Je vous remercie de votre invitation à m'exprimer devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, dont je connais l'intérêt porté aux affaires européennes.
Je suis personnellement convaincu de l'importance des parlements nationaux dans le bon fonctionnement de l'Union européenne et du rôle déterminant de l'Assemblée nationale pour la politique européenne de la France. J'entends donc placer la relation avec les parlementaires, qu'ils soient nationaux ou européens, au coeur de la mission qui m'a été confiée. Je suis en effet persuadé qu'une partie de la réponse au besoin d'approfondissement de la démocratie dans l'Union passe par une meilleure association des parlements nationaux aux décisions européennes.
Je tiens donc à vous assurer de ma totale disponibilité, vis-à-vis de votre Commission comme de chacune et chacun de ses membres. Chaque fois que vous le souhaiterez, je viendrai vous informer de l'état d'avancement des négociations sur les dossiers les plus importants, ainsi que des enjeux liés aux grandes échéances, telles que les Conseils européens.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant la Commission des affaires européennes, mon homologue allemand, Michael Roth, et moi-même sommes également disposés, si vous le souhaitez, à participer à des auditions conjointes devant l'Assemblée nationale comme devant le Bundestag. Une telle initiative permettrait d'illustrer la force de la relation franco-allemande et notre capacité à défendre ensemble certaines priorités à l'échelle européenne.
Nous sommes à la veille d'une échéance majeure pour l'Europe. Le Parlement européen voit en effet sa composition renouvelée à un moment où il n'a jamais eu autant de pouvoir et de compétences. En outre, comme l'a souligné le Président de la République dans sa tribune du 9 mai dernier, les électeurs, par leur vote, vont aussi désigner le futur président de la Commission européenne. Ces élections vont donc déterminer la direction que l'Europe prendra ces cinq prochaines années, et c'est pourquoi la France doit saisir cette occasion de faire valoir ses priorités.
Avant de revenir sur les grands enjeux de la politique interne de l'Union, je voudrais évoquer la situation en Ukraine
Vous connaissez la situation sur place : elle demeure instable, notamment dans les régions de l'est. Le climat sécuritaire continue de se dégrader. Les référendums du 11 mai en faveur de l'indépendance des « Républiques populaires » de Donetsk et Lougansk n'ont pas été organisés dans des conditions juridiques acceptables et leur résultat ne peut donc pas être reconnu ; le Conseil européen l'a affirmé fermement.
Dans ces conditions, l'enjeu essentiel des prochains jours est bien sûr la bonne tenue des élections présidentielles du 25 mai sur l'ensemble du territoire ukrainien – même si l'on peut s'attendre à des difficultés dans les régions citées –, et la poursuite du dialogue national et des tables rondes sur la réforme institutionnelle. Telle est la feuille de route proposée par l'OSCE et soutenue unanimement par le Conseil des affaires étrangères du 12 mai. Sur ce point, nous partageons la même approche avec nos partenaires – le maintien d'une position commune entre les 28 États membres est d'ailleurs un enjeu décisif.
Nous devons faire preuve de fermeté, en particulier à l'égard des séparatistes de l'est de l'Ukraine et de la Russie, tout en prônant la désescalade, la diminution des tensions et de la violence, et la recherche d'une solution par le dialogue, que ce soit au sein même de l'Ukraine ou entre ce pays et la Russie.
Nous avons par ailleurs décidé, avec plusieurs partenaires internationaux, de renforcer l'aide économique attribuée à l'Ukraine. La Commission évalue à 11 milliards d'euros les besoins du pays pour la période 2014-2020, dont 3 milliards seraient à la charge de l'Union européenne. Le 13 mai, un protocole d'accord sur l'assistance financière, comprenant un prêt de 1,61 milliard d'euros, a été signé. Une première tranche d'aide de 100 millions d'euros a été versée cette semaine.
Vis-à-vis de la Russie, nous devons faire preuve de fermeté, car nous ne pouvons pas accepter l'annexion de la Crimée, la déstabilisation du Sud-Est de l'Ukraine et les pressions de toutes sortes exercées sur le pays. Dans ses conclusions du 12 mai, le Conseil « affaires étrangères », où je représentais Laurent Fabius, a donc étendu les sanctions à 13 nouveaux ressortissants russes et, pour la première fois, à des entités commerciales situées en Crimée. Nous n'excluons pas que des sanctions supplémentaires soient prises contre la Russie s'il était démontré qu'elle tente de perturber le processus électoral du 25 mai.
