Intervention de Harlem Désir

Réunion du 21 mai 2014 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état chargé des Affaires européennes :

Pour ce qui est, monsieur Destot, de la politique énergétique, il faut d'abord rappeler que la situation du mix énergétique est très différente dans les différents États membres, car l'Union laisse chaque pays libre à l'égard, par exemple, du choix du nucléaire, et parce que les dépendances sont différentes en matière d'approvisionnement.

Deux enjeux sont cependant communs. Le premier consiste à assurer la solidarité entre les États membres en développant ensemble des interconnexions, au moyen par exemple de gazoducs permettant des livraisons de l'Ouest vers l'Est, en direction des pays d'Europe centrale et orientale, notamment de la Pologne, et non pas seulement de l'Est vers l'Ouest. J'ai également évoqué tout à l'heure la question de la connexion à l'électricité dans la péninsule ibérique. Il faut créer une solidarité européenne en matière d'énergie, et non pas seulement un marché européen de l'énergie, et assurer une plus grande indépendance énergétique en développant des ressources parfois désignées comme « indigènes ».

Ces ressources peuvent être très variées – dans certains pays, on pense au gaz de schiste ou au charbon, mais il peut s'agir également des sources d'énergies renouvelables, comme la géothermie, le solaire ou l'éolien, qui permettent également d'accroître l'indépendance énergétique de l'Union européenne.

Cependant, la principale source d'indépendance énergétique reste probablement l'efficacité énergétique, c'est-à-dire la capacité à consommer moins d'énergie. Des évaluations sont en cours à cet égard, mais on sait déjà que, si toute l'Europe se mobilise conjointement au cours des prochaines années pour l'isolation thermique des logements et des bâtiments, il y a là un potentiel considérable d'activité économique et de création d'emplois – de l'ordre de un million – difficilement délocalisables, car cette activité fait appel à de petites entreprises et à des matériaux que nous pouvons fabriquer nous-mêmes.

Le deuxième enjeu commun à tous les pays de l'Union est la lutte contre le changement climatique et la réduction de l'émission de gaz à effet de serre. C'est là encore un objectif à partager. À cette fin, il faut nous donner des cibles – 40 % de réduction des émissions de gaz et 27 % d'énergies renouvelables –, mais surtout des instruments, et investir ensemble. Ainsi, comme l'indique le document que nous soutenons ensemble auprès de nos partenaires, la Pologne propose que nous utilisions davantage les fonds structurels européens pour soutenir ses objectifs de politique énergétique commune : alors qu'en règle générale, un projet financé avec des fonds européens suppose des financements nationaux à hauteur de 50 % du total, on pourrait imaginer que, pour des projets destinés à bâtir des infrastructures de transport d'énergie et d'interconnexions, la part de financement européen pourrait être portée à 70 %, permettant, puisqu'il s'agit d'investissements européens, d'utiliser à plein les capacités d'investissement européennes sans contraindre les États membres à trouver des ressources dans leurs budgets nationaux.

Nous voulons également, comme l'indiquent les conclusions du dernier conseil des ministres franco-allemands, investir davantage ensemble dans la recherche et l'innovation dans le domaine de l'énergie, notamment dans le stockage de celle-ci, qui sera l'un des éléments essentiels du développement du véhicule électrique. À ce propos, nous devons nous fixer pour objectif de tracer des autoroutes électriques, c'est-à-dire de faire en sorte que toutes les grandes liaisons autoroutières européennes disposent de bornes de rechargement électrique respectant les mêmes normes européennes, afin que le véhicule électrique ne soit pas utilisé seulement pour le transport de proximité, mais pour une utilisation ordinaire.

Ces domaines doivent être couplés avec une ambition industrielle. Nous sommes convaincus que, si nous pouvons, notamment au moyen des budgets de soutien à la recherche et à l'innovation, encourager les industriels des différents pays européens à mettre ensemble leur capacité dans ces domaines, nous construirons des géants industriels qui permettront de répondre aux besoins nouveaux de l'Europe de l'énergie, qui est le grand projet européen des cinq prochaines années et doit être le coeur de la mobilisation européenne avec la prochaine Commission européenne.

Pour ce qui est de l'organisation du ministère, le rattachement du commerce extérieur au ministère des affaires étrangères et la volonté de mettre la diplomatie économique au coeur de nos affaires étrangères concernent aussi le secrétariat d'État aux affaires européennes. Nous travaillons en étroite liaison avec la secrétaire d'État au commerce extérieur et au tourisme et, à chacun de mes déplacements, comme la semaine dernière à Varsovie, je rencontre la communauté d'affaires française, avec laquelle nous travaillons à développer la présence des entreprises françaises sur le marché européen, car nous avons des capacités, des savoir-faire et des technologies qui peuvent répondre à de nombreux besoins. C'est également le cas dans la politique de voisinage : j'ai eu l'occasion de rencontrer à Bruxelles les représentants des différents secteurs économiques de la France, qui sont également très présents auprès des institutions européennes, et nos entreprises ont beaucoup à apporter à cette politique par la qualité de leurs services.

