Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 23 juin 2014 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2014 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, en commission des finances, j’ai à plusieurs reprises posé à Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, la question suivante : « Pouvez-vous nous indiquer quel sera l’impact des réductions budgétaires sur le niveau d’activité et l’emploi ? » Sa réponse est restée très générale. Il a reconnu que l’impact sur l’emploi existait en indiquant, immédiatement après, que la réduction des dépenses publiques était bénéfique à long terme, sous-entendu qu’elle allégerait l’économie, qui pourrait alors mieux s’exprimer pour créer de l’emploi.

Les informations que vous avez mises à notre disposition, madame la rapporteure générale, éclairent le débat. Hélas ! Il faut reconnaître que les chiffres que vous publiez ne peuvent qu’inquiéter : si le pacte de responsabilité devrait créer environ 190 000 emplois d’ici 2017, les réductions de dépenses qui contribuent à son financement en supprimeront 250 000. L’argument du risque de contre-productivité est avancé, et la question de l’intérêt de l’ampleur des réductions budgétaires demeure par conséquent. « Tout ça pour ça », a-t-on envie de dire, même si je reconnais que la formule est un peu brutale.

Ne voyez, dans cette interpellation, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, aucune forme de défiance, mais une interrogation inquiète et une demande insistante d’approfondissement de la réflexion. Je le dis d’autant plus que, vous le savez, j’ai soutenu le Gouvernement depuis le début du mandat car je partage la conviction que notre pays ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens. Mais j’ai aussi toujours fait valoir que l’équilibre des déficits ne passait pas exclusivement par la réduction des dépenses publiques et qu’il existait d’autres leviers, en prônant notamment une trajectoire d’extinction de l’évasion fiscale à l’échelle européenne qui donne une véritable légitimité à la trajectoire de réduction des déficits publics. Cette bataille est difficile justement parce qu’elle se situe à l’échelle européenne, mais elle est cruciale.

Il est certain que les moyens de notre pays se sont réduits. Pas seulement parce que nous avons trop dépensé mais aussi parce que les recettes n’ont pas suivi. Depuis la fin des années 1970, l’État a tenté à plusieurs reprises de relancer l’activité, du gouvernement de Raymond Barre à celui de François Fillon en passant par celui Michel Rocard, et, à chaque fois, cela a conduit à une augmentation des prélèvements obligatoires, au recours à l’emprunt et à la situation tendue que nous connaissons actuellement.

Pourquoi en sommes-nous là ? La faute à la faible croissance, certes en partie. Elle s’érode de façon inexorable depuis les années 1980, et nous aurions tort de miser à l’avenir sur une trop forte croissance et sur une capacité à rivaliser à court et à moyen terme avec les pays à bas coût de main-d’oeuvre. On ne sait plus très bien où s’arrête la responsabilité du déficit dans le ralentissement de la croissance et où commence celle de ce ralentissement dans l’accroissement des déficits – c’est l’histoire de l’oeuf et de la poule.

Mais la croissance n’est donc pas seule en cause : la constitution rapide de fortunes qui échappent à l’impôt dans un espace mondial et européen encore trop peu et mal contrôlé explique une partie des déséquilibres budgétaires. Au moment où nous demandons aux Français des efforts importants, il est essentiel de les assurer dans la justice et donc d’évaluer l’enrichissement des acteurs économiques durant ces trente dernières années afin que ceux-ci contribuent à hauteur de leurs profits alors que les inégalités se sont accrues. Dans la même logique, alors que l’audit citoyen de la dette publié récemment tend à mettre en évidence les profits substantiels des détenteurs de cette dette, il importe également de mettre à contribution celles et ceux qui en ont tiré des profits conséquents. La situation actuelle est également la conséquence de l’épuisement de notre industrie, de ses difficultés à investir, à proposer des produits ou des services de gamme élevée et innovants, en particulier dans le secteur de la transition énergétique. Mais la responsabilité des élus politiques dans cette inertie n’est pas neutre.

Bien entendu, on ne peut pas changer de politique tous les quatre matins, mais, puisque ce projet de loi de finances rectificative vient renforcer certaines des orientations prises, il est nécessaire d’adapter nos politiques pour prendre en compte toutes les éléments que je viens de citer.

Depuis décembre 2012 – je fais référence au CICE –, le sens de l’action du Gouvernement n’a pas varié. Le pacte de responsabilité est venu confirmer et amplifier sa politique économique consistant à donner aux entreprises les moyens de reconstituer leurs marges de manoeuvre pour se projeter dans l’avenir, innover, investir et, à terme, créer de l’emploi.

Face au risque de récession, et pour répondre aux difficultés vécues par les ménages modestes, le Gouvernement a également envoyé un certain nombre de signes. Ainsi, le pacte de solidarité contribuera à effacer les augmentations d’impôts – parfois significatives – subies par des personnes dont les revenus n’avaient pourtant pas, ou peu progressé.

De même, dès 2014, les ménages dont les revenus sont inférieurs à 1,16 fois le SMIC bénéficieront d’un crédit d’impôt de 350 à 700 euros, un effort rendu possible grâce aux résultats de la lutte contre la fraude fiscale des particuliers. Cela illustre parfaitement ce que j’indiquais précédemment : la réduction des déficits et la relance de l’activité peuvent aller de pair grâce à la mobilisation des fonds stériles déposés – voire dissimulés – à l’étranger.

Dans la même logique, grâce à un allégement de cotisations sociales, c’est un revenu supplémentaire de 500 euros qui sera apporté en 2015 aux ménages dont les revenus sont intérieurs à 1,3 SMIC. Il faut sans doute remonter loin dans l’histoire de notre pays pour retrouver trace d’un tel coup de pouce aux ménages disposant de revenus modestes.

Malheureusement, devant les moindres recettes fiscales, le Gouvernement propose de geler les prestations sociales, une initiative qui passe d’autant plus mal que les faibles gains de croissance – comme Thomas Piketty l’a brillamment montré – ont été accaparés par la minorité de ménages extrêmement favorisés ayant pu accumuler du capital.

C’est pour prendre en compte l’ensemble de ces éléments que les écologistes déposeront un certain nombre d’amendements dans le débat parlementaire. Pour atteindre nos objectifs, il devient en effet impérieux de mieux encadrer et de flécher les outils adoptés par la majorité.

Concernant les prestations sociales, un consensus semble émerger au sein de la majoritéau sujet de la revalorisation des prestations aux personnes atteintes de maladies professionnelles ou victimes d’accidents du travail. Par ailleurs, nous proposons de supprimer l’article 6, qui prévoit l’absence de revalorisation des aides au logement.

Sur le plan écologique, l’ensemble des députés de notre groupe – ainsi, nous l’imaginons, que de nombreux députés siégeant sur d’autres bancs de la majorité – a été saisi d’incompréhension en apprenant la réallocation au budget de la défense des 220 millions d’euros initialement consacrés au programme « Innovation pour la transition énergétique et écologique ». Il s’agit d’un signal très négatif, qui augure mal de l’avenir du projet de loi sur la transition énergétique. La transition énergétique n’est pourtant pas un levier parmi d’autres de la renaissance économique, il en est le coeur. C’est en tout cas notre conviction, en tant qu’écologistes.

On nous explique que cette annulation n’a qu’un caractère mécanique, technique, dans la mesure où les crédits inscrits n’ont pas pu être dépensés. Cette décision n’en exige pas moins des explications détaillées et, au minimum, un report des crédits concernés sur les exercices budgétaires suivants.

Outre le maintien de ces budgets d’investissement, les écologistes suggèrent une série de mesures qui, tout en améliorant la qualité de vie des Français, permettront de lutter contre les gaspillages et les atteintes à la santé – je pense en particulier aux avantages inconsidérés donnés au carburant diesel – et de favoriser la transition de notre économie et de notre production d’énergie, notamment dans les secteurs des transports et des déchets, terrains privilégiés de l’économie circulaire.

De même, la TVA doit être considérée comme un outil de la transition écologique. De ce point de vue, la décision d’augmenter le taux de 7 % plutôt que celui de 19,6 % a brouillé le message.

Concernant les entreprises, il est essentiel de prendre toutes les mesures et les précautions nécessaires afin que les aides proposées n’aillent pas nourrir ni les dividendes ni les hauts salaires. Elles doivent par ailleurs constituer des outils au service du mouvement d’extinction de la fraude fiscale. La justice sociale est en effet une condition du rééquilibrage des comptes publics, qui est notre objectif commun.

Nous devons donc nous assurer que le soutien apporté aux entreprises soit véritablement utile à l’économie et qu’il réponde à une obligation de moyens. Ainsi, en complément du travail mené par les partenaires sociaux et des différents dispositifs adoptés avec le CICE, il faut renforcer le fléchage des aides, abaisser les plafonds, améliorer la transparence, le contrôle et l’évaluation.

Enfin, nous proposons que la contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés, payée par les grandes entreprises, ne soit supprimée qu’à la condition que les sociétés fassent la démonstration qu’elles contribuent normalement, à travers leurs impôts, à l’effort collectif.

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