Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 9 novembre 2012 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2013 — Écologie développement et aménagement durables

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin, rapporteure spéciale de la commission des finances pour la sécurité et les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, rapporter à l'Assemblée nationale le budget pour la sécurité des affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture est pour moi un grand plaisir. Mon engagement et mon attachement aux choses de la mer sont réels et je l'ai démontré : je me suis exprimée de nombreuses fois sur ce sujet ici, dans l'hémicycle, sous la dernière législature.

Depuis la fusion en un seul programme des crédits accordés à la pêche et à l'aquaculture d'une part, à la sécurité et aux affaires maritimes d'autre part, le programme 205 offre une vision élargie de l'effort budgétaire mené par le pays en direction du monde maritime. Cette mise en cohérence représente une réelle avancée par rapport au précédent découpage ministériel et budgétaire. Je me félicite donc de cette volonté du Président de la République, volonté qui traduit une nouvelle ambition maritime pour la France.

Il s'agit d'un pas important vers une architecture budgétaire unifiée et, pourquoi pas, vers la création d'un ministère de la mer de plein exercice. Ce serait en effet un signal fort, à la hauteur des attentes d'une filière professionnelle ambitieuse et motivée. La France doit résolument se tourner vers l'innovation et les nouveaux enjeux maritimes, et faire face à sa lourde responsabilité de deuxième domaine maritime mondial. Pour cela, le pays doit raisonner aujourd'hui en termes de politique maritime intégrée, et non plus sectorielle : l'évolution des problématiques, qui sont de plus en plus imbriquées, nous y contraint.

Actuellement, il reste très difficile, pour les parlementaires et plus encore pour nos concitoyens, de connaître avec précision l'effort du pays pour ces politiques publiques. Quel est en effet l'apport financier de la Marine nationale au contrôle des pêches, ou celui de la douane à la prévention des pollutions ? En France, une dizaine d'administrations oeuvrent en effet à l'application des politiques de la mer. Au cours des mois à venir, je souhaite donc, monsieur le ministre, réfléchir au moyen de proposer une meilleure architecture budgétaire maritime pour notre pays.

Après cette introduction, plaidoyer en faveur d'une ambition forte pour le pays, je vais passer de façon plus précise à l'étude des crédits : 194 millions d'euros sont inscrits pour l'ensemble du programme 205. En accusant une baisse de 5 % par rapport aux crédits votés pour 2012, le programme participe de la rationalisation de la dépense publique. Je tiens à mentionner également d'autres lignes budgétaires, non inscrites à ce programme, mais fortement liées à sa mise en oeuvre. Près de 183,9 millions d'euros sont en effet mobilisés pour les personnels mettant en application les politiques du programme 205, pour un total de 2 959 équivalents temps plein. De même, la contribution étatique au régime social des marins, les aides au secteur portuaire ou à la recherche représentent un effort financier très important en direction du monde maritime, mais retracé par des lignes budgétaires distinctes du programme 205.

Face à certaines politiques publiques pesant des milliards d'euros, on pourrait dire que l'enjeu paraît moindre. Et pourtant, je me permets d'insister sur la réserve de croissance que représentent pour le pays les activités maritimes. Ces activités ne concernent plus uniquement la pêche ou le transport traditionnel, qui restent bien entendu essentiels, mais englobent désormais de nombreuses autres potentiels, comme par exemple l'industrie off-shore, les énergies marines ou encore la recherche et l'exploitation durable de nouvelles espèces biologiques et ressources minérales.

Ces 194 millions sont répartis en deux volets : l'un se rapporte à la sécurité et aux affaires maritimes, le deuxième est relatif aux secteurs de la pêche et de l'aquaculture.

Concernant le volet sécurité et affaires maritimes, qui regroupe cinq actions, la dotation s'élève à 142 millions d'euros, dont 72 pour le seul soutien à la flotte de commerce.