Monsieur Poniatowski, je vous remercie de vos commentaires sur les objectifs que nous pouvons partager. Du reste, même le point que vous avez évoqué comme un point de différence n'est pas un point de contradictions, car nous sommes nous aussi pleinement convaincus que la politique de soutien à la croissance tient à la fois à la politique qu'il faut mener en France et au soutien à la croissance en Europe. Nous sommes à cet égard pleinement mobilisés grâce au pacte de responsabilité, pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et leur capacité à investir et à moderniser leur outil de production, pour rattraper notre retard dans ce domaine et pour gagner la bataille de l'innovation, car c'est ce qui nous permettra de gagner la bataille de l'emploi. Cependant, nous voulons aussi que, soient créées sur le plan européen les conditions du soutien à la croissance, car les politiques d'austérité très durement imposéed après la crise de 2008 ont finalement aggravé la récession. Il faut donc à la fois nous employer à la consolidation budgétaire dans chacun de nos pays et réduire les déficits et les endettements, et le faire à un rythme et dans des conditions compatibles avec le soutien à l'économie réelle, c'est-à-dire aux entreprises, aux ménages et à la relance de la croissance. Sur ce point donc, nous ne divergeons pas.

Pour ce qui est de la Turquie, il me semble avoir déjà répondu à votre question. Le processus suit son cours. Certains chapitres sont ouverts, comme celui consacré à la politique régionale, qui a été ouvert à la demande de la France, et d'autres ne le sont pas. Ce processus de modernisation permet à la Turquie de faire des progrès.

En revanche, dans de nombreux domaines liés au droit, aux libertés et à la justice, la Turquie est encore très loin de répondre aux critères européens. Il n'y a pas aujourd'hui de perspective de voir déboucher rapidement ce processus. En outre, comme vous l'avez rappelé, si cette question se posait, elle donnerait lieu à un référendum. Au demeurant, elle n'est pas d'actualité et ne le sera pas au cours du prochain mandat de la Commission européenne.

Nous souhaitons cependant entretenir de bonnes relations avec la Turquie, qui est un partenaire important sur le plan stratégique dans la région méditerranéenne, face aux troubles que connaît son voisinage – en Syrie, mais aussi en Libye, la Turquie peut jouer un rôle de stabilité important.

La Turquie est également pour la France un partenaire économique très important, lié avec nous par une union douanière et avec lequel les relations doivent se poursuivre, en souhaitant que ce pays connaisse une démocratisation continue au cours des prochaines années.

La position des autorités françaises quant à la présidence de la Commission européenne a été exprimée très clairement par le Président de la République dans sa tribune du 8 mai, où il a rappelé que pour la première fois, en élisant le Parlement européen, les électeurs allaient également désigner le futur président de la Commission européenne en vertu de l'article 17 du traité de Lisbonne, qui dispose que le Conseil propose un candidat à la présidence de la Commission en tenant compte du résultat des élections européennes, c'est-à-dire de la formation politique que le vote des citoyens européens a portée en tête.

Telle est bien la dynamique de cette élection, durant laquelle des débats entre les cinq candidats des partis européens ont été retransmis dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Il faut souhaiter que le prochain président de la Commission européenne soit une personnalité forte, issue de ce soutien citoyen, et que s'établissent entre lui et le Conseil européen des relations de travail. Autant que le choix du futur président, qui relèvera pour l'essentiel du résultat de l'élection, il faudra engager, dès le lendemain de celle-ci et du choix du candidat, qui sera soumis vote du Parlement européen, un débat sur les priorités de la future Commission européenne. La France juge essentiel que la future présidence de la Commission et le futur collège des commissaires travaillent selon une feuille de route qui soit celle d'une ambition pour l'Europe – ambition de croissance et d'emploi et ambition de développer l'Europe de l'énergie et de la défense, dont vous avez souligné l'importance et l'urgence – certains de nos partenaires ont encore besoin d'en être convaincus.

Quant à la déclaration du ministre des affaires étrangères, elle ne présente pas de contradiction avec ce qui avait été dit, car elle prend simplement en compte l'évolution de la situation cette famille. Le ministre s'est borné à rappeler que, s'il y avait tentative de fraude, la réponse ne pourrait être que négative. Cette question est maintenant derrière nous.

Monsieur Baumel, vous m'avez interrogé sur les alliances entre groupes européens. De fait, si nous n'avons pas de stratégie industrielle commune dans le domaine du solaire, aussi ambitieux que soient nos objectifs, ce seront des industriels chinois qui capteront ce marché. Ce serait un paradoxe, car nous avons les savoir-faire et les technologies, mais n'avons pas été capables de protéger nos industriels par une politique commerciale et de les inciter à constituer des alliances. La France est évidemment favorable à des regroupements industriels, car le marché européen est, en termes généraux, le premier marché mondial mais, à la différence du marché américain ou chinois, il est très morcelé et il ne suffit pas de fixer des règles de libre circulation des biens, des services et des capitaux : il faut aussi aider à constituer des géants industriels.