Pour autant, nous pensons que la solution de la crise ne peut qu'être diplomatique. Seul un dialogue politique permettra d'assurer des relations pacifiques entre l'Ukraine et la Russie.
L'Union européenne est ainsi mobilisée pour mener des négociations sur l'énergie, et en particulier sur la fourniture de gaz à l'Ukraine par la Russie. La Russie passera au système de prépaiement en Ukraine à partir du 1er juin. L'Union européenne tente donc de résoudre le différend entre les deux pays sur le prix du gaz.
J'en viens à la politique intérieure de l'Union européenne, en commençant par l'enjeu décisif de la politique énergétique commune.
Le sujet a été à l'ordre du jour du Conseil européen de mars, et le sera à nouveau en juin. La crise ukrainienne souligne en effet davantage encore la nécessité d'assurer la sécurité de l'approvisionnement de l'Union et d'affirmer la solidarité entre les différents États membres.
Or cette question de la politique énergétique commune est fortement liée à celle du changement climatique, et nous souhaitons donc qu'elles soient appréhendées ensemble.
Pour l'instant, les travaux du Conseil s'articulent autour de trois enjeux.
Le premier est la préparation d'un accord pour le régime post-2020 à l'horizon 2030, sur la base des propositions de la Commission de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et de porter à 27 % la part des énergies renouvelables. Cela implique de bien évaluer les conséquences de cette politique pour chaque État membre, de s'accorder sur le partage de l'effort, de prendre des mesures afin d'éviter les fuites de carbone et d'assurer la compétitivité de nos industries énergivores, et de revoir, à partir de juillet, la directive sur l'efficacité énergétique.
Le deuxième est la préparation d'objectifs spécifiques d'interconnexions – un sujet auquel le Portugal et l'Espagne, « îlots énergétiques », attachent beaucoup d'importance, de même que les pays de l'est de l'Europe, exposés à des risques de coupures dans la livraison de gaz. Il convient d'investir ensemble dans des réseaux permettant d'assurer les échanges énergétiques entre les différents pays de l'Union.
Enfin, le troisième est l'adoption d'un plan d'action en matière de sécurité et de dépendance énergétique. Les pistes explorées portent sur les mesures d'efficacité énergétique, la diversification des sources d'approvisionnement ou les mécanismes de solidarité tels que l'achat groupé. C'est dans ce contexte que les échanges entre le Président de la République et le Premier ministre polonais ont permis d'enregistrer des avancées et de proposer des pistes très concrètes.
Deux points me paraissent devoir être soulignés.
D'abord, nous voulons que le Conseil européen de juin ne soit pas seulement une étape procédurale, mais l'occasion pour les pays membres de s'engager sur des objectifs concrets. Nous voulons en effet être prêts à prendre des décisions lors du Conseil européen d'octobre, mais aussi présenter une position commune dans le cadre de la réunion organisée en septembre par le Secrétaire général des Nations unies, à New York. Nous devons aussi aboutir à un accord international ambitieux lors de la COP 21 qui se tiendra à Paris en 2015.
Ensuite, et je l'ai dit, nous plaidons auprès de nos partenaires pour que soient traitées ensemble la question de la sécurité de l'approvisionnement et celle de la lutte contre le changement climatique. Tous les pays, en effet, sont concernés par ces deux dimensions. Même si nous comprenons l'urgence de prendre des dispositions au bénéfice des États très dépendants d'un seul fournisseur – certains importent de Russie la totalité de leur gaz –, tout le monde doit prendre sa part dans le mouvement de transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le troisième sujet que je souhaitais évoquer, c'est bien sûr notre priorité consistant à remettre la croissance et l'emploi au coeur de l'agenda européen. Cette préoccupation figure d'ailleurs au premier rang de celles qui inspirent l'action du Président de la République et du Gouvernement depuis maintenant deux ans.
