Intervention de Didier Migaud

Réunion du 17 juin 2014 à 17h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Le rapport que je présente analyse de façon prospective et rétrospective la situation des finances publiques. Cinq messages s'en dégagent :

– tout d'abord, un effort d'ampleur a été engagé mais cet effort n'a conduit en 2013 qu'à une réduction limitée des déficits, très en deçà des objectifs fixés ;

– la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante, les déficits sont toujours importants, la dette continue d'augmenter, les comptes publics restent plus dégradés que ceux de la moyenne européenne ;

– la prévision de déficit pour 2014, déjà révisée à la hausse en mai, risque d'être dépassée ;

– pour respecter la nouvelle trajectoire des finances publiques tout en baissant les prélèvements obligatoires, un niveau élevé d'économies sur les dépenses devra être réalisé, tout particulièrement dès 2015 ;

– un tel effort ambitieux n'a rien d'inaccessible. D'autres pays comparables l'ont fait et des marges de manoeuvre existent pour réduire le poids des dépenses publiques.

La Cour, dans son premier message, tient à souligner qu'un effort d'ampleur a été engagé mais n'a conduit en 2013 qu'à une réduction encore limitée des déficits, très en deçà des objectifs fixés. Les mesures prises depuis 2011 pour redresser les finances publiques ont produit des premiers résultats tangibles : de 7,5 % du PIB en 2009, le déficit s'est en effet réduit pour atteindre 4,3 % en 2013. Le déficit structurel, calculé indépendamment de la conjoncture, s'est lui aussi réduit, passant de 4,2 % à 3,1 % du PIB. Ces résultats sont réels mais décevants au regard de l'ampleur des mesures prises, qui ont représenté 1,5 % du PIB d'effort structurel. Certes, la croissance des dépenses publiques a été ralentie et les normes d'évolution des dépenses concernant le budget de l'État et l'assurance maladie, fixées à des niveaux plus exigeants qu'auparavant, ont été respectées. Le faible niveau de l'inflation et la baisse de la charge d'intérêts de la dette ont facilité une évolution modérée des dépenses.

La quasi-totalité de la réduction du déficit a résulté d'un effort en recettes, à hauteur de 1,4 % du PIB. Toutefois, les moins-values constatées sur l'impôt sur le revenu et sur l'impôt sur les sociétés soulèvent une nouvelle fois la question de la qualité, voire de la sincérité des prévisions de recettes fiscales.

À la différence de beaucoup d'autres pays, l'effort réalisé depuis 2011 a très majoritairement reposé sur une augmentation continue et forte des prélèvements obligatoires : 18 milliards d'euros en 2011, 22 milliards en 2012 et 29 milliards en 2013. L'affaiblissement sensible et mal expliqué, en 2013, du volume des impôts collectés illustre les limites de cette politique.

Le secteur public local n'a pas apporté la contribution attendue au redressement des comptes publics. Le déficit global des collectivités territoriales est passé de 3,7 milliards d'euros en 2012 à 9,2 milliards d'euros en 2013. La progression des dépenses de fonctionnement, soit + 2,8 %, reste soutenue.

Le déficit de la sécurité sociale ne se réduit quasiment plus depuis 2011 en raison du faible dynamisme des recettes. Alors que les comptes des branches vieillesse et accidents du travail du régime général se redressent, le déficit des branches maladie et famille s'est creusé. Ainsi la réduction du déficit en 2013 a-t-elle été sensiblement plus lente que prévu.

La Cour, dans son deuxième message, rappelle que la situation actuelle des finances publiques demeure préoccupante. La dette a progressé en 2013 de 84 milliards d'euros, soit 1 300 euros supplémentaires par habitant. Le fait que le niveau de la dette publique ne soit toujours pas stabilisé rend la situation préoccupante : elle atteignait 1 925 milliards d'euros fin 2013, soit 94,1 % du PIB. Près d'un mois de dépenses publiques est financé par l'emprunt. La faiblesse des taux d'intérêt contribue à rendre insensible à ce poison lent qu'est la dette puisque, alors même qu'elle progresse, son coût immédiat se réduit. La charge des intérêts est passée de 52,2 milliards à 46,7 milliards d'euros. Mais le retour de la croissance s'accompagnera tôt ou tard d'une remontée des taux d'intérêt.

