Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du 26 juin 2014 à 9h30
Lutte contre la concurrence sociale déloyale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les négociations marathon engagées autour de la révision d’application de la directive Bolkestein à Bruxelles ont suscité plusieurs initiatives parlementaires au sein de notre assemblée : une proposition de résolution adoptée à la quasi-unanimité et une proposition de loi que nous nous apprêtons à adopter définitivement aujourd’hui et dont l’objet s’est élargi à la lutte contre la concurrence déloyale en général.

Ce texte, monsieur le rapporteur, se veut eurocompatible et vise majoritairement à anticiper l’application de l’article 12 de la directive d’application qui porte sur la responsabilité solidaire des donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage.

Cela a été dit : les initiatives prises au sein de cette assemblée ne visent pas à lutter contre le détachement en lui-même. Si le maintien du versement des cotisations dans le pays d’origine prête à polémique, car il s’agit d’une perte structurelle de cotisations pour le pays d’accueil, il permet aux travailleurs détachés de rester affiliés à leurs caisses de Sécurité sociale le temps du détachement, qui n’est pas censé durer plus de vingt-quatre mois.

Or cette mesure a priori protectrice connaît un destin controversé puisqu’elle est malheureusement trop souvent détournée par des employeurs peu scrupuleux qui s’affranchissent du droit du pays d’accueil. Il faut le dire : la directive Bolkestein est devenue au fil des années un outil de concurrence déloyale, de dumping social et de développement du travail low cost dans des conditions indignes. Ces dérives se sont installées progressivement sous l’effet d’une jurisprudence excessivement libérale et de l’entrée dans l’Union européenne de pays aux réalités socio-économiques très diverses.

Au vu des abus constatés, et notamment des pratiques d’optimisation sociale à grande échelle, il était en effet positif de donner une nouvelle impulsion à la lutte contre les dévoiements en cours, alors, surtout, que les discussions s’enlisaient à Bruxelles et que nous savions que l’accord qui serait finalement obtenu ne s’appliquerait au mieux qu’à compter de 2016. C’est pourquoi le groupe UMP a abordé ce débat avec un a priori favorable.

Le texte a beaucoup évolué lors de son examen à l’Assemblée. Le fait majeur intervenu dans notre chambre est l’évolution satisfaisante du principe de « responsabilité solidaire » vers un principe de « vigilance » du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage. Il ne s’agit pas, comme l’a dit le rapporteur en CMP, de transformer ce dernier en contrôleur du travail ; il s’agit en revanche de ne pas lui permettre de se cacher derrière ses prestataires pour ignorer les conditions de travail des salariés détachés sur un chantier ou un lieu dont il a la responsabilité.

Toutefois, ces diverses évolutions du texte avaient contribué à le complexifier et à en écorner la lisibilité. Il faut reconnaître au Sénat son effort de clarification du dispositif. D’une part, l’obligation préalable de détachement est traitée à part : élevée au niveau législatif, elle doit être remplie par le prestataire qui détache des salariés et vérifiée par le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage. Cette double obligation n’est plus liée au principe de responsabilité solidaire mais est assortie de sanctions administratives votées au Sénat et pouvant aller jusqu’à 2 000 euros par travailleur détaché. Je souligne au passage la lourdeur de cette sanction, qui peut suffire à mettre une entreprise à terre.

D’autre part, le dispositif de vigilance comporte trois volets. Il comporte tout d’abord un volet « hébergement » qui reste le plus proche, dans la forme, du dispositif initial de responsabilité solidaire. En effet, le donneur d’ordre est véritablement lié à l’action de son sous-traitant : si le sous-traitant, après injonction du donneur d’ordre, ne règle pas la situation, celui-ci est tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés concernés.

Le dispositif comporte ensuite un volet relatif au noyau dur d’obligations dues aux salariés détachés, avec un devoir d’injonction du donneur d’ordre envers le sous-traitant indélicat et un devoir d’information envers l’inspection du travail. Dans ce cas, on est véritablement dans un dispositif de vigilance puisque la sanction encourue par le donneur d’ordre est bien celle qui punit un défaut d’injonction et d’information et non celle qui lie le donneur d’ordre à son sous-traitant de telle sorte qu’il prenne à sa charge des défaillances de celui-ci.

Le dernier volet, relatif au paiement des salaