Intervention de Paul Schwach

Réunion du 11 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Paul Schwach, directeur du transport aérien à la direction générale de l'aviation civile :

J'ai pris connaissance des débats que vous avez eus le 13 mai. Vous avez, selon moi, parfaitement analysé le sujet. Je ne vous apprendrai donc pas grand-chose sur le contexte de cet accord, ni sur ses tenants et aboutissants.

Je rappellerai néanmoins l'historique des accords. En 1998, la France et les États-Unis ont conclu un accord bilatéral sur le transport aérien. Au cours de la même période, une dizaine d'États européens ont signé des accords bilatéraux analogues avec les États-Unis. Dans plusieurs arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes a critiqué la manière dont ces accords avaient été établis ; sans les interdire totalement, elle en a modifié le contenu et la portée. Les États membres ont alors donné mandat à la Commission européenne pour négocier un texte entre l'Union et les États-Unis. Après une phase de négociation assez longue, un accord dit « ciel ouvert » a été signé en 2007.

Nous l'avons appelé accord « de première phase », car il était clair, dès 2007, qu'il ne répondait pas à toutes les attentes des deux parties, notamment sur les deux points principaux que vous avez rappelés. D'une part, l'Union européenne avait demandé avec insistance une libéralisation des règles américaines en matière de propriété des compagnies aériennes. Il existait – et existe toujours – un déséquilibre : alors que les Européens autorisent les étrangers à détenir jusqu'à 49,9 % du capital de leurs compagnies aériennes, les Américains limitent ce taux à 25 % pour leurs compagnies. L'objectif de l'Union était également de favoriser des consolidations entre compagnies aériennes. Or, pour des raisons de patriotisme économique, mais aussi à cause de la pression des syndicats, les États-Unis ont opposé un refus catégorique à toute évolution en la matière. Si l'administration fédérale était relativement ouverte, le Congrès y était farouchement opposé.

D'autre part, les États-Unis avaient réitéré avec force leur demande d'une évolution des règles européennes en matière de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports. La Convention de Chicago, qui a institué l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), prévoit dans son article 1er que chaque État exerce une souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire. Mais l'OACI a également formulé des recommandations pour éviter que chaque pays ne prenne des mesures contradictoires qui finiraient par bloquer le transport aérien international. Dans une résolution de 2001, elle a ainsi défini une doctrine en matière de restrictions d'exploitation, dénommée « approche équilibrée ». Or, depuis 2001, les États-Unis ont le sentiment d'appliquer convenablement cette approche, alors que les Européens ne joueraient pas le jeu. Aux États-Unis, une administration centralisée, la Federal Aviation Administration (FAA), a le pouvoir d'adopter des restrictions sur chacun des aéroports américains. En Europe, cette compétence appartient aux différents États – au ministère compétent ou aux préfets –, voire aux collectivités territoriales. De plus, les Américains affirment imposer peu de restrictions d'exploitation, tandis que les Européens prendraient des mesures dans tous les sens sans respecter la méthode fixée par l'OACI, soit pour des motifs purement locaux, soit pour pratiquer un protectionnisme déguisé.

Les questions relatives aux règles de propriété et aux restrictions d'exploitation n'ayant pas été traitées, l'accord de 2007 a prévu que les parties ouvriraient des négociations complémentaires, en vue de conclure un accord « de deuxième phase ». Celui-ci a été signé en 2010 : c'est le protocole qui vous est soumis actuellement, avec un certain retard.

Il était très important de l'adopter dans les délais prescrits car, à défaut, l'une ou l'autre partie aurait pu dénoncer l'accord de 2007, en vertu d'une clause contenue dans ce dernier. Or ledit accord a été jugé utile et bénéfique par les deux parties, tant pour les États que pour les compagnies aériennes et pour les passagers. Il a notamment favorisé les alliances et les partages de codes entre compagnies pour les liaisons transatlantiques. Il a sans doute évité que certains accords de coopération ne subissent les foudres de l'administration américaine pour des questions relatives au droit de la concurrence. Il a contribué à un accroissement de la concurrence et, partant, à une baisse relative des prix. Le trafic transatlantique s'est certes beaucoup moins développé que ne l'anticipaient les prévisions, en raison de la crise économique de 2008. Mais seuls les Britanniques portent un jugement mitigé sur cet accord, en raison de la place particulière de l'aéroport de Heathrow dans le trafic transatlantique. Pour sa part, la France estimait nécessaire de signer un protocole additionnel, afin que personne ne dispose d'un prétexte pour dénoncer l'accord. D'où l'attitude ouverte et positive qu'elle a adoptée dans la négociation.

Le protocole de 2010 était censé traiter les questions restées en suspens en 2007. Cependant, de notre point de vue, comme de celui de nombreux observateurs, il ne comporte aucune avancée notable. Les États-Unis ont confirmé leur opposition à tout changement relatif aux règles de propriété des compagnies aériennes. L'Union européenne, quant à elle, est restée très prudente sur l'évolution du cadre en matière de restrictions d'exploitation. Le protocole ne prévoit qu'un dispositif virtuel : si l'une ou l'autre partie fait évoluer sa réglementation, elle bénéficiera de quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. En réalité, il était nécessaire de conclure un protocole, aussi vide soit-il, pour empêcher que la clause de dénonciation de l'accord de 2007 ne puisse jouer.

