Intervention de Michel Barnier

Réunion du 30 octobre 2012 à 17h00
Commission des affaires européennes

Michel Barnier, commissaire européen :

Nous pouvons certes avoir des conceptions différentes de l'Europe. Il reste que l'intégration et la mutualisation que nous sommes en train de mettre en place auraient été impensables il y a deux ou trois ans. Je préfère le terme de mutualisation à celui de fédération.

Cela dit, si nous sommes conduits à partager davantage la souveraineté – non à l'abandonner – nous ne pouvons le faire dans le dos des citoyens européens. Il y a urgence à organiser un débat public, en France notamment. N'ayons pas l'Europe honteuse, ne rasons pas les murs. Je suis d'ailleurs très intéressé par la résolution proposée par M. Christophe Caresche concernant l'article 13 du traité budgétaire.

Faisons ce débat sans drame, sans attendre un référendum ou une crise. Peut-être faut-il mettre à profit l'année 2013. Un tel débat devrait se conclure par un accord politique entre la droite, la gauche, le centre et les Verts, afin de définir une réponse claire, favorable ou défavorable, au renforcement de notre intégration avec les autres États qui le souhaitent. Autrement, les souverainistes et les démagogues – que je ne confonds pas – crieront toujours plus fort que les autres.

Monsieur Hammadi, au cours des quinze dernières années, de nombreuses mesures de déréglementation ont été approuvées par des gouvernements de gauche. C'est notamment le cas de la directive postale, dont j'ai la responsabilité. En outre, la Commission européenne produit systématiquement des études d'impact ; je m'étonne donc qu'il n'y en ait pas eu pour le paquet ferroviaire. Mais je vérifierai.

Quant aux réseaux de transports et d'énergie, priorité de l'Acte du marché unique no 2, il ne s'agira pas forcément d'en libéraliser les marchés mais de les harmoniser et de supprimer les entraves techniques à leur bon fonctionnement. Lors de l'ouverture du transport ferroviaire à la concurrence, on a tout de même observé dans les États-membres des gains d'efficience et d'efficacité des opérateurs historiques. En outre, s'il est vrai que la loi NOME a entraîné la hausse de certains prix, l'énergie pose aussi des problèmes de raréfaction de la ressource et de sécurité, de sorte que le marché n'était pas ouvert, les prix augmenteraient sans doute davantage encore.

La Commission formulera des propositions en faveur d'une politique énergétique commune, d'un ciel ouvert unique et d'un réseau ferroviaire interconnecté. Il ne s'agira que de propositions, il reviendra au Parlement européen et aux conseils des ministres des transports et de l'énergie d'en décider. Rapprochez-vous par conséquent des ministres de votre Gouvernement et des parlementaires européens afin d'éviter certaines dérives. Je veille pour ma part à éviter que les errements de l'ultralibéralisme ne se reproduisent.

Je suis très attaché aux services publics, même si les missions de service public peuvent être exercées de manière moderne et confiées à différents partenaires. Dans le domaine postal, qui touche à la vie quotidienne, j'ai ainsi créé un groupe d'utilisateurs pour vérifier les conditions d'application des trois directives postales, notamment au regard du respect du service universel.

Sur ce sujet comme sur les questions soulevées par M. Richard, peut-être votre commission pourrait-elle inviter M. Kallas, commissaire européen aux transports, M. Tajani, chargé de l'industrie, et M. Almunia, chargé de la concurrence.

Si je n'ignore pas la rigueur et l'importance des règles de la concurrence européenne, au respect desquelles je dois veiller en tant que gardien des traités, je ne connais aucun cas où elles n'aient pu être adaptées pour servir une stratégie. Voilà pourquoi je me bats quotidiennement pour une politique industrielle européenne, notamment avec M. Tajani. Monsieur Myard, cette expression cesse d'être le gros mot qu'elle a, c'est vrai, longtemps été – y compris du point de vue de certains gouvernements, alors pourtant que l'Europe est née d'une politique industrielle, dans les domaines du charbon et de l'acier, et que sur la politique agricole, qui fut l'une de ses premières réalisations, s'appuie une industrie agro-alimentaire qui représente plus d'emplois que l'industrie automobile, en France comme en Europe !

Cette politique industrielle ne doit pas être d'abord défensive, même si j'ai présenté le dispositif de réciprocité qui est en cours de discussion au Conseil des ministres et au Parlement européen – et dont j'espère qu'il sera soutenu par le gouvernement français – et même si j'ai demandé à M. Tajani, ce qui a surpris certains à la Commission, une photographie des investissements étrangers en Europe. Qui achète quoi chez nous ? Nous ne le savons même pas ! Mais il n'y a de fatalité que pour les fatalistes, monsieur Myard : je préfère me battre, et nous obtenons des résultats.

