteurs financiers européens. Nous ne sommes cependant pas en bout de course puisque dans les semaines à venir, il nous faudra probablement conclure l'accord sur les règles de Bâle III relatives à la capitalisation des 8 300 banques européennes. À cela s'ajoute la révision de la directive concernant les marchés d'instruments financiers (MIFID).

Si cet agenda de régulation financière s'applique aux 27 États-membres de l'Union européenne, y compris au Royaume-Uni, où se trouve la principale place financière de notre continent, les 17 États de la zone euro ont décidé le 29 juin, parce qu'ils sont contraints à davantage de solidarité, d'aller plus loin dans la mise en oeuvre de cette régulation, dans la surveillance de leurs établissements bancaires et dans l'union bancaire, en mettant en place une supervision intégrée de tous les établissements bancaires de la zone euro.

Le 12 septembre, nous avons proposé aux chefs d'État et de gouvernement un texte très complexe faisant de la Banque centrale européenne le pivot d'une supervision qui s'exercera sur tous les établissements bancaires, certes avec l'appui des superviseurs nationaux mais dans un cadre de responsabilité unique. Il nous reste cependant encore beaucoup à faire pour définir non seulement les modalités de vote au sein du conseil de supervision mais aussi nos relations avec les pays ne souhaitant pas intégrer le système – à l'instar du Royaume-Uni – et enfin le degré de différenciation entre les fonctions des superviseurs nationaux et celles du superviseur central. Le dernier Conseil européen, qui a eu lieu il y a quinze jours, a validé les principaux éléments de ma proposition du 12 septembre. Sur cette base, nous visons à aboutir à un accord politique à la fin du mois de décembre. Nous procéderons ensuite par étapes à la mise en oeuvre de cette supervision, en ciblant d'abord les établissements les plus importants, puis les plus risqués – qui ne sont pas les plus gros, voyez Dexia, Bankia ou Northern Rock.

La régulation financière progresse donc, le Parlement européen vient de se prononcer sur la révision de la directive MIFID que j'avais proposé il y a un an et demi.

La deuxième partie de mon agenda concerne la croissance. Le socle de l'économie européenne, c'est le marché unique, un espace économique et social de 500 millions de citoyens et consommateurs, et 22 millions d'entreprises dont 92 % sont de petites et moyennes entreprises. C'est grâce au marché unique que les Européens sont respectés par des pays tels que le Brésil, la Chine ou les États-Unis. Il nous faut donc absolument nous appuyer sur ce marché unique. Alors qu'il est potentiellement la première victime expiatoire des crises, du fait des risques de protectionnisme et les tentations de repli national voire nationaliste, il constitue bien notre principal atout pour nous en sortir. Si ce marché unique fonctionnait mieux, il pourrait nous procurer 2 à 4 % de croissance supplémentaire.

C'est pourquoi j'ai proposé l'Acte pour le marché unique, fruit d'une réflexion collective que j'ai conduite avec le président Barroso et 12 de mes collègues afin d'identifier tous les blocages pouvant être levés en matière de mobilité, d'exportations, d'investissement, de capital-risque et d'entreprenariat social. L'acte pour le marché unique no 1 comprend 50 propositions et l'acte no 2, lancé il y a trois semaines, fera l'objet de propositions d'ici le printemps prochain.

Tout comme la démocratie nationale, la démocratie européenne exige du temps : douze à dix-huit mois sont nécessaires avant l'adoption définitive de chacun de ces textes. C'est donc à moyen terme que l'écosystème du marché unique européen pourra être amélioré – ce qui n'interdit nullement que l'on prenne les mesures plus rapides proposées par le Président de la République au mois de juin : la réorientation des fonds structurels, les project bonds, l'engagement de la Banque européenne d'investissement et la taxe sur les transactions financières que nous avions proposée nous-mêmes il y a plus d'un an.

Afin d'illustrer notre état d'esprit, je citerai trois exemples très concrets.

Tout d'abord, le brevet européen : cela fait trente ans que les entreprises européennes attendent une protection unique à un coût compétitif. Un brevet couvrant toute l'Europe coûte actuellement entre 25 et 28 000 euros, soit dix fois plus cher qu'aux États-Unis, du fait de la diversité linguistique de notre continent. Dans le cadre de la coopération renforcée, j'ai proposé il y a un an et demi la création d'un titre unique, proposition soutenue par 25 États et qui aboutira probablement dans quelques semaines à un accord politique sur le brevet européen.

Autre exemple, la proposition de Mme Kroes relative à la signature électronique, ou e-authentification. La sécurisation juridique de la signature électronique conditionne le développement du commerce électronique – qui plafonne actuellement à 6 % de nos échanges commerciaux –, de la facturation électronique et de la numérisation de la commande publique en Europe. Sachant que cette commande représente 18 % du PIB européen, sa numérisation totale nous permettrait une économie de 100 milliards d'euros par an.

Enfin, troisième exemple, la législation des marchés publics, que je suis chargé de faire respecter : celle-ci est beaucoup trop complexe, elle impose aux entreprises des exigences invraisemblables au-delà de certains seuils, conduisant nombre d'entre elles à renoncer à participer aux appels d'offres des collectivités territoriales et des États européens. La paperasse leur coûte en effet 30 % du marché qu'elles espèrent obtenir ! Notre proposition de simplification drastique est actuellement en cours d'adoption au Parlement européen et au Conseil des ministres.

Si je suis revenu à Bruxelles, c'est pour me battre en faveur d'une réorientation du projet économique européen et d'un retour aux fondamentaux de l'économie sociale de marché compétitive. Nous devons renoncer définitivement aux excès du libéralisme et de la dérégulation – je n'ai d'ailleurs jamais cru à l'autorégulation des marchés – ainsi qu'à une certaine naïveté dans nos échanges commerciaux internationaux. C'est pourquoi j'ai proposé il y a un an la mise en place d'un instrument de réciprocité sur les marchés publics dans le monde.

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