Rompre la spirale de l'endettement est indispensable pour redonner au pays les marges de manoeuvre nécessaires, stimuler la croissance et améliorer sa compétitivité. S'ajoute le constat que la dette, dans sa quasi-totalité, a servi à financer des dépenses courantes. Cela pose un problème d'équité entre les générations car ces dépenses n'auront pas servi à préparer l'avenir.

Ces raisons sont à elles seules suffisantes. S'y ajoutent d'autres arguments, notamment la nécessité de respecter les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens, le recul de sa situation par rapport à ses voisins européens et la nécessité de mieux asseoir la crédibilité de sa signature.

En effet, la France ne se situe plus sur la trajectoire qu'elle s'est fixée elle-même par la loi de programmation des finances publiques, adoptée il y a seulement un an et demi, fin 2012. Cette trajectoire constitue toujours la référence au regard du droit national et des obligations résultant du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Elle prévoyait un déficit public réduit à 3 % en 2013. L'écart est donc de 1,3 point en termes de déficit effectif et de 1,5 point en termes de déficit structurel, c'est à dire mesuré hors effets de la conjoncture économique. Une telle situation a conduit le Haut Conseil des finances publiques à constater un écart important rendant nécessaire un mécanisme de correction, ainsi que le prévoit la loi organique du 17 décembre 2012 relative à programmation et à la gouvernance des finances publiques.

La situation des finances publiques, bien qu'en voie d'amélioration, demeure plus dégradée que dans les autres pays européens. Le déficit public, de 4,3 % du PIB en 2013, est supérieur à la moyenne de l'Union européenne – 3,3 % –, et à celle de la zone euro – 3 %. Avec un niveau de croissance légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro, la France a réduit son déficit dans des proportions semblables à ses partenaires. La dette publique y a augmenté un peu plus vite que la moyenne. Pour la première fois, le niveau de dette français se situe au-dessus des deux moyennes de l'Union européenne et de la zone euro. Bien que ralenti, le rythme de croissance des dépenses publiques en France a été encore sensiblement plus rapide que chez ses voisins en 2013.

La lenteur du rééquilibrage ne doit pas faire douter de son bien-fondé ni de sa nécessité. On n'efface pas les conséquences de quarante années de gestion déséquilibrée des finances publiques en quatre années et au lendemain de la crise économique la plus grave qu'ait connue notre pays depuis l'entre-deux-guerres. Un effort de cette nature doit donc être poursuivi dans la durée.

Le troisième message concerne les risques entourant la réalisation des objectifs pour l'année en cours. Fixé à 3,6 %, l'objectif de déficit public a été révisé à la hausse à 3,8 % à l'occasion du programme de stabilité de mai.

La Cour a identifié des risques importants de moindres recettes. Des moins-values possibles peuvent être associées à une surestimation de l'élasticité des recettes publiques, c'est-à-dire de la manière dont elles réagissent à l'évolution du PIB. Déjà, l'importante surestimation de cette hypothèse en 2013, qui constitue un défaut récurrent dans la construction des budgets, a entraîné 8 milliards d'euros de moindres recettes pour l'ensemble des administrations publiques. Pour 2014, la Cour estime à 2 à 3 milliards d'euros au total les risques liés à ces hypothèses d'élasticité. Il existe aussi un risque tenant à une fragilisation de la prévision de croissance de 1 % sur laquelle reposent les prévisions de recettes. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis du 5 juin dernier, a estimé que cette prévision apparaissait désormais élevée.

S'agissant des dépenses en 2014, la Cour a examiné en détail la situation budgétaire de l'État à mi-année. Elle a constaté que les risques de dépassement des crédits étaient un peu plus importants que les années précédentes. Ils concernent par exemple les ministères de la Défense et de l'Agriculture. Mais la Cour estime que les objectifs de dépenses pourraient être atteints, notamment grâce à l'annulation de crédits mis en réserve. Les objectifs de dépenses des régimes de sécurité sociale devraient également être tenus. Les prévisions concernant l'assurance chômage risquent en revanche d'être dépassées. Surtout, les dépenses des collectivités territoriales, même révisées à la hausse, paraissent encore sous-estimées.

Au total, le déficit des administrations publiques pourrait dépasser l'objectif de 3,8 % et être proche de 4 %, voire légèrement supérieur si la prévision de croissance du Gouvernement ne se réalisait pas. Dans ce cas, le respect de la trajectoire des finances publiques pour les années 2015 à 2017 s'en trouverait immédiatement fragilisé.

