Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, en l’absence de Patrice Carvalho, qui a suivi ce dossier, je suis chargée de vous présenter l’avis du groupe GDR sur cette proposition de loi.
Au terme de nos débats, il paraît nécessaire de rappeler la réalité sur laquelle ce nouveau texte est censé agir.
Chaque année, entre 200 000 et 300 000 salariés d’autres pays membres de l’Union européenne viennent travailler en France pour des salaires inférieurs à ceux que perçoivent les salariés nationaux et auxquels s’appliquent des cotisations sociales également nettement inférieures. La différence peut atteindre, voire dépasser, 30 %.
C’est donc un véritable dumping social que l’Europe organise.
Mais faut-il s’en étonner, dans la mesure où la logique qui sous-tend la construction européenne est celle de la mondialisation capitaliste ? En conséquence, l’Europe n’est pas un espace de coopération entre nations souveraines, se donnant pour objectif l’harmonisation de leurs législations sociales, mais un vaste espace de concurrence où la diminution du coût du travail est la seule variable d’ajustement. La concurrence « libre et non faussée » et le moins-disant social y sont les deux faces d’une même pièce. Les traités qui se sont succédé ont été autant d’étapes supplémentaires dans ce processus.
Chacun se souvient de la directive Bolkestein, qui tendait à faire prévaloir le « principe du pays d’origine ». La levée de bouclier de la Confédération européenne des syndicats, le « non » des Français au référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel ont toutefois contraint à rebattre les cartes sur ce thème.
Il n’en reste pas moins que nous sommes toujours aujourd’hui dans le cadre fixé par la directive du 16 décembre 1996, qui s’avère inopérante en dépit d’une jurisprudence abondante de la Cour de justice européenne, à laquelle de nombreux contentieux ont été soumis.
En 2009, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait annoncé la rédaction d’une nouvelle directive. Elle n’a jamais vu le jour. C’est ainsi que la Commission a présenté le 21 mars 2012 une proposition de directive d’application de la directive de 1996. Le Parlement européen a adopté cette directive d’exécution, sur le détachement des travailleurs, le 16 avril dernier, au même moment où notre assemblée adoptait, en première lecture, la proposition de loi dont nous débattons, sans attendre, par conséquent, la directive d’exécution.
La question qui nous est posée est la suivante : cette proposition de loi est-elle de nature à remettre en cause la pratique des salariés low cost, cette forme d’esclavage moderne ? Comme pour la directive d’exécution, la réponse est non. Elle tend au mieux à encadrer, ce qui est évidemment positif, mais elle n’interdit pas.
Il est ainsi question de responsabiliser le donneur d’ordre dans le cas où l’employeur du salarié appliquerait à ce dernier une rémunération inférieure à celle prévue par la loi. C’est une bonne disposition mais nous ne pouvons ignorer le recours de certains employeurs peu scrupuleux aux méthodes les plus insidieuses. Parmi celle-ci figurent le différentiel des cotisations sociales ou encore le prélèvement de sommes exorbitantes au titre des frais de logement, de transport ou d’alimentation sur le salaire du travailleur détaché. S’y ajoute souvent le non-paiement des cotisations sociales à l’URSSAF et à Pôle Emploi. Pour traquer ces fraudes, il conviendrait évidemment de donner les moyens nécessaires à l’inspection du travail, en augmentant sensiblement ses effectifs. Au final, nous considérons donc que ce qui nous est proposé relève du cosmétique.
Ce qu’il faut, ce n’est pas une directive d’application de la directive ni un bricolage législatif national, qui ne changera pas grand-chose, mais une directive contraignante de mieux disant social, de rupture avec cette austérité généralisée.
Nous l’avions dit lors du premier examen de ce texte, quand cette Europe veut contraindre les États, elle sait s’en donner les moyens. Lorsqu’il est question de faire respecter les critères des déficits publics et de la dette, Bruxelles dispose d’un arsenal de sanctions. Lorsqu’il s’agit de mettre les peuples à la diète, on a les outils nécessaires. Mais, curieusement, nous sommes démunis et impuissants lorsqu’il s’agit des droits des salariés. Voilà qui est révélateur des fondements de cette Europe-là !
Le chantier à ouvrir est celui de l’harmonisation sociale par le haut au sein de l’Union européenne. Mes chers collègues, il est urgent de sortir de l’eurocompatibilité béate qui, au final, nous conduit à accepter l’inacceptable, en termes de salaires et de conditions de travail, comme l’a bien souligné le rapporteur, et met en cause notre souveraineté, notre droit à nous fixer des règles conformes à nos valeurs et à nos traditions, notre droit à légiférer librement. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.