Soutenir la flotte de commerce, c'est alléger le coût social et fiscal du pavillon français, pour améliorer sa compétitivité sans renoncer à sa qualité, gage de sécurité. Le but d'une telle politique est de promouvoir l'emploi maritime, soutenir les entreprises ayant des intérêts en France et assurer la présence française au sein des organisations maritimes internationales.

En 1999, un rapport de l'Inspection générale des affaires maritimes énonçait déjà l'intérêt pour un pays de faire le choix de maintenir une flotte sous pavillon national. Or, il n'est pas certain qu'existe en France un consensus sur cette question. Je tiens donc à rappeler que puissance maritime et puissance économique sont étroitement liées. Il faut, non pas se contenter d'accompagner la décroissance relative de la flotte maritime française, mais mener une véritable politique de développement pour endiguer cette tendance. Actuellement, les armements français comptent une centaine de compagnies, qui opèrent avec 1 200 navires dont plus de 600 sous pavillon français. Avec une moyenne d'âge de 7,4 ans, cette flotte est l'une des plus jeunes et des plus diversifiées au monde. Le savoir-faire français est largement reconnu à l'international, l'expertise que nous possédons en matière de transport, de construction navale, de logistique maritime et de capacité d'innovation doit perdurer, aussi bien en mer que pour les emplois basés à terre.

Ce rayonnement maritime de la France passe également par un enseignement et des formations de qualité, ouvertes sur le monde et sur les nouvelles perspectives d'exploitation des mers. En ce domaine, le programme 205 retrace la subvention pour charges de service public de l'École nationale supérieure maritime, évaluée pour 2013 à 17 millions d'euros. Depuis 2010, les quatre écoles nationales de la marine marchande ont été regroupées en un établissement public autorisé à délivrer le titre d'ingénieur. J'ai déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet avec vous, monsieur le ministre. L'ENSM rencontre en effet, depuis sa création, de nombreuses difficultés budgétaires et organisationnelles. Le problème de la gouvernance de l'établissement a trouvé une solution récemment, par la nomination le 5 novembre de M. François Marendet au poste de directeur général. Vous avez apporté votre soutien à ce choix. Quelle est désormais sa feuille de route et quels chantiers lui seront-ils confiés en priorité ? Où en est le projet de convention d'objectifs pour l'établissement et la constitution d'un groupe d'experts chargé de l'élaborer ? De plus, je ne crois pas qu'il faille limiter l'ENSM à la formation de ses quelque 700 officiers par an. Cette mission est fondamentale et doit rester une priorité, mais je souhaite qu'une réflexion soit menée sur cette école, sur ses moyens, sur la façon dont elle s'ouvrira aux champs de compétence qui émergent actuellement dans les secteurs maritimes et paramaritimes.

La stratégie immobilière de l'établissement doit également être précisée, afin de dimensionner ses capacités d'accueil au contenu de la formation que l'on souhaite offrir. À ce propos, je m'interroge, monsieur le ministre, sur l'avenir du projet havrais, qui ne reçoit pour l'heure aucune prévision de financement. Enfin, et plus largement, c'est une vraie stratégie pour l'enseignement maritime qu'il convient de définir. Les lycées professionnels maritimes et les BTS doivent être intégrés à cet élan nécessaire de modernisation et d'ouverture.

Je pense que ces réflexions sur les structures et le contenu de l'enseignement constituent un enjeu extrêmement stratégique pour l'avenir de la formation maritime française, qui a l'opportunité de s'ouvrir sur les métiers du paramaritime, de la recherche, de l'environnement et du développement durable, y compris à l'international.

L'international : voilà bien un terme qui caractérise le secteur maritime. La mer ne connaît pas de frontière physique. La réglementation qui s'y applique dépasse également le champ des États et la sécurité maritime, autre action du programme 205, n'échappe pas à ce constat. La France agit dans le domaine de la sécurité et de la sûreté maritime à trois niveaux : en tant qu'État du pavillon, pour garantir le respect des normes à bord des navires français ; en tant qu'État du port, pour contrôler les navires de commerce étrangers en escale dans nos ports ; et en tant qu'État côtier, pour l'ensemble de la circulation maritime qui longe nos côtes.