Le quatrième message concerne les perspectives des finances publiques pour les années à venir. Une nouvelle trajectoire, qui devrait être formalisée par le vote d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques, a été fixée. Elle intègre les baisses de prélèvements obligatoires annoncées en faveur de la compétitivité des entreprises et du pouvoir d'achat des ménages. La Cour a estimé à 14 milliards d'euros le coût net de ces mesures. En effet, la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ainsi que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité représentent un allégement de 35 milliards d'euros. Mais le programme de stabilité prévoit parallèlement une augmentation d'autres prélèvements, pour 21 milliards d'euros. Ainsi, les prélèvements obligatoires devraient baisser de 14 milliards d'euros d'ici 2017, l'essentiel de cette baisse intervenant en 2015 et en 2016.

Pour tenir les objectifs de réduction des déficits, tout en finançant ces baisses d'impôts, l'évolution des dépenses publiques devra être davantage ralentie, de l'ordre de 0,1 % en plus de l'inflation, alors que ce taux était chaque année en moyenne de 2,3 % entre 2000 et 2008 et de 1,4 % entre 2009 et 2012.

Il est d'usage d'évoquer des niveaux d'« économies » à réaliser, que le Gouvernement chiffre à 50 milliards d'euros sur trois ans. Ce chiffrage repose sur une comparaison avec une tendance d'accroissement des dépenses publiques à politique constante. La fixation de cette tendance relève de conventions diverses et fragiles, notamment la prolongation de tendances historiques sur une période de référence. Si le Gouvernement a pu maintenir le chiffre de 50 milliards d'euros d'économies avant et après prise en compte des nouvelles baisses de prélèvements obligatoires décidées, cela signifie qu'il a révisé à la baisse, implicitement, son hypothèse de croissance spontanée des dépenses, qui passe de 1,6 % à 1,5 % en plus de l'inflation. Sans cette révision conventionnelle, le montant d'économies aurait représenté 58 milliards d'euros. Si de telles révisions ne sont pas illégitimes dans leur principe, pour tenir compte du ralentissement de la tendance que l'on peut constater depuis le début des années 2000, les conventions et méthodes utilisées devraient être explicitées et rendues publiques.

La Cour a examiné le contenu du programme de 50 milliards d'euros d'économies annoncées. Elle relève qu'une partie de celles-ci, représentant une vingtaine de milliards d'euros, correspond à des orientations déjà décidées, par exemple la poursuite du gel des traitements de base des fonctionnaires, ou constitue la prolongation d'efforts déjà réalisés, s'agissant par exemple des dépenses de santé. La réalisation des 30 milliards d'euros restants est encore incertaine car peu documentée.

Les économies identifiées dans le cadre de la Modernisation de l'action publique, de l'ordre de 5 à 7 milliards d'euros, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Surtout, près de 15 milliards d'euros d'économies prévues reposent sur des administrations dont l'État ne maîtrise pas les dépenses : les régimes complémentaires de retraite pour 2 milliards d'euros, l'assurance chômage pour 1,5 milliard d'euros et les collectivités territoriales pour 11 milliards d'euros. Le Gouvernement anticipe un ralentissement marqué des dépenses de ces dernières sous l'effet du gel des dotations de l'État et d'un moindre effort d'investissement. Plus précisément, il anticipe qu'un euro de dotations en moins entraînera aussitôt un euro de moindres dépenses. Or, rien n'empêche certaines collectivités territoriales de relever la fiscalité locale ou de recourir à l'endettement pour accroître le niveau de leurs dépenses. L'expérience de 2013 ne peut, à cet égard, qu'attirer l'attention. Alors que les communes subissaient le gel des dotations de l'État, leurs dépenses de fonctionnement se sont accrues et leur déficit a progressé. En particulier, les dépenses de personnel ont progressé de 2,6 % dans les communes et de 7,2 % dans les intercommunalités.

Le choix d'un partage équilibré des efforts entre toutes les administrations publiques répond à une préconisation de la Cour. Mais pour assurer la réalisation de la trajectoire, un tel choix devrait se traduire simultanément par un renforcement des outils de programmation et de suivi des finances publiques. Les normes de dépenses concernant l'État et ses opérateurs pourraient être élargies. Les lois de finances et de financement votées par le Parlement ne concernent actuellement que l'État et la sécurité sociale. Leur champ pourrait être étendu à l'ensemble des régimes de protection sociale obligatoire, incluant les régimes d'assurance chômage et de retraite complémentaire. Des lois de finances locales pourraient aussi être instaurées. Elles fixeraient des objectifs d'évolution des dépenses et des recettes et prévoiraient les mesures permettant de les atteindre. L'effort demandé aux collectivités, dans le respect de leur libre administration, encadrée par les lois, serait précisé, avec des mécanismes de suivi en cours d'exécution. De son côté, l'État devrait clarifier ses engagements s'agissant de celles de ses décisions qui peuvent avoir un impact important sur les finances locales, notamment celles relevant de la politique salariale des fonctionnaires ou de l'édiction de normes diverses.

