Intervention de Pierre Veltz

Réunion du 18 juin 2014 à 16h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Pierre Veltz, président-directeur général de l'établissement public de Paris-Saclay :

Je suis heureux de vous présenter un grand projet, ambitieux, qui vise à accroître le rayonnement de la France dans le monde – et qui marche.

Saclay est un vaste plateau encore essentiellement agricole situé au sud de Paris, sur lequel se sont progressivement installés des établissements d'enseignement supérieur et de recherche : d'abord le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), dans les années 1950, puis l'Université Paris-Sud, qui était à l'origine un « spin-off » de la faculté des sciences de Paris, puis de grandes écoles comme Polytechnique, Supélec ou HEC, ainsi que les centres de recherche et développement (R&D) de grandes entreprises, tels que le Technocentre de Renault ou le centre de conception de PSA et, plus généralement, la quasi-totalité des établissements faisant partie du « CAC 40 technologique ».

Ces implantations ont été réalisées sur un territoire au moins aussi grand que Paris intra-muros – ce qui explique que lorsqu'on arrive sur place, on ne prenne pas immédiatement la mesure de la quantité de matière grise qui y est rassemblée. Pourtant, le plateau concentre 15 % de la recherche publique française et un pourcentage équivalent de la R&D privée, avec des secteurs très fortement représentés, comme l'automobile, l'énergie, la défense, la santé et la biologie. On y trouve toutes les composantes d'un cluster d'envergure mondiale, de surcroît avec un spectre d'activité très large, ce qui est un atout majeur à une époque où les grandes innovations se font à la croisée des disciplines : les plus grandes universités mondiales se placent sur des créneaux de ce type, en encourageant par exemple le rapprochement entre les sciences de l'ingénierie – mathématiques, physique, électronique – et les sciences de la vie – biologie, médecine.

Ce potentiel considérable, tant en quantité qu'en qualité, pâtit toutefois d'une trop grande fragmentation des établissements ; tous sont venus pour la même raison, à savoir la volonté de desserrer des activités auparavant concentrées dans le centre de Paris, et ils se sont implantés les uns à côté des autres, sans chercher à fonctionner comme un pôle – du moins, jusqu'à une date récente.

L'ambition première du projet Paris-Saclay est de remédier à cette fragmentation. Cela se traduira par la création cette année de l'Université de Paris-Saclay, qui regroupera 26 établissements : de grands organismes de recherche tels que le CEA, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et de Paris-Sud – auxquelles va s'associer celle d'Évry-Val d'Essonne – et une dizaine de grandes écoles, dont l'École centrale de Paris, l'École normale supérieure de Cachan, Télécom ParisTech, l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE), l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) et AgroParisTech. L'objectif est de constituer une université de classe mondiale, afin d'intégrer le « Top 20 » dans les classements internationaux. Ce n'est pas l'établissement public de Paris-Saclay qui est directement chargé de cette mission, mais la Fondation de coopération scientifique du campus Paris-Saclay, qui, sous la présidence de M. Dominique Vernay, ancien responsable de la R&D chez Thales et fondateur du pôle de compétitivité Systematic, oeuvre à la constitution d'une communauté d'universités et d'établissements.

Notre deuxième ambition est de stimuler le développement économique du plateau, notamment en renforçant les liens entre le monde universitaire et les entreprises, ces dernières étant implantées plutôt dans la partie yvelinoise, vers Saint-Quentin-en-Yvelines, Vélizy ou Courtaboeuf ; ces deux univers ne se côtoient pas assez. L'époque où l'on se regardait en chiens de faïence est certes révolue, mais il reste des progrès à faire – ne serait-ce qu'en matière de relations interpersonnelles.

Si l'on compare le plateau de Saclay avec les zones équivalentes en Amérique du nord ou en Chine, il est évident que nous nous situons en deçà. Dans l'étude qu'elle avait réalisée à la demande du département de l'Essonne, Mme Suzanne Berger, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), s'étonnait qu'un tel potentiel n'attire pas un plus grand nombre de start-up ou d'entreprises. Cependant, les perspectives d'avenir sont encourageantes : les lieux d'innovation fleurissent et de plus en plus de jeunes diplômés se lancent dans la création d'entreprises – à l'instar de cette jeune femme issue de l'Institut d'optique qui vient de créer une société fabriquant des systèmes de stabilisation des images en 3D.

Le troisième volet de notre action concerne l'aménagement urbain. En premier lieu, l'accessibilité au plateau est insuffisante ; les établissements qui y sont implantés sont contraints de se débrouiller : les 8 000 personnes qui travaillent au CEA sont acheminées sur place par un réseau de bus mis en place dans les années 1950 ! Nous sommes par conséquent mobilisés pour obtenir, conformément aux engagements du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la desserte en 2023 de Saclay par le Grand Paris Express – la ligne 18 du métro ; c'est vital pour notre projet. D'autres travaux visant à améliorer l'accessibilité du plateau sont en cours : le Syndicat des transports d'Île-de-France est en train de réaliser un transport en commun en site propre et il est prévu de procéder à des réaménagements routiers.

Nous nous efforçons également de rendre le plateau plus habitable. Nous avons pris le parti, en accord avec les collectivités territoriales concernées, de réaliser une « ville campus ». Deux zones d'aménagement concerté (ZAC) viennent d'être lancées ; elles accueilleront, sur une surface totale de 500 hectares, une programmation de 1,7 million de mètres carrés, à raison d'un tiers pour l'enseignement supérieur et la recherche, un tiers pour le développement économique et un tiers pour le logement. Nous avons notamment prévu de construire un campus résidentiel de haute qualité, comme il en existe aux États-Unis, ainsi que 4 500 logements pour les familles, avec des écoles. En outre, EDF a décidé d'implanter à Saclay son centre de R&D et de formation et Safran, un centre de recherche et technologie.

Le projet, à l'échelle de la métropole francilienne, est complémentaire de celui de Paris Cité ; les chercheurs travaillent d'ailleurs souvent sur les deux sites. Paris – dans l'acception du « Grand Paris » – est aujourd'hui la première ville universitaire du monde ; elle compte plus d'enseignants-chercheurs que Londres ou New York, et à peu près autant que la Silicon Valley. Notre projet a une vocation à la fois métropolitaine, nationale et mondiale, sur le modèle des grands pôles industrialo-universitaires qui se développent un peu partout dans le monde, et qui jouent un si grand rôle dans le développement économique des États-Unis et de la Chine. Ce sont des lieux où se croisent les disciplines, le monde universitaire et le monde économique, les grandes entreprises et les petites entreprises ; en un mot, ce sont de véritables « écosystèmes ».

Notre ambition est de faire partie des dix principaux pôles industrialo-universitaires mondiaux. Un article de la MIT Technology Review nous a déjà classés parmi les huit premiers clusters mondiaux. Comme quoi, il suffit d'un peu de synergie pour franchir une étape importante !

Vous aurez compris que ce projet m'enthousiasme. Et comme celui que vous défendez vise lui aussi à accroître le rayonnement de la France dans le monde, nous devrions pouvoir rassembler nos efforts dans cet objectif.

Dans mon livre Paris, France, monde, j'en appelais à dépasser l'antinomie entre Paris et le reste de la France ; il faut une fois pour toutes tourner la page du Paris et le désert français. Le contexte a définitivement changé : la France fonctionne aujourd'hui comme une métropole tendanciellement unique, avec un coeur parisien et des villes à deux ou trois heures de TGV. Voilà ce qu'il faut montrer au monde ! C'est pourquoi je me félicite que le projet d'exposition universelle concerne non seulement Paris, mais aussi le réseau métropolitain de premier rang.

Lorsque j'étais président de ParisTech, je recevais souvent des invités chinois, qui demandaient en général à visiter deux sites : Paris et le Mont-Saint-Michel. On leur répondait que le Mont-Saint-Michel était trop loin, ce qu'ils ne comprenaient pas : pour eux, c'est juste à côté de Paris. De fait, vu de Pékin, c'est le cas !

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