Le texte sur la mise en accessibilité qui nous est soumis par la commission mixte paritaire préserve les principales évolutions décidées par l’Assemblée nationale, suite aux amendements adoptés en commission des affaires sociales. Ce texte est donc plus contraignant qu’il n’était à l’origine, ce qui est positif.
Nous avons bien noté que les établissements recevant du public n’ayant pas accompli les travaux de mise en accessibilité conformément à la loi du 11 février 2005 seront obligés de présenter un agenda d’accessibilité programmée. Cet agenda doit être déposé auprès des autorités administratives dans un délai de douze mois à compter de la publication des ordonnances. Vous avez également retenu la mise en place d’un suivi, ce qui manquait cruellement à la loi de 2005. Enfin, vous proposez de mieux encadrer le fonds destiné à recevoir le produit des sanctions financières prononcées à l’égard des contrevenants. Ces mesures améliorent indiscutablement le texte.
Cependant, le problème principal persiste : ce projet de loi d’habilitation repousse la date limite de mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées et surtout, ne prévoit aucun moyen financier pour la mettre en oeuvre. Repousser l’application de cette loi attendue depuis si longtemps par les personnes en situation de handicap, leur famille et les associations, sonne comme un échec. Parmi les raisons qui expliquent l’insuffisance de l’application – voire, dans certains cas, la non-application – de la loi de 2005, il y a bien sûr l’absence de suivi, mais aussi le manque de moyens financiers pour faire face à ces dépenses très importantes.
Dès 2005, nous avions souligné ces défauts originels. Nous avons ensuite plusieurs fois lancé l’alerte à propos de l’impossibilité de tenir le délai prévu par la loi sans une politique volontariste de la part des pouvoirs publics. C’est dans ce contexte qu’en 2011, devant le retard accumulé, nous avons soumis à notre Assemblée une proposition de résolution invitant le gouvernement français à prendre des décisions pour mettre en oeuvre une réelle politique d’accessibilité universelle, conformément à ses engagements internationaux, mais en vain. Aujourd’hui, devant ce constat, vous nous proposez de repousser l’application de cette loi.
Certes, ce projet de loi oblige chacun à présenter un agenda d’accessibilité programmé concret et chiffré, et en met en place un suivi, mais il laisse aux collectivités locales – entre autres – la charge complète de ces aménagements, sans aucune aide de l’État. Pire, au moment où, au prétexte de faire contribuer les collectivités locales au redressement des comptes publics et à la réduction du coût du travail, vous réduisez très fortement leurs dotations financières. Une réduction de 3 milliards d’euros est ainsi prévue dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, pour contribuer au financement du crédit d’impôt compétitivité-emploi. Les chiffres du chômage annoncés aujourd’hui confirment, hélas, que ce genre de dispositif sans contrepartie n’est pas efficace. À cette réduction de 3 milliards d’euros s’ajoutera la réduction de 11 milliards d’euros prévue dans le cadre du programme de stabilité pour les années 2014 à 2017.
C’est cet anachronisme que nous n’acceptons pas ! En fin de compte, à cause de ce manque de financement, ce projet de loi n’est qu’un leurre pour les associations de personnes handicapées. Prenons l’exemple de ma ville, Nanterre : l’État envisage de réduire sa dotation forfaitaire de 70 % d’ici 2017, ce qui représente 11,7 millions d’euros par an à partir de cette date. Cette somme représente plus de 13 % du budget d’investissement de la ville, plus que son budget consacré à la culture, plus que les crédits consacrés au sport ou à la santé. C’est près de quatre fois ce que représente pour la ville la surcharge foncière pour la construction de logements sociaux. Personne ne peut nier que ces réductions de moyens, d’une ampleur jamais atteinte, vont se répercuter directement sur les investissements des collectivités et donc sur la mise en accessibilité des bâtiments publics.
Nous avons bien compris, Mme la ministre, la situation délicate dans laquelle vous vous trouvez à cause de la non-application des exigences de la loi de 2005 – non-application dont vous n’êtes évidemment pas responsable. Nous avons bien remarqué votre volonté d’en sortir par le haut, mais nous ne pouvons laisser croire aux personnes handicapées – pour lesquelles l’accessibilité est un enjeu vital, notamment en termes de logement et d’emploi, mais aussi de scolarisation, de formation, de loisirs ou de culture – que ce texte apporte une solution à la situation actuelle.
Ce n’est pas possible parce que, comme dit l’adage, « à l’impossible nul n’est tenu ». Il s’agit en réalité de repousser l’application de la loi de 2005 sans créer les conditions concrètes de sa mise en oeuvre. Nous pensons qu’il faut avoir l’honnêteté et le courage de le dire, plutôt que de rester dans l’ambiguïté. C’est la raison qui nous conduira à voter, comme en première lecture, contre ce texte.