Vous avez soulevé deux questions à propos de ce protocole. La première porte sur le droit de cabotage. D'une manière générale, les accords bilatéraux, y compris ceux conclus au niveau de l'Union européenne, ne prévoient pas de libéraliser le cabotage, c'est-à-dire de donner le droit aux compagnies aériennes étrangères d'exploiter des vols sur les lignes intérieures. Tel était notamment le cas des accords bilatéraux conclus séparément par les pays européens avec les États-Unis, notamment de l'accord franco-américain de 1998 : les compagnies françaises n'avaient pas le droit de pratiquer le cabotage aux États-Unis, de même que les compagnies américaines ne pouvaient pas le faire en France. Néanmoins, la plupart de ces accords, notamment les accords franco-américain et franco-allemand, octroyaient des droits de « cinquième liberté ». Ainsi, une compagnie française qui proposait des vols Paris-New York-Mexico pouvait embarquer des passagers à New York pour les emmener jusqu'à Mexico. De même, une compagnie américaine qui aurait exploité une ligne New York-Paris-Milan aurait pu transporter des passagers sur la seule portion Paris-Milan. En 2007, lorsque l'accord entre l'Union européenne et les États-Unis a été négocié, il a été convenu de ne pas revenir sur les droits de « cinquième liberté » accordés aux compagnies américaines, qui devenaient, de fait, des droits de cabotage intra-européen. Il était de toute façon très difficile de faire autrement, la conclusion d'un accord au niveau européen devant se traduire par une libéralisation accrue, et non l'inverse. De leur côté, les États-Unis n'ont pas proposé d'accorder la réciprocité en matière de cabotage aux compagnies européennes.

Toutefois, selon nous, cette situation ne nuit guère aux compagnies françaises : les droits de « cinquième liberté » sont utilisés en Europe par quelques compagnies américaines spécialisées dans le fret, telles que FedEx, mais pas par celles qui transportent des passagers. En effet, le modèle dominant reste celui des hubs : les compagnies américaines préfèrent que leurs avions effectuent des allers-retours entre New York et Paris, d'une part, et entre New York et Milan, d'autre part, plutôt que des liaisons New York-Paris-Milan. Ce ne serait guère rentable pour elles. D'une manière générale, les grandes compagnies internationales ont noué des alliances ou conclu des accords de partage de codes afin de proposer ce type de trajets. Reste qu'il existe bien une asymétrie entre les États-Unis et l'Union européenne en matière de droit de cabotage. Mais celle-ci préexistait à l'accord de 2007, et n'a fait que perdurer d'une négociation à l'autre. L'Union européenne paie le fait qu'elle est non pas un État intégré, mais la juxtaposition de vingt-huit États membres.

Votre deuxième question concerne les restrictions d'exploitation liées aux nuisances sonores. Comme je l'ai indiqué, la résolution adoptée par l'OACI en 2001 enjoint aux États d'appliquer une « approche équilibrée » lorsqu'ils adoptent de telles restrictions. S'ils constatent des nuisances sonores autour d'un aéroport, ils doivent envisager quatre types de mesures, qu'ils peuvent combiner : réduire le bruit à la source, en imposant l'utilisation d'avions moins bruyants ; prendre des mesures opérationnelles d'exploitation, par exemple en modifiant la trajectoire des avions ou en instaurant une procédure de descente continue ; limiter l'urbanisation des zones proches de l'aéroport, comme nous le faisons en France avec les plans d'exposition au bruit ; décider de restrictions d'accès à l'aéroport telles que le couvre-feu ou les créneaux nocturnes. Les États doivent réaliser une étude coûts-bénéfices et appliquer les éventuelles restrictions sans discrimination. Ils ne sauraient en aucun cas les utiliser à des fins de protectionnisme ou de limitation de l'ouverture du marché aérien.

Cette doctrine a été reprise dans la directive européenne 200230 relative à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté. La directive prescrit aux États membres de réaliser une évaluation des mesures qu'ils envisagent et de la présenter à la Commission européenne.

Lors de la négociation du protocole de 2010, les États-Unis ont cherché à obtenir un peu plus que ce que prévoit la directive. Ils ont demandé non seulement que les Européens appliquent l'approche équilibrée, mais aussi que la Commission européenne contrôle davantage l'action des États membres et des autorités locales en la matière. Ils souhaitaient disposer d'un interlocuteur unique et centralisé, doté de véritables pouvoirs, à l'image de la FAA. Or, le protocole a seulement prévu que, si l'Union européenne s'engageait dans cette voie, alors les compagnies européennes obtiendraient des États-Unis quelques droits de « septième liberté » supplémentaires. Il ne contient ni calendrier ni engagement précis de la part des Européens.

Quelle a été, dans ce cadre, l'action de l'Union européenne ? Elle a proposé, il y a un peu plus de deux ans, un « paquet aéroportuaire ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion