Intervention de Maka Kotto

Réunion du 7 novembre 2012 à 12h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Maka Kotto, ministre de la culture et des communications du Québec :

Monsieur le président, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation. Vous l'avez dit, Mme Pauline Marois, notre Première ministre, est la première femme dans notre histoire à assumer ces fonctions, puisque, à l'issue des élections législatives du 4 septembre dernier, elle a pris la tête d'un nouveau gouvernement formé d'élus du Parti québécois.

Comme l'a récemment fait Mme Marois, j'ai choisi la France pour ma première mission à l'extérieur des frontières du Québec. Ce faisant, je marche dans les pas du tout premier titulaire du ministère que je dirige, Georges-Émile Lapalme, qui, en octobre 1961, était venu à Paris rencontrer son homologue français, André Malraux. Conscient que s'ouvrait une nouvelle ère de collaboration, Malraux avait appelé la France et le Québec à « créer, ensemble, les valeurs culturelles du monde moderne ». La France manifestait alors pour la première fois de façon non équivoque son appui au Québec pour l'accomplissement de sa destinée. C'est d'ailleurs avec joie que nous avons vu le gouvernement français réitérer récemment, comme vous l'avez rappelé, sa position historique de solidarité envers les choix que les Québécois et les Québécoises pourraient faire quant à leur avenir. Cette position, qualifiée de « non-ingérence, non-indifférence », illustre en effet à merveille l'attitude à la fois respectueuse et chaleureuse de la France.

En quelque cinquante ans d'une relation directe et privilégiée en constante évolution, la France est devenue pour le Québec un partenaire stratégique et occupe une place prépondérante dans sa politique internationale. Je suis fier de souligner que la culture a toujours été au coeur de cette relation. Les gouvernements du Parti québécois sont par tradition très favorables à la mise en valeur de la culture, et celui-ci ne fera pas exception.

Je veux rappeler brièvement le contexte qui a fait de la culture un élément central de l'identité québécoise. Cette identité complexe plonge ses racines dans un caractère francophone affirmé, une américanité assumée et un riche métissage composé des héritages amérindiens et britanniques, ainsi que des apports des citoyens issus de l'immigration et venus de tous les horizons pour participer à la grande aventure du Québec. Je suis moi-même un exemple de cette diversification de la société québécoise, puisque, né en Afrique, j'ai pris, après quelques années en France, pays et compagne au Québec. J'aime à dire que j'ai mes racines au Cameroun, que j'ai donné mes premières fleurs à la France et que j'ai porté mes fruits au Québec. Je peux témoigner que le peuple québécois est ouvert sur le monde.

Mais il doit composer avec une réalité : le Québec est le seul État francophone du continent nord-américain. Ses quelque 8 millions de citoyens ayant le français pour langue officielle sont entourés d'une population anglo-américaine avoisinant les 337 millions de personnes. Dans ce contexte démographique, il n'est pas étonnant que le Québec ait éprouvé le besoin d'appuyer le développement de sa spécificité francophone en se dotant d'institutions et d'instruments adaptés. L'une des plus importantes initiatives prises en la matière est la politique culturelle adoptée en 1992. Nous sommes à ce jour les seuls en Amérique et l'une des rares nations au monde à disposer d'un tel outil législatif et administratif qui engage l'ensemble du gouvernement.

Cette politique, élaborée au terme d'une vaste consultation, établit les trois grands principes fondamentaux de notre développement culturel : la culture est aussi indispensable à la vie en société que les dimensions économiques et sociales ; l'autonomie dans la création et la liberté d'expression sont des valeurs essentielles à la vitalité démocratique de notre société ; la culture est un droit pour tous les citoyens et toutes les citoyennes du Québec, de toutes origines et situations géographiques, au même titre que le droit à l'éducation.

Ces trois principes revêtent une importance particulière pour des raisons géopolitiques, mais aussi parce que nous sommes confrontés à l'étalement de nos concitoyens sur un très vaste territoire. Cette volonté d'un développement culturel doublé d'une démocratisation de la culture représente un défi qu'il n'est pas simple de relever. C'est pourtant le choix de société qu'ont fait les Québécoises et les Québécois, c'est lui qui guide l'action du ministère de la culture et des communications du Québec et celle des douze sociétés d'État du portefeuille ministériel. Cela se traduit notamment par des mesures de soutien que le gouvernement nouvellement élu a résolu d'intensifier dans des secteurs culturels à forte valeur identitaire. Ainsi, j'ai récemment annoncé l'entrée en vigueur d'une importante loi sur le patrimoine culturel québécois, qui comporte des pistes d'action durables, efficaces et mobilisatrices, pour enrichir notre vision du patrimoine, élargir le champ d'intervention, encourager la participation citoyenne et faciliter la transmission de notre histoire.

La Première ministre m'a également chargé de poursuivre nos efforts afin que la culture québécoise soit plus que jamais notre meilleur atout à l'extérieur de nos frontières, une carte de visite, en somme, qui fait de nos créateurs l'incarnation du dynamisme qui nous permet de figurer en bonne place parmi les nations d'avant-garde.