Je vous invite à consulter le rapport du groupe d'experts européen présidé par Jean Therme, directeur de la recherche technologique au Commissariat à l'énergie atomique, et qui dresse la liste des dix technologies clés que nous sommes en train de perdre faute d'investissement. Il ne s'agit pas de se barricader, mais d'investir dans la recherche, pour l'emploi. Ainsi, nous laissons aux Chinois, aux Indiens et aux Américains les trois technologies essentielles à la voiture électrique – frottement des pneus, batteries électriques, lampes à basse consommation. L'investissement, tel devrait être le fondement de la politique industrielle européenne, par la mutualisation de nos financements privés et publics.

Monsieur Richard, l'Acte pour le marché unique inclut le passeport pour le capital-risque, dont le vote est presque acquis. Je veille par ailleurs à ce que toutes les mesures que nous adoptons facilitent la tâche aux PME en allégeant les procédures de marchés publics, les normes comptables, les textes relatifs à la transparence. Ainsi, dans le cadre de la discussion du texte sur la capitalisation bancaire, dit CRD4, qui applique les règles de Bâle III, j'ai obtenu que les mesures prudentielles soient plus légères lorsque les banques prêtent à un certain niveau aux PME que pour d'autres prêts ou investissements.

Monsieur Dumas, si le Conseil et le Parlement se prononcent avant la fin de l'année sur la proposition que j'ai formulée le 12 septembre, la supervision bancaire sera effective le 1er janvier 2013. Elle ne sera toutefois pas immédiatement opérationnelle. Mais le superviseur unique, la BCE, pourra étudier de près la situation de n'importe quelle banque de la zone euro, et même au-delà, dans les pays qui le souhaiteront parce que, comme en Roumanie, en République tchèque ou en Hongrie, 80 % de leurs banques appartiennent à de grandes banques de la zone euro. La supervision entrera en vigueur par étapes ; j'en ai proposé trois : en juillet 2013 pour les grandes banques, en janvier 2014 pour celles qui perçoivent des aides publiques, donc les plus fragiles, et à une date ultérieure pour les autres. Le superviseur national conservera une responsabilité importante sur l'application du manuel de supervision unique, mais il faut encore travailler sur la « différenciation », c'est-à-dire sur le partage des tâches avec le superviseur intégré, lequel devrait en principe contrôler directement les banques présentant le plus de risques, quelle que soit leur taille.

Ce système, monsieur Caresche, vaut pour l'avenir. Comme l'ont voulu les chefs d'État et de gouvernement, il permettra la mise en oeuvre du Mécanisme européen de stabilité, dont il est une condition nécessaire – mais non suffisante, car ce sont les instances de direction du MES qui décideront quelles banques recapitaliser, et à quelles conditions. Pour les autres banques, et s'agissant du passé, les décisions seront prises au cas par cas et s'appuieront sur le fonds actuel, qui sera prolongé et amplifié par le MES.

Monsieur Lequiller, ne dramatisons pas les discussions franco-allemandes. Comme tous leurs prédécesseurs, le chef de l'État français et la chancelière allemande sont parfaitement conscients de la responsabilité commune qui leur incombe depuis le traité de l'Élysée. Mais, comme tous leurs prédécesseurs – à l'exception de Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, dont l'entente fut immédiate –, il leur faut quelques mois pour trouver leur manière de travailler ensemble. Il peut y avoir entre eux des sujets de désaccord ou de discussion. Mais l'Allemagne, qui paie le plus, qui est prête à continuer, à s'engager davantage, qui parle même d'union politique, a besoin de retrouver confiance, et c'est bien légitime. Le traité budgétaire, règlement de copropriété, est aussi un gage de confiance mutuelle entre les Européens, de même que la supervision bancaire. Comment peut-on prétendre que les Allemands ne veulent pas payer alors que Mme Merkel s'est réjouie que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ait validé le MES, dont l'Allemagne est la principale contributrice ?

Quant au budget fédéral, nous en sommes loin. Qui peut croire que 1 % du PIB pourrait constituer le budget d'un État fédéral ? Je le répète, nous ne faisons pas un État fédéral ; nous ne faisons pas un peuple européen ; nous ne faisons pas une nation européenne. Nous construisons ce que Jacques Delors appelait une fédération d'États-nations, une mutualisation des nations qui conservent cependant leur spécificité, leur identité, leur langue. Nous voulons une Europe unie, non une Europe uniforme. Ce n'est pas simple ; voilà pourquoi vous devriez l'expliquer dans vos circonscriptions.

En ce qui concerne la réciprocité, le texte que j'ai présenté est en discussion et la tâche n'est pas aisée, car beaucoup de pays européens s'opposent à ce principe.

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