Beaucoup a été fait : l'euro, qui était, il y a peu encore, menacé d'implosion, a été sauvé ; les deux premiers piliers de l'Union bancaire, relatifs à la supervision et à la résolution, ont été adoptés par le Parlement européen sortant ; les capacités d'intervention de la Banque européenne d'investissement ont été augmentées de 10 milliards d'euros, ce qui donne à l'Union la possibilité d'investir 60 milliards d'euros supplémentaires, et se traduit en France par une augmentation du volume de prêts, lesquels passent de 4,5 à 7,8 milliards d'euros en 2013, au bénéfice notamment les petites et moyennes entreprises, du plan campus et du plan Hôpital avenir ; les premiers project bonds ont été lancés par la BEI, avec bientôt un projet français ; des avancées ont été obtenues en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, grâce à un accord sur les échanges automatiques de données, et de lutte contre le dumping social, via la directive sur le détachement des travailleurs ; une « garantie jeunesse » est créée, adossée à un fonds de 6 milliards d'euros, afin d'accompagner les jeunes vivant dans les régions où le taux de chômage est supérieur à 25 % et de les aider à trouver un emploi, une formation ou une qualification.
Ces grands chantiers doivent encore connaître des développements importants dans les prochains mois.
Sur l'union bancaire, suite à l'accord sur les textes relatifs au mécanisme de résolution unique, le Conseil devra adopter dès cet été un acte d'exécution pour répartir entre les banques européennes leur contribution à la constitution du fonds de résolution. Ensuite, il nous faudra doter l'union bancaire de son troisième pilier, c'est-à-dire d'un mécanisme européen de garantie des dépôts. Il s'agit d'aller au bout de notre démarche de sécurisation et de régulation, d'éviter que puisse se reproduire une crise similaire à celle que nous avons connue en 2008, et de s'assurer que la spéculation ne pourra plus avoir de prise sur le système bancaire et financier en Europe.
Le renforcement de la zone euro est aussi pour nous une priorité. Le sujet a d'ailleurs été au centre des rencontres entre le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, ainsi que du dernier conseil des ministres franco-allemand. Nous souhaitons pour la zone une gouvernance renforcée, un président stable, une dimension parlementaire, mais aussi, à terme, une capacité financière, comme l'a proposé le Président de la République. Cette gouvernance rénovée devra permettre à ce qui constitue le coeur de l'Union de soutenir les investissements et la croissance, mais aussi de rechercher une convergence sociale et fiscale.
Concernant la taxe sur les transactions financières, un accord a été trouvé entre dix pays. Elle s'appliquera à partir du 1er janvier 2016 aux transactions portant sur les actions et certains dérivés. L'objectif est que d'autres pays viennent progressivement se joindre à cette initiative.
La présidence italienne, qui débute le 1er juillet, constitue une opportunité pour ce qui concerne la priorité donnée à la croissance et à l'emploi, comme j'ai pu le constater lors de mon déplacement à Rome le 23 avril dernier.
De ce point de vue, le Conseil européen d'octobre, traditionnellement dédié aux questions économiques, sera un rendez-vous important. Certes, la question des contrats de partenariat et des mécanismes de solidarité associés figure à son agenda. Mais la présidence italienne – et nous partageons sa préoccupation – voudrait également faire de ce sommet un « Conseil européen de l'économie réelle », destiné à concentrer tous les efforts sur une croissance encore trop faible. Ce sera également une bonne occasion de revenir sur les enjeux industriels, l'objectif étant de porter à 20 % du PIB européen la part de l'industrie dans l'économie. Toutes les politiques européennes doivent y concourir, y compris la politique de la concurrence et la politique commerciale.
De même, nous devons prolonger l'action engagée dans des domaines essentiels pour l'avenir, comme le numérique ou la défense.
J'en viens aux négociations sur le partenariat commercial transatlantique, lesquelles doivent être à la fois abordées de façon pragmatique et fondées sur des principes. Un partenariat commercial entre l'Union européenne et les États-Unis présente un intérêt économique dans la mesure où il offrira aux entreprises européennes et françaises la possibilité de pénétrer davantage sur le marché américain. C'est vrai dans une multitude de secteurs, qu'il s'agisse de l'agriculture – je pense ainsi aux produits laitiers, pour lesquels le marché américain est d'un accès peu aisé –, de l'industrie ou des marchés publics, encore très fermés, au niveau fédéral comme à celui des États. La négociation vise donc à réduire les barrières, tarifaires ou techniques, qui font obstacle aux échanges commerciaux.
Mais nous sommes attentifs à ce que soit conservée la capacité normative de l'Union européenne en matière de protection des consommateurs ou de sécurité sanitaire des aliments. Comme l'a rappelé la secrétaire d'État au commerce extérieur, nous n'accepterons évidemment pas que soient remises en cause l'interdiction du boeuf aux hormones ou celle du poulet chloré. De même, nous avons été très fermes en matière de protection de la diversité culturelle, et c'est pourquoi les services audiovisuels ont été exclus de la négociation. Nous sommes prêts à discuter de l'adoption de normes industrielles communes afin de favoriser les échanges commerciaux, mais sans compromettre nos grandes préférences collectives.
Par ailleurs, nous considérons que la négociation doit être menée dans la transparence. Non seulement nous plaidons en ce sens auprès de la Commission européenne, mais nous informerons le Parlement de chaque étape de la discussion.
Rappelons en tout état de cause que cet accord, lorsqu'il sera établi, ne pourra entrer en vigueur qu'après avoir été signé et ratifié par tous les États membres, et une fois recueillie l'approbation des parlements nationaux comme du Parlement européen. Le contrôle démocratique sera donc assuré.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le président, de souligner la nécessité pour l'Union européenne de continuer à faire de la politique de voisinage en direction du sud une priorité. Nous sommes désireux de maintenir l'équilibre trouvé lors de l'adoption du budget pluriannuel de l'Union, qui consacre aux pays situés au sud de la Méditerranée deux tiers du financement de la politique de voisinage. Au moment où les printemps arabes ont permis à certains pays comme la Tunisie de franchir des étapes très importantes en direction de la stabilité politique, il est en effet indispensable de soutenir leur développement. La future présidence italienne y attache également une très grande importance. Il faut développer les ambitions de l'Union pour la Méditerranée, investir en commun dans des secteurs d'avenir comme l'énergie, les échanges culturels et la formation des jeunes, mais aussi aider les pays concernés à faire face aux questions migratoires, notamment grâce au renforcement de l'agence Frontex.
Vous avez évoqué, monsieur le président, le lien entre politique de voisinage et élargissement. Pour nous, il s'agit clairement de deux politiques différentes. La première est nécessaire dans la mesure où elle contribue à la paix, à la sécurité et à la stabilité, mais elle ne doit pas être confondue avec la seconde.
S'agissant de la Turquie, les négociations en vue d'une adhésion ont été entamées en 2005, et un certain nombre de chapitres ont été ouverts. Le pays enregistre des progrès dans certains domaines, mais sur d'autres plans, les choses n'ont pas beaucoup avancé. Compte tenu des difficultés qu'il rencontre, le pays est encore très loin de voir aboutir la procédure, dont personne ne peut prédire quelle en sera l'issue. La priorité, pour l'Union européenne, est de connaître un approfondissement, d'améliorer sa cohésion, de devenir un espace de croissance et de rechercher une convergence économique et sociale – quitte à prendre le chemin d'une Europe différenciée si les pays souhaitant aller plus loin parviennent à trouver la dynamique nécessaire.
Le Conseil européen de juin sera l'occasion de fixer des orientations pour l'établissement du programme « post-Stockholm », qui couvre, pour les cinq prochaines années, toutes les politiques qui relèvent du champ de la justice et des affaires intérieures. Au sujet du parquet européen, qui fait partie des projets importants, notons qu'une large majorité d'États membres s'est ralliée à notre position en faveur d'un fonctionnement collégial.
Je ne saurais conclure sans évoquer la question de la défense, l'actualité des derniers mois ayant montré la nécessité, pour l'Europe, de se doter d'une véritable politique de sécurité et de défense commune (PSCD).
Le Conseil européen de décembre 2013 a fixé trois priorités : l'amélioration des capacités européennes en matière de défense, notamment par un investissement accru dans certains armements modernes comme les drones ; un soutien européen plus marqué à l'industrie de défense, en particulier en matière de recherche et développement ; une réflexion sur le renforcement de l'efficacité des missions de PSDC et sur la refonte de leur mode de financement. La mise en oeuvre de ces conclusions doit être notre priorité.
La situation en Afrique, et en particulier au Mali, nous a conduits à mobiliser nos partenaires, lesquels sont désormais à nos côtés dans le cadre de la mission de formation de l'armée malienne, EUTM Mali. La brigade franco-allemande est également déployée dans ce pays. Quant à la crise ukrainienne, elle n'a fait que souligner la nécessité pour l'Europe de se doter d'une politique étrangère et de défense autonome, même si elle continuera évidemment à travailler dans le cadre de l'OTAN.
Tels sont les sujets que je souhaitais aborder en introduction à cet échange. Vous pouvez compter sur mon engagement et ma mobilisation à vos côtés pour faire avancer la construction européenne, plus indispensable que jamais, et relever les défis qui se présentent à nous.