Vingt-six millions d'euros sont prévus pour le financement des centres de sécurité des navires, des centres de sauvetage et de surveillance du trafic maritime, et du réseau des phares et balises. Les actions et les métiers de la sécurité maritime sont peu connus en France, excepté lors de drames comme le furent ceux de l'Erika ou plus récemment du Costa Concordia.

Je veillerai à ce que les moyens qui sont alloués à la sécurité maritime se maintiennent à un niveau suffisant, afin justement de prévenir au mieux ces catastrophes.

Autre action du programme, l'action interministérielle de la mer, qui mobilise, pour 2013, 10,9 millions d'euros. Plus de 7 millions d'euros sont consacrés au dispositif de contrôle et de surveillance des affaires maritimes, pour une flottille de soixante-quatre unités, qui vise à assurer le respect de la réglementation applicable aux différents usages de la mer, professionnels ou de loisirs. Cette diversification croissante des usages de la mer pose d'ailleurs, monsieur le ministre, de plus en plus de conflits, tant l'espace maritime devient convoité par la multiplication d'activités qu'il est difficile de concilier. En ce sens, le ministère doit pouvoir fournir des arbitrages clairs sur les priorités qu'il entend donner à ces espaces.

Passons à présent à l'analyse du second volet de ce programme, à savoir les crédits engagés en faveur de la pêche et de l'aquaculture, d'un montant de 52 millions, soit une baisse de plus de 7 %, et essentiellement constituées de dépenses d'interventions. Cette baisse est en grande partie due à la fin du financement des mesures du plan Barnier, qui avaient permis aux pêcheurs, par le biais notamment des contrats bleus, de faire face à la crise de 2008 dont nous nous souvenons tous. Aujourd'hui, il s'agit de soutenir les entreprises de pêche face aux défis qu'elles doivent relever : prise en compte croissante des préoccupations environnementales, coût du carburant, réduction des quotas, nouvelles obligations communautaires. Oui, ces secteurs doivent obtenir le soutien de la collectivité, afin de s'adapter sans cesse à l'état de la ressource et à la demande des consommateurs. Je souhaite cependant, à l'instar de la Cour des comptes dans son rapport de 2010, que ces aides soient mieux ciblées, mieux contrôlées, et conditionnées au respect de la réglementation.

Le principe du soutien public n'étant pas remis en cause, toute la question est celle de l'adéquation entre les moyens alloués et les buts recherchés. Quelle pêche française voulons-nous ? Quelle place pour l'aquaculture en France métropolitaine et outre-mer ? Le modèle français, fondé sur une majorité de pêcheurs côtiers et un chiffre d'affaires essentiellement réalisé par les chalutiers hauturiers, doit-il être consolidé ? Se discutent en ce moment à Bruxelles, monsieur le ministre, les orientations du nouveau fonds pour la pêche et les affaires maritimes, doté de plus de 6 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Pour la période 2007-2013, la dotation de l'actuel fonds était de 4,3 milliards d'euros. La grande nouveauté du FEAMP sera le financement de la politique maritime intégrée de l'Union européenne. Quelles seront donc les parts respectives accordées à ces différentes politiques, monsieur le ministre ?

Je me réjouis d'ores et déjà des avancées récentes, obtenues par le ministre que vous êtes, sur la possibilité de poursuivre le versement des aides à la flotte. Cependant, des désaccords subsistent encore sur les mesures précises qui seront éligibles à ce financement. Quelles sont, monsieur le ministre, vos convictions à ce sujet, et comment emporter l'adhésion de nos partenaires européens qui ont adopté des modèles économiques différents ?

Au-delà de ces aides publiques au secteur, je tiens à faire mention de l'importante action de France Filière Pêche, association privée constituée en mars 2010 et regroupant tous les maillons de la filière pêche. Les principales enseignes de la grande distribution ont signé, en mai 2011, un engagement à verser à FFP, dès 2012 et pour cinq années, un montant de l'ordre de 30 millions d'euros. Le 13 septembre 2012, la marque Pavillon France, visant à promouvoir les produits de la pêche fraîche française, a pu être lancée. Comme je le rappelle dans mon rapport, l'association est financée uniquement par des concours privés. Une attention particulière devra être donc portée à la coordination entre les politiques menées par FFP et les initiatives étatiques en faveur du secteur.

Enfin, le domaine des pêches maritimes et de l'aquaculture doit également s'ouvrir à l'innovation et à la modernisation. Ces mots ne doivent pas effrayer un secteur qui, je le sais, est particulièrement attaché à ses traditions. Cette évolution passe, entre autres, par une nouvelle impulsion à la recherche scientifique. L'Institut français pour l'exploitation de la mer est d'ailleurs particulièrement favorable au développement de liens avec les industriels et aux partenariats public-privé en matière de recherche.

Pour en revenir aux crédits du programme 205, madame la ministre, monsieur le ministre, ils permettront a minima de répondre aux engagements internationaux et européens de la France.

Je souhaite sur ce point attirer l'attention de M. le ministre, ainsi que de l'ensemble de mes collègues. À périmètre constant, le programme aura perdu, entre 2006 et 2015, près de 440 équivalents temps plein selon les prévisions. Les ETP, bien sûr, sont inscrits au programme 217, mais ils sont, pour les trois quarts, directement affectés à la réalisation des exigences communautaires et internationales. Ces normes très précises fixent des objectifs quantitatifs – nombre de navires escalant dans nos ports devant être inspectés – ou qualitatifs – normes de formation, bon état écologique du milieu marin – que le pays doit atteindre, sous peine de lourdes sanctions financières.

Il convient de garder à l'esprit cette particularité du programme 205 : la fixation des objectifs est exogène, mais la détermination des crédits pour s'y conformer reste endogène. Une nouvelle baisse des crédits accordés serait donc mal comprise et devrait s'accompagner d'une redéfinition des missions de l'administration de la mer. Or, sur ce point précis, le constat est celui de nouvelles charges, imputées sur le programme 205. Par exemple, outre leurs missions traditionnelles, les directions interrégionales de la mer doivent désormais, et sans moyens supplémentaires, animer sur leur façade la récente stratégie nationale pour la mer et le littoral, à travers notamment les réunions des conseils maritimes de façade ; décliner la directive-cadre stratégique pour le milieu marin et les plans d'action pour le milieu marin ; réfléchir au développement d'une police de l'environnement marin.

Cette nouvelle réflexion par façade, touchant à l'ensemble des problématiques – environnement, pêche, plaisance, portuaire – témoigne d'une mutation des politiques publiques vers un décloisonnement des sujets et une plus grande intégration.

Il est souhaitable que le budget maritime accompagne ce changement en offrant aux parlementaires et à tous les Français une vision claire de l'action publique en ce domaine.

En conclusion, je suis profondément convaincue que le secteur maritime est une source de richesse et de développement que notre pays n'exploite pas encore suffisamment. Les travaux menés dans le cadre du PLF pour 2013 doivent se poursuivre afin d'assurer le suivi de l'exécution des crédits, et anticiper les choix budgétaires de demain. La France doit pouvoir faire fructifier son domaine maritime immense, qui s'étend, je vous le rappelle, sur 11 millions de kilomètres carrés, et même davantage si toutes les zones d'extension sollicitées nous sont accordées par la commission des limites du plateau continental. Il en résulterait un accroissement de plus de 2 millions de kilomètres carrés – soit quatre fois la superficie de l'hexagone –, la France disposant dès lors du premier domaine sous-marin du monde.

La France a donc l'obligation de se positionner en puissance dynamique, impliquée et responsable, capable d'entraîner avec elle ses partenaires européens dans cette « révolution bleue » qui est, je le crois, notre avenir. Madame et monsieur les ministres, la mondialisation a su prendre le bateau ; la France ne doit plus avoir peur de prendre la mer. L'or bleu est à notre portée, encore faut-il avoir le courage et l'ambition d'aller le récolter. En tant que rapporteure spéciale, j'émets un avis favorable au vote de ce programme « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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