Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la rapporteure générale, nous entamons ce soir l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2014, qui contient les premières mesures du pacte de responsabilité et de solidarité.
Évidemment, ce projet phare de la politique économique du gouvernement ne vise pas à affronter les lobbies bancaires et patronaux. Il ne vise pas non plus, par exemple, à s’attaquer aux coûts du capital, aux inégalités sociales et à l’hémorragie industrielle. Il propose d’accélérer le rythme des réformes en diminuant de 41 milliards d’euros les contributions des entreprises et en réduisant de 50 milliards d’euros par an la dépense publique d’ici 2017. Cela représente 50 milliards d’euros de moins par an pour le service public, et risque – selon Mme la rapporteure générale – de détruire 250 000 emplois. Cela représente aussi 11 milliards d’euros de moins pour les collectivités territoriales, soit 11 milliards d’euros de moins pour le service public local.
Malgré l’effet récessif prévisible de ces baisses de dépenses publiques, le Gouvernement persévère dans son idée de mener une politique de l’offre doublée d’une politique d’austérité.
Cette politique bride l’activité et entretient la spirale du chômage et des déficits, faute de soutenir le pouvoir d’achat des ménages : nous le répétons depuis deux ans, et les résultats semblent le démontrer. « Prendre un autre chemin conduirait à l’échec », assure M. le Premier ministre. Nous voudrions lui répondre que le chemin suivi nous a déjà conduits à des difficultés, à des échecs, et qu’une réorientation s’impose afin de permettre à notre pays de sortir réellement de la crise.
Ce n’est évidemment pas le chemin suivi par ce collectif budgétaire. Certes, ce texte nous propose en premier lieu une mesure de réduction exceptionnelle de l’impôt sur le revenu des ménages les plus modestes dont l’ambition est de sortir 680 000 foyers de l’impôt sur le revenu. Cela témoigne, bien sûr, d’une belle ambition, mais comme l’a admis l’un de nos collègues, cette mesure consiste simplement à « coller une grosse rustine » dans l’attente d’une baisse d’impôt ciblée sur les premières tranches, qui sera peut-être accompagnée d’un geste sur la taxe d’habitation. Vous nous annoncez ainsi une baisse de 2,5 milliards d’euros de l’imposition des ménages, mais cela ne représente que 6 % du montant des baisses consenties par ailleurs aux entreprises.
Nous avons, pour ce qui nous concerne, déposé des amendements. Ils s’appuient sur le constat que les tentatives de remédier, par des bricolages législatifs, aux conséquences du gel du barème de l’impôt sur le revenu, conduisent à une situation illisible, mais aussi – à nos yeux – injuste. Le candidat François Hollande a répété à l’envi, lors de la campagne présidentielle, que ce qui guidait son ambition était la justice, sociale et fiscale. Nous aussi ! Mais l’impôt n’est compris et consenti par nos concitoyens que lorsqu’il est juste et lisible. Il ne semble pas que ce soit le cas aujourd’hui. Où est donc la réforme fiscale dont notre pays a besoin ?
La mesure que vous nous proposez bénéficiera certes aux plus modestes, mais elle ne bénéficiera pas aux dix-sept autres millions de foyers qui paient l’impôt sur le revenu, parmi lesquels des millions de foyers modestes et moyens. En outre, de nombreux ménages vont voir leur impôt augmenter au titre d’autres mesures déjà votées comme la baisse du plafond du quotient familial, la fiscalisation de la part patronale des couvertures complémentaires, la suppression de l’exonération d’impôt des majorations de retraite ou pensions de charge de famille, et d’autres mesures du même genre, sans oublier – bien sûr – la hausse de la TVA entrée en vigueur au 1er janvier dernier.
Nous regrettons, nous aussi, l’abandon de projet de réforme de la fiscalité annoncée par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault en début d’année. Cet abandon nous prive d’un débat essentiel. Nos concitoyens attendent de la clarté, et surtout plus de justice. Or, je le répète, l’impôt sur le revenu n’est malheureusement plus le correcteur des inégalités qu’il était avant que les grandes réformes libérales de la décennie passée ne détricotent notre système fiscal. Le manque de justice fiscale et de justice sociale a creusé un fossé entre les citoyens et la Nation, que vous avez douloureusement mesuré – et nous aussi – lors des dernières échéances électorales.
Outre les mesures d’allégement de cotisations salariales et patronales dont nous discuterons la semaine prochaine dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, le présent collectif budgétaire prévoit d’alléger encore la fiscalité des entreprises en supprimant en 2016 la surtaxe qui pèse sur les plus grandes entreprises. L’État renonce ainsi à plus de 2,5 milliards d’euros de recettes. Cette mesure, présentée comme un préalable au mouvement de baisse de l’impôt sur les sociétés, constitue pour nous un très mauvais signal. Elle ne va pas dans le sens d’un rééquilibrage de l’imposition des bénéfices des PME et des grandes entreprises, rééquilibrage souhaité par tous. Vous connaissez pourtant aussi bien que nous l’état de souffrance et de difficulté de nos petites et moyennes entreprises.