Les scénarios macro-économiques retenus restent fragiles, s'agissant particulièrement de l'évolution de la masse salariale et de la reprise de l'emploi. Le Haut Conseil des finances publiques considère à cet égard que l'hypothèse de croissance retenue pour 2015 – 1,7 % – n'est pas impossible à atteindre, mais qu'elle repose de manière optimiste sur la conjonction d'hypothèses favorables.

L'objectif de maîtrise des dépenses publiques apparaît ambitieux mais réalisable ; d'autres pays l'ont fait : les Pays-Bas ont réduit entre 1995 et 1999 de 10,3 % le niveau de leurs dépenses publiques et l'Allemagne est parvenue à un retour à l'équilibre structurel de ses comptes en agissant principalement sur ses dépenses. La part des dépenses publiques dans le PIB s'est réduite de 2,9 points de PIB entre 2001 et 2013 alors qu'elle a augmenté de 5,4 points en France, cette différence tenant à l'évolution des prestations sociales et des dépenses de fonctionnement. Un niveau de dépenses publiques élevé peut certes être considéré comme justifié et si ces dépenses sont financées dans la durée et que leur efficacité est garantie. Or, des marges de progrès importantes existent pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans que soient remis en cause la qualité du service rendu et le modèle social français. Les résultats atteints par nombre de politiques publiques ne sont pas à la hauteur des moyens investis. Faire mieux est possible en dépensant moins, d'autant que des marges de manoeuvre manquent à notre pays pour redresser sa compétitivité.

La Cour des comptes a retenu pour cette année trois champs de dépenses concernées par les économies à venir. Il s'agit d'objectifs réalisables qui supposent des arbitrages clairs et des décisions explicites. La maîtrise de la masse salariale publique est, en premier lieu, incontournable, puisqu'elle représente 23,2 % des dépenses publiques. Le programme de stabilité a prévu à cet égard que cette évolution définie par les pouvoirs publics devait désormais s'opérer à un rythme inférieur à l'inflation. Pour l'État, il importe de préserver des marges de manoeuvre salariales et de retenir comme « leviers » une baisse des effectifs des administrations publiques porteuse d'économies durables ainsi qu'une hausse du temps de travail ; il serait particulièrement utile d'établir sur ce point un état des lieux de la durée effective de travail dans les trois fonctions publiques.

L'État a déjà consenti beaucoup plus d'efforts que les autres administrations publiques pour maîtriser sa masse salariale alors que les effectifs se sont accrus de 1,3 % par an en moyenne dans les collectivités territoriales. Les administrations autres que celles de l'État – collectivités territoriales, hôpitaux – doivent, dans l'avenir, mieux contribuer à la maîtrise de la masse salariale publique, en réduisant fortement leurs recrutements et en se réorganisant.

Le rapport de la Cour des comptes aborde également la situation des collectivités territoriales. Il indique qu'une grande partie des économies attendues porte sur les dépenses de fonctionnement des communes sur les dépenses d'intervention des régions et sur une plus grande sélectivité des investissements locaux.

L'assurance maladie est la principale source du déficit de la sécurité sociale. La Cour insiste sur la nécessité d'une mobilisation résolue des gisements importants d'économies existants, sans réduire la qualité de notre système de santé. Les dépenses de santé pourraient ainsi être rendues plus efficaces grâce à un certain nombre de mesures : le développement de la chirurgie ambulatoire, domaine pour lequel notre pays est très en retard par rapport à nos voisins, permettrait de réaliser des économies à hauteur de 5 milliards d'euros ; il faut également mentionner une politique suivie du médicament, fondée sur une baisse des prix et le développement des génériques, et des mesures spécifiques en matière de transport des patients, d'analyses médicales et d'indemnités journalières.

En conclusion, la Cour ouvre des pistes année après année, rapport après rapport. Elle rappelle régulièrement que notre situation en matière de finances publiques présente un caractère préoccupant mais aussi que des remèdes existent.

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