Mais nous ne pouvions nous en tenir là, et c’est donc l’Assemblée nationale qui a pris ensuite l’initiative. Les députés socialistes Gilles Savary et Chantal Guittet, avec le député UDI Michel Piron, ont déposé en décembre une proposition de loi, jugeant avec raison qu’il était possible de prendre tout de suite des mesures de sauvegarde nationales et eurocompatibles.
Le 19 février, la loi est largement votée en première lecture : la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre en sort renforcée ; les organisations professionnelles et les syndicats de salariés voient leurs pouvoirs étendus ; l’action des services de contrôle est facilitée ; des mesures spécifiques touchent les transports, particulièrement concernés par la concurrence déloyale. La France pousse ainsi son avantage et son exemplarité en Europe. L’aboutissement de la CMP nous permet aujourd’hui de concrétiser cette avancée.
D’ailleurs, d’autres pays nous rejoignent. La Belgique, par exemple, a décidé de devancer avec nous l’Europe pour lui montrer la voie. Dans le même temps, la réglementation européenne avance dans un autre hémicycle, celui du Parlement européen, sous l’impulsion de ses membres français.
Le 16 avril, la coopération entre États membres sort renforcée, ce qui est la condition d’un contrôle efficace. Il suffit d’écouter nos inspecteurs du travail. Ils disent : « Comment faire face à un bulletin de salaire rédigé dans une langue étrangère ? Comment vérifier que l’entreprise n’est pas une boîte aux lettres ? » Il était donc nécessaire d’assurer une meilleure coordination à l’échelle de l’Union.
Aujourd’hui, au terme du processus législatif français, la loi va au-delà de la responsabilité solidaire prévue par l’Europe. Celle-ci ne couvrira pas seulement le secteur du bâtiment et des travaux publics, mais tous les autres secteurs concernés par le détachement – agroalimentaire, transport, etc. – ce qui n’était que facultatif dans le compromis européen.
Le texte met aussi en place une liste noire où pourront figurer pendant deux ans, sur décision du juge, les entreprises condamnées pour « travail illégal ».
La CMP a par ailleurs retenu, comme le proposait le Sénat, un dispositif unique de solidarité financière, applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non.
Enfin, le fait de ne pas déclarer des travailleurs détachés sera désormais sanctionné, et le maître d’ouvrage, même s’il n’est pas lui-même l’employeur, devra veiller à ce que cette déclaration soit faite.
Ce texte est donc l’aboutissement d’un processus exemplaire qui a vu tous les représentants de la Nation se mettre en mouvement et porter non seulement les intérêts de notre pays, mais aussi une certaine vision du travail – contre la déloyauté – et de l’homme – contre l’exploitation. Un seul credo nous a guidés : éviter que le malheur des uns ne fasse le malheur des autres. Nous avons affronté l’adversité et renversé des majorités européennes.
Dans le même temps, nous réformons notre propre système d’inspection du travail – nous en discuterons prochainement ici dans le cadre de la proposition de loi déposée par Denys Robiliard –, et partout, des unités spécialisées sur le travail illégal sont en cours de création.
Aujourd’hui, même s’il reste beaucoup à faire, nous savons que nous avons accompli notre devoir. Nous étions attendus : lorsque la Bretagne s’est embrasée en octobre dernier, le détachement était un des problèmes invoqués. Nous ne pouvons plus accepter le dumping social pratiqué dans les abattoirs d’Allemagne où, faute pour l’instant d’un salaire minimum, les travailleurs détachés sont parfois payés moins de 4 euros de l’heure.
Je parle du besoin de protection des salariés, mais je pourrais aussi parler de celui des entreprises. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment et la Fédération du bâtiment, par exemple, se sont alarmées du recours au détachement, notamment frauduleux. Le secteur du bâtiment représente en effet plus de 40 % des travailleurs détachés en France. « En sept ans, de 2004 à 2011, le secteur a dû faire face à une augmentation de près de 1 000 % d’une concurrence structurellement moins chère, et ce, en pleine crise. Cette situation n’est plus tenable », disaient les représentants des artisans et entreprises du bâtiment, en exigeant des mesures concrètes.
Salariés et patrons, travailleurs français et étrangers, tous avaient donc besoin d’une action forte. La voici. Le laisser faire n’est pas notre option, d’autant qu’il y a désormais des forces en Europe qui rejoignent notre position et défendent l’emploi, la croissance, l’investissement, l’amélioration de la qualité du travail et la métamorphose de l’Europe.