Je rappelle que selon le rapport sur les prélèvements obligatoires joint au projet de loi de finances pour 2013, le taux implicite de l’impôt sur les sociétés varie aujourd’hui de 42,9 % pour les PME à 24,9 % pour les grandes entreprises. Face à ce constat, supprimer la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés n’a pas de sens. Au cours des débats, nous proposerons de fixer dès à présent le taux plancher de l’impôt sur les sociétés à 28 % – taux envisagé pour 2020 – afin de contribuer à ce rééquilibrage.
Mais nous n’échapperons pas, à gauche, à l’exigence de conduire une réflexion de fond sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés aussi bien que sur la modulation du taux en fonction de l’usage que les entreprises font de leurs bénéfices. Nous sommes, pour notre part, partisans de réserver le bénéfice des réductions d’impôt aux seules entreprises qui réinvestissent la plus grande part de leurs bénéfices, ou de n’appliquer le taux réduit que sur les parts de bénéfices effectivement réinvestis.
Nous reviendrons, bien sûr, au cours du débat, sur les 1 600 millions d’euros d’annulations de crédits, qui concernent peu ou prou tous les ministères et poursuivent la logique excessive de réduction aveugle des déficits publics.
Par ailleurs, ce projet de loi pousse la logique austéritaire jusqu’au gel des allocations personnalisées au logement et des allocations de logement à caractère social, les APL et les ALS. Toutefois, la commission des finances a su faire le nécessaire pour revenir sur ce point. Nous souhaitons que la position de la commission des Finances soit reprise par notre assemblée au cours de la discussion, avec l’aval du Gouvernement, car si la mesure originelle était maintenue, elle constituerait un marqueur négatif de la stratégie poursuivie au regard d’autres mesures prises l’an passé, comme la hausse de la TVA, la baisse du plafond du quotient familial, la fiscalisation de la part patronale des couvertures complémentaires, la suppression de l’exonération d’impôt des majorations de retraite pour charge de famille.
Pourquoi, alors, multiplier les mesures en direction des ménages modestes et moyens et ne pas faire contribuer davantage à la solidarité nationale ceux qui ont les plus hauts revenus ?
Vous le savez : ce sont les plus gros patrimoines qui ont continué de croître. Les plus hauts revenus continuent de bénéficier de niches fiscales et de dispositifs d’exonération particulièrement enviables et rentables. Selon l’OCDE, il existe des marges de manoeuvre pour accroître les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu, afin de maximiser les recettes fiscales. Pourquoi ne pas remettre en cause, par exemple, le niveau des abattements en matière d’assurance-vie, l’abattement sur les dividendes, les niches qui réduisent de moitié le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune ? Pourquoi ne pas prendre à bras-le-corps la question des niches fiscales, par exemple ? Nous ne nions pas que s’attaquer à ce serpent de mer représente une tâche qui peut sembler démesurée. Mais nous savons, dans le même temps, que les dix niches fiscales les plus importantes – sur un total d’environ 460 – représentent près de 30 milliards d’euros, sur un total de 70 milliards.
Nous devrions nous pencher de nouveau sur les dispositifs dérogatoires tels que le régime d’intégration fiscale dit « régime mère-fille », qui ne bénéficie qu’aux grands groupes ; nous devrions aussi durcir les conditions de déductibilité des intérêts d’emprunt et supprimer des niches coûteuses et inefficaces, ainsi que le proposent certains de nos amendements. En faisant cela, finalement, vous donneriez les signes attendus d’une politique de gauche que nous réclamons depuis 2012. Vous montreriez ainsi que le message de désespoir, de désarroi envoyé par les électeurs ces trois derniers mois a été entendu.
Pour notre part, nous abordons l’examen de ce texte avec la conviction qu’il est urgent et nécessaire de réorienter la politique conduite, notamment depuis quelques mois, vers des mesures plus justes et plus efficaces. Je me félicite que nous soyons de plus en plus nombreux sur les bancs de gauche à le penser. Nous sommes en effet convaincus que certains de nos amendements, et certains amendements de nos collègues des groupes écologiste et socialiste, pourraient faire consensus à gauche. Il est urgent de tracer un autre chemin que celui que nous dicte la pensée unique, qui semble n’a rien appris de six années de crise.
Alors que l’Europe s’engouffre de plus en plus dans l’impasse du moins-disant social, il nous semble urgent de réorienter notre politique budgétaire, de conduire une politique porteuse d’une ambition sociale affirmée, et d’apporter ainsi la démonstration – y compris à nos voisins européens – qu’il existe une autre voie pour la France et pour les peuples européens que la course à la baisse des coûts et au démantèlement de l’État social.