La doctrine de la concurrence de l'Union européenne doit prendre en compte le fait que, bien que certains regroupements semblent occuper des positions très fortes sur le marché européen, il convient de les rapporter au marché mondial, car ils doivent permettre à des industries européennes de continuer à faire face à la concurrence mondiale. Ainsi, nul ne remettrait aujourd'hui en cause la pertinence de la constitution du groupe Airbus. Celui-ci a certes une position dominante en Europe mais, face à un concurrent tel que Boeing, il était important que les industries aéronautiques française, allemande, britannique et espagnole se regroupent pour créer un géant européen capable de faire face à la concurrence à la fois au niveau mondial et au niveau européen. Dans le domaine de l'énergie, c'est à cette échelle que se constitueront les groupes du futur. Je partage donc pleinement votre préoccupation à cet égard.

La politique de voisinage doit permettre aux pays du Maghreb de développer encore leurs relations avec l'Union européenne. J'ai participé la semaine dernière à Bruxelles à une réunion du conseil d'association avec l'Algérie, représentée par son ministre des affaires étrangères. Les accords privilégiés que nous avons noués l'Algérie, ainsi qu'avec le Maroc et la Tunisie, portent sur les échanges commerciaux, mais aussi culturels et technologiques. La rive Sud de la Méditerranée est notre partenaire le plus étroit pour l'avenir.

L'Afrique est confrontée de très grave crise, à une très grande instabilité et à des risques de terrorisme, comme on le voit au Nigéria et comme on l'a vu au Mali, mais ce continent possède également une formidable dynamique de croissance, avec une jeunesse qui accède à des niveaux de formation de plus en plus élevés et qu'il ne faut pas laisser partir se former ailleurs, par exemple aux États-Unis ou au Canada. Vous avez souligné à juste titre qu'il ne fallait pas laisser les investisseurs chinois, indiens latino-américains exploiter seuls ce potentiel de développement. L'Afrique a envie de renouveler ses relations avec l'Europe, mais il faut pour cela nouer une alliance euro-africaine qui contribue au développement de ce continent tout en se révélant très bénéfique pour notre propre croissance.

Monsieur Saïd, nous avons demandé à nos partenaires et à la Commission européenne, et obtenu d'eux, que la politique africaine de l'Europe lie en permanence trois grandes dimensions : la sécurité et la stabilité, les échanges commerciaux et la démocratie. C'est en avançant selon ces trois dimensions que nous pourrons faire face à des crises comme celle qu'a connue le Mali, où il nous a fallu répondre à une situation sécuritaire et assurer l'organisation d'élections démocratiques, et où il nous faut maintenant être présents, même si tous les problèmes de sécurité ne sont pas encore réglés dans le Nord, pour accompagner le développement économique et les échanges commerciaux. C'est parce que ces trois pieds seront solides que la situation s'améliorera.

Monsieur Le Borgn', vous avez vous aussi demandé quelle serait la position de la France en cas de blocage dans la désignation du président de la Commission européenne au lendemain des élections. En réalité, il nous faut souhaiter qu'il n'y ait pas de crise institutionnelle entre le Conseil européen et le Parlement européen à l'issue des élections et que le Conseil européen, qui a la prérogative de désigner le candidat à la présidence de la Commission, tienne compte du résultat de l'élection, comme le prévoit le traité, et engage avec le futur président de la Commission européenne une relation de travail sur les priorités des cinq prochaines années. Le président de la Commission européenne doit avoir une forte légitimité et doit pouvoir s'appuyer sur une bonne relation avec le Parlement européen pour donner les impulsions nécessaires.

Quant à savoir comment assurer une meilleure transposition des directives, c'est sans doute en travaillant plus étroitement encore avec l'Assemblée nationale. Je propose que nous fassions régulièrement le point sur l'état des transpositions.

L'Europe doit être efficace sur les grands enjeux tels que la politique énergétique, le soutien à la croissance et les politiques de défense, de voisinage et de sécurité, mais elle doit aussi être moins tatillonne sur certains sujets. S'il est normal que l'Europe ait édicté des normes en matière environnementale, comme elle l'a fait à propos des nitrates, il n'était pas indispensable que certaines directives soient surtransposées – je pense notamment aux élevages de porcs en Bretagne. Il faut bien transposer et les normes européennes doivent être utiles à l'intérêt commun européen, mais nous n'avons pas besoin de directives européennes réglementant la façon de servir l'huile d'olive dans les restaurants ou la taille des concombres.

Ce que l'on attend aujourd'hui de l'Union européenne, c'est qu'elle nous aide à faire face ensemble aux grands défis que chacune de nos nations doit surmonter et que nous serons plus forts pour surmonter ensemble, à 28, que séparément. Il s'agit là, bien évidemment, de l'un des grands enjeux du rendez-vous de dimanche prochain, auquel il nous faut tous, au-delà de nos différences, inviter les Français à participer massivement pour donner du poids à la voix de la France en Europe.

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