Intervention de Lucie Pinson

Réunion du 3 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Lucie Pinson, Les Amis de la Terre :

Un des plus grands défis en matière environnementale est la crise climatique. Or, tout laisse à penser d'après ce qui a pu « fuiter» des négociations que le sujet ne sera pas abordé dans l'accord. Cette crise risque de s'en trouver aggravée. En effet, d'une manière générale, une croissance des échanges internationaux entraine inévitablement une croissance des émissions de carbone : toute augmentation d'un point de PIB entraine une augmentation de 0,73 % des émissions. La Commission européenne, qui attend une augmentation de la croissance et du PIB, reconnaît elle-même que cet accord entrainera une augmentation des émissions de carbone. Le commerce des marchandises est responsable d'environ 10 % du dérèglement climatique et le transport maritime ou aérien d'environ 5 %. La totale libéralisation des échanges entre l'Union européenne et les États-Unis qui est attendue entraînera par conséquent une augmentation des émissions de CO2 de l'ordre de 4 à 11 millions de tonnes par an. Ce n'est certes pas énorme mais cependant en totale contradiction avec les objectifs européens de réductions des émissions.

Par ailleurs, le commerce international génère un échange des émissions incorporées aux biens et aux services. Or celles-ci croissent plus vite que les émissions globales mais disparaissent des calculs statistiques. Entre 2000 et 2008, par exemple, la France a réduit ses émissions de 7 %. En réalité, si l'on incorpore les émissions de biens et services échangées, le taux d'augmentation passe à 15 %. Il y a donc un problème de prise en compte statistique. Le mandat de la Commission européenne pour la négociation du projet d'accord transatlantique ne mentionne même pas les termes « climat » ou « lutte contre le dérèglement climatique » alors que l'Union européenne affirme de façon constante son leadership mondial en la matière. La France est dans la même situation : alors qu'elle reçoit, l'année prochaine, la conférence sur le climat à Paris, elle n'assume pas le leadership auquel elle prétend.

Le projet d'accord transatlantique n'abordera que peu les barrières tarifaires qui, de fait, sont faibles, mais visera essentiellement les barrières non tarifaires, pour lesquelles une harmonisation à la baisse est redoutée, ce qui pourra affecter tout ce qui labellisation. Bien que les labels ne soient pas parfaitement satisfaisants, ils servent à orienter les consommateurs, par exemple vers des produits plus efficaces énergétiquement. Ils incitent aussi les entreprises à améliorer l'efficacité énergétique de leurs produits. Or le négociateur américain a déclaré qu'il fallait absolument faire disparaitre tous les labels, considérés par les États-Unis comme des barrières au commerce.

L'Union européenne a pour volonté de limiter toutes les normes imposées au secteur automobile ou de les remplacer par des normes volontaires, en laissant aux entreprises du secteur le soin de juger de celles qui leurs sont le plus avantageuses. Nous n'en attendons pas grand-chose car cela n'ira évidemment pas dans le sens d'un renforcement des normes énergétiques.

Le projet d'accord transatlantique devrait au contraire être l'occasion, pour les deux grandes puissances assises autour de la table que sont les États-Unis et l'Europe, d'honorer leurs engagements pris en 2009 de mettre un terme aux subventions en faveur des énergies fossiles ou encore d'harmoniser vers le haut les normes environnementales et non de les rabaisser. Les collectivités locales et les États ont aujourd'hui la possibilité d'adopter des mesures de lutte contre le changement climatique et il convient de leur laisser cette flexibilité. Or, si le projet d'accord transatlantique était mis en place sur les bases de discussion actuelles, les investisseurs, du fait du mécanisme de règlement des différends, auraient la possibilité d'attaquer les États ou les collectivités locales contre toute mesure de soutien aux énergies renouvelables qu'ils jugeraient contraire à leurs intérêts. Des exemples existent notamment dans la zone de l'Accord de libre-échange nord-américain ( ALENA ). Une entreprise a attaqué la province de l'Ontario, au Canada, pour remettre en cause le plus grand système de soutien aux énergies renouvelables jamais mis en place. Le soutien aux énergies renouvelables constitue pourtant un moteur exceptionnel de croissance et non pas un frein. Au final, ce programme a été supprimé alors qu'il avait déjà généré 20 000 emplois et que l'objectif était d'en créer 50 000 au total. De tels exemples existent déjà au sein de l'Union européenne, le géant suédois de l'énergie Vattenfall ayant attaqué l'Allemagne suite à sa décision de sortir du nucléaire.

Pour revenir au projet d'accord transatlantique, dans le mandat de négociations, l' Union européenne a inscrit un chapitre relatif à l'énergie dans lequel ses objectifs sont très clairs , la priorité étant de sécuriser l'accès de ses entreprises aux matières premières américaines. Il en est donc attendu une hausse des importations de gaz : 40 à 50 % du gaz américain serait importé en Europe. Les conséquences sur le territoire américain seront graves car même si les réserves américaines sont gigantesques, pour extraire ce gaz, il faudra effectuer encore plus de fracturations hydrauliques, avec toutes les conséquences néfastes engendrées par ce genre de pratique, notamment au vu de la très grande quantité d'eau qu'il faut utiliser. L'Union européenne va donc accroître sa dépendance aux énergies fossiles en augmentant ses importations, alors qu' elle devrait mettre en place des programmes de soutiens aux énergies renouvelables.

Du reste, même s'il s'agit de gaz naturel qui a la réputation d' « énergie propre », il faudra ensuite le refroidir, le liquéfier et l'emmagasiner. Tous ces processus, plus la construction de pipelines à partir des sites gaziers jusqu'aux terminaux portuaires, la construction de terminaux portuaires ainsi que le dragage pour laisser passer les bateaux vont entrainer des émissions carbones gigantesques. Tout bien considéré, le bilan carbone du gaz sera plus élevé que celui du pétrole.

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