Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, chers collègues, nous abordons la phase finale de cette proposition de loi, déposée à l’initiative de la commission des affaires européennes, sur la base d’un rapport d’information sur l’application de la directive relative au détachement des travailleurs, sur lequel nous avons formulé des recommandations.
Chantal Guittet, Michel Piron et moi-même avons constaté les lacunes de la législation nationale et fait le diagnostic de l’ampleur du phénomène. Je rappelle qu’il y a aujourd’hui près d’1,5 million de travailleurs détachés en Europe, conséquence de l’appel d’air exercé par les pays à très faible coût de main-d’oeuvre. Les disparités considérables en la matière déstabilisent les marchés du travail.
Le détachement existait avant la directive sur le détachement des travailleurs. C’est, en soi, un phénomène sain pour les économies, qui accompagne les échanges de bien et de services, et concerne notamment les commerciaux, les ingénieurs, les artistes, les scientifiques souhaitant travailler ailleurs. La France a, d’ailleurs, fortement recours au détachement : il existe environ 300 000 travailleurs détachés français dans le monde, dont 140 000 en Europe.
Il s’agit donc, non pas de remettre en cause le détachement en tant que tel, mais de s’adapter à une tendance nouvelle à l’optimisation sociale, par laquelle les entreprises, notamment dans certains secteurs, essaient de contourner l’esprit et parfois la lettre de la directive sur le détachement en employant des travailleurs low cost.
En réalité, la concurrence est saine lorsqu’elle est un aiguillon, qu’elle permet d’améliorer l’offre et la qualité des produits et des services, qu’elle stimule l’innovation, mais elle est pervertie lorsqu’elle se traduit par une baisse vertigineuse du coût du travail, que les Anglo-Saxons appellent le dumping. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à Richard Ferrand, qui a traduit de façon très heureuse cette notion par celle de « concurrence sociale déloyale », expression devenue le titre de cette proposition de loi. Nous étions, en effet, un peu embarrassés par la longueur et le caractère très technocratique de son titre initial. Après une petite amélioration apportée par le Sénat, nous avons finalement abouti au titre actuel.
Cette proposition de loi permet de lutter contre les fraudes au détachement, extrêmement nombreuses, sournoises et difficiles à détecter, et plus généralement contre le travail illégal, notamment dans deux secteurs d’activité spécifiques : celui du bâtiment et des travaux publics, très menacé et déstabilisé par ces pratiques devenues systématiques, et celui du transport routier.
Au demeurant, les organisations patronales et syndicales ont exercé une pression en faveur de l’adoption de cette loi. Elle fait donc l’objet d’un très large consensus national, ce qui est suffisamment rare pour que l’on puisse le souligner. Personnellement, je m’en réjouis.
Nous avons donc essayé d’élaborer une proposition de loi équilibrée, dont je vais vous rappeler les principales étapes. Au premier semestre 2013 a été rendu public le remarquable rapport d’information sur le travail détaché et ses dérives du sénateur Éric Bocquet, auquel je rends hommage. Le 11 juillet 2013 a été adopté le rapport d’information de l’Assemblée nationale, rédigé par Mme Guittet, M. Piron et moi-même. Afin de mettre en oeuvre la recommandation no 14 de la résolution européenne prévoyant l’adoption d’une législation nationale, la proposition de loi a été rédigée à l’automne 2013, après de nombreuses auditions et visites de terrain.
Le 9 décembre 2013, Michel Sapin obtient à Bruxelles, contre toute attente, un accord au Conseil des ministres des affaires sociales pour renforcer le dispositif et aligner sur la position Française la directive d’application de la directive d’attachement, ce qui était une première victoire. Le 8 janvier 2014, nous déposons la proposition de loi. Le 29 janvier, la procédure accélérée est engagée par le Gouvernement. Nous atteignons aujourd’hui le point final.
Un mot rapide sur le déroulement de la procédure. Le 11 février 2014, la commission des affaires sociales a adopté dix-huit amendements. Je rappelle que l’architecture de la proposition de loi a été soigneusement calibrée. Il ne s’agit pas de transformer les chefs d’entreprise de ce pays en contrôleur du travail, ni d’engager leur responsabilité en cas de fraude d’un sous-traitant, mais bien plutôt d’engager leur responsabilité sur la vigilance à l’égard de leur sous-traitant et de toute la chaîne de sous-traitance.
Le grand apport de cette proposition de loi, c’est la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre, qu’il soit public ou privé.