J'ai aussi pour projet de stimuler la fibre artistique chez les jeunes en appuyant la présentation d'activités culturelles dans les établissements d'enseignement et en favorisant le rapprochement entre artistes et écoliers. Cet aspect est d'autant plus crucial que les recherches les plus pointues en la matière confirment que l'éducation aux arts améliore les résultats scolaires chez les jeunes de milieux défavorisés, notamment en rédaction et en mathématiques, et qu'elle a des effets positifs sur la poursuite d'études supérieures.

Il m'incombera également de renforcer les liens entre la communauté des créateurs, la société civile et les gens d'affaires, afin que la créativité et la vitalité culturelle du Québec participent à l'innovation, à l'esprit d'entreprise et au développement de secteurs d'avenir comme l'industrie numérique, le multimédia et les arts technologiques.

Pour atteindre ces objectifs, nous pouvons compter sur un ensemble de politiques publiques mises en place par l'État québécois pour faire de la culture un facteur de qualité de vie, de progrès social et de développement économique. Or ces instruments d'aide à la culture, nous avons dû, aux côtés de la France et d'autres nations conscientisées, les défendre avec opiniâtreté afin qu'elles fassent l'objet d'un traitement particulier face aux traités de libre-échange économique qui se multiplient. Souvenons-nous que, au milieu des années 90, les tenants d'une mondialisation uniforme ont pris pour cible les interventions en faveur de la création. Certaines nations, comme la France et le Québec, ont alors plaidé pour l'établissement de ce que l'on a appelé « l'exception culturelle ».

Malgré un accueil encourageant, il nous a cependant fallu passer d'un discours défensif à une approche plus active de promotion de la diversité culturelle. C'est ainsi que, en 1999, trois ministres du gouvernement du Parti québécois ont appelé de leurs voeux la création d'un instrument juridique international reconnaissant le droit des États à adopter librement des politiques culturelles.

Cette initiative nous a valu des alliés de taille, dont la France, qui, au sein d'un groupe de travail franco-québécois, a oeuvré avec nous à définir les principes d'une convention sur la diversité culturelle. Nos efforts ont été couronnés de succès, puisque, le 20 octobre 2005, la Conférence générale de l'UNESCO a adopté la convention sur la diversité des expressions culturelles. Celle-ci est entrée en vigueur en 2007 et a obtenu à ce jour l'adhésion de 124 États, dont la France, le Royaume-Uni, la Chine, l'Inde, le Canada, l'Australie, le Brésil, ainsi que l'Union européenne.

Les États signataires reconnaissent qu'il faut éviter que l'évolution du commerce remette en cause le rôle des États et des gouvernements et entraîne une homogénéisation qui mettrait à mal les cultures moins rentables et appauvrirait la diversité culturelle de l'humanité. Or ce risque est particulièrement aigu à l'heure de la multiplication des accords de commerce et de l'explosion des possibilités technologiques.

À l'ère du numérique, d'importants défis nous sont d'ailleurs lancés en matière de protection de la diversité culturelle, si bien qu'il nous faut aussi adapter notre approche, comme le fait la France dans le cadre de l'acte II de l'exception culturelle, et comme le Québec entend le proposer dans le cadre de son chantier numérique.

Au-delà des modes d'intervention, il faut également que les États continuent à défendre le caractère essentiel des interventions en faveur de la culture dans le cadre des accords qu'ils négocient, car c'est seulement à l'aune du comportement des États dans leurs négociations commerciales que la valeur de la convention sur la diversité des expressions culturelles pourra être mesurée.

À ce sujet, les négociations en cours pour un accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne représentent, pour les défenseurs de la convention, tels la France et le Québec, une occasion unique. En donnant davantage de substance aux principes fondateurs de la convention sur la diversité des expressions culturelles au sein de cet accord économique, nous contribuerons à préserver la variété des cultures qui constitue une grande richesse pour le monde. La France et le Québec ont prouvé qu'ils ne désirent pas entraver le commerce ou l'accès aux biens et services culturels étrangers, qui contribuent aussi à enrichir la culture universelle, mais que l'intervention publique en matière de culture demeure légitime et nécessaire pour que les expressions culturelles nationales fleurissent.

De plus, l'UNESCO ayant établi que la diversité culturelle doit être intégrée dans les efforts de coopération internationale pour le développement durable, notre démarche embrasse les idéaux de solidarité, de dialogue, d'accès équitable et de respect de toutes les cultures, sans lesquels l'humanité ne peut progresser dans la justice. C'est là une attitude que le Québec entend promouvoir avec ardeur, surtout si, comme nous l'espérons, il choisit démocratiquement de se donner sa place dans le concert des nations en tant que pays souverain.

Pour terminer, je forme le voeu que les relations entre la France et le Québec se poursuivent sous d'heureux auspices, et que, s'agissant du développement culturel, nous continuions d'établir de fructueuses coopérations au bénéfice de nos concitoyennes et concitoyens des deux côtés de l'Atlantique. Vive l'amitié entre la France et le Québec ! Vive la culture ! (Applaudissements.)

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