Intervention de Christel Prado

Réunion du 12 juin 2014 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Christel Prado, présidente de l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis, UNAPEI :

Je m'associe totalement aux déclarations de la FNATH, de l'APF et de l'UNAFAM. La CNSA est une institution de grande qualité qui, en associant au sein de structures novatrices toutes les parties prenantes, permet une co construction de la politique du handicap. Dans ce dialogue permanent, chacun est amené non seulement à infléchir ses positions, mais aussi à convaincre les autres partenaires. La CNSA a donc produit des résultats intéressants et plutôt rapides, si l'on songe qu'elle n'a que dix ans.

Je serais plus critique sur les liens qu'elle entretient avec ses partenaires. Siégeant dans ses instances, et forte de mon expérience de mère d'enfant handicapé, j'observe le jeu d'acteurs entre la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la CNSA. Je constate que, par-delà les mots échangés, cette communication n'est pas optimale, voire que ces rapports dégénèrent en une relation de concurrence néfaste pour le fonctionnement de ces institutions.

Quant à l'harmonisation des pratiques, la CNSA ne peut que l'accompagner par ses avis et par ses conseils. Au nom de la libre administration des collectivités territoriales, elle se voit refuser tout moyen d'intervenir par la contrainte pour assurer une meilleure équité territoriale. Le GEVA, guide d'évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées, devait être l'instrument multidimensionnel qui permette de définir de manière concrète les besoins de la personne handicapée. Or, sur le terrain, cette évaluation n'est pas faite ou reste totalement incomplète. Dès lors, faute d'avoir une vision objective des besoins de la personne en situation de handicap, il est impossible de donner les bonnes réponses aux diverses problématiques.

Pire encore, il n'a même pas été possible d'imposer aux départements, dans les conventions qu'ils signent avec la CNSA, qu'ils établissent chaque année un rapport d'activité sur leur politique du handicap, et suivent pour ce faire un modèle commun. Toute comparaison en est rendue impossible, ce qui est un comble.

Les liens avec les ARS ne sont quant à eux pas tout à fait stabilisés, peut-être parce que leurs relations avec la CNSA sont encore récentes. Sur un même projet, il n'est pas rare que je m'entende dire de la part de la CNSA que des crédits sont débloqués, alors que l'ARS me répond qu'ils ne le sont pas. Il y a forcément quelqu'un qui ment ; mais comme je ne suis pas dans le tuyau, je ne pourrai vous dire qui…

Entre tous les apports de la CNSA, son principal mérite est de permettre la construction d'une culture commune dans l'approche de la compensation et de la perte d'autonomie. C'est à mes yeux un apport majeur, qui nous permet d'envisager de dépasser les politiques de réadaptation ou d'intégration pour viser une véritable politique de l'inclusion. Malheureusement, alors que nous pensions que cette nouvelle culture était acquise, comprise, et qu'il était possible d'aller plus loin, la présentation du projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, et la composition même du nouveau Gouvernement, avec deux secrétariats d'État désormais séparés qui ont en charge, pour l'un la famille, les personnes âgées et l'autonomie, pour l'autre les personnes handicapées et la lutte contre l'exclusion, apparaissent comme deux signes récents, particulièrement inquiétants, qui témoignent soit d'une incompréhension, soit d'une volonté politique délibérée de ne pas donner suite aux dispositions de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Je n'ai pas la réponse, mais je m'interroge. Quoi qu'il en soit, je ne vois aucune cohérence entre le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement et la loi de 2005, et pas davantage entre ce projet de loi et la stratégie nationale de santé. Je m'interroge sincèrement sur la pertinence de ce texte, de son calendrier, de ses modalités de financement. Cette loi, si elle n'est pas remise en cohérence avec les autres outils législatifs, sera non seulement totalement inutile, mais elle enverra un mauvais signe à tous les publics concernés, y compris aux personnes âgées, qui y avaient pourtant fondé beaucoup d'espoirs, comme nous-mêmes en avions beaucoup fondés dans la loi du 11 février 2005.

Dans un registre plus positif, je salue les efforts de la CNSA en faveur du public handicapé, car elle facilite à tous les démarches conduites auprès d'elle en appliquant de manière exemplaire les règles européennes dites du « facile à lire et à comprendre » dans l'écriture de ses décisions.

Plusieurs autres sujets me tracassent. Le système d'information partagé pour l'autonomie des personnes handicapées (SipaPH), pourtant très coûteux, ne fonctionne pas. J'aimerais que l'on puisse faire une évaluation de tous les moyens, financiers et humains, qui ont été investis dans un outil dont on ne sait absolument pas quand il fonctionnera, alors même que le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des finances (IGAS-IGF) d'octobre 2012 sur les établissements et services pour personnes handicapées y voyait un outil majeur pour répondre aux difficultés de mise en oeuvre des politiques en faveur des personnes handicapées… Nous sommes loin de ce que les citoyens pourraient attendre en termes de bonne maîtrise des dépenses publiques.

L'exil en Belgique des personnes handicapées constitue un autre sujet de préoccupation. La CNSA finance ainsi, par une enveloppe spécifique allouée à l'ARS du Nord-Pas-de-Calais, l'accueil de 6 000 personnes chez notre voisin. Cela permet à la Belgique de créer pas moins de 4 000 emplois… Autant de richesse qui pourrait prospérer dans notre pays dans ce contexte de chômage massif. Sans parler du bien-être des personnes handicapées – mais qui s'en soucie, à part les associations ? Sinon, la solution aurait été trouvée depuis longtemps.

J'ai été profondément choquée par la ponction de 400 millions d'euros opérée sur les réserves de la CNSA au profit des départements, sans la moindre assurance quant à leur affectation : loin d'avoir uniquement servi la politique en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, ils ont le plus souvent abondé la politique d'insertion et le revenu de solidarité active (RSA), là où les départements avaient les besoins de financement les plus criants. Plus choquant encore, les critères d'attribution ne tenaient aucun compte des politiques de prévention qu'avaient pu mener certains départements pour éviter de trop dépenser : de fait, ils ont été totalement « sortis du radar », et l'on a donné une prime à ceux qui travaillaient mal !

Il est anormal que la CNSA finance des emplois de moniteurs sportifs (STAPS) qui interviennent auprès des personnes handicapées. Ces emplois doivent certes être financés, mais pas sur le budget de la CNSA.

Enfin, je regrette que le programme pluriannuel 2008-2013 de création des places pour un accompagnement adapté du handicap tout au long de la vie, annoncé par le président Nicolas Sarkozy, n'ait finalement connu qu'une exécution partielle, puisque la moitié des places attendent encore de voir le jour. Même si la double tarification complique la mise en oeuvre de ces engagements, il faut à tout prix sortir de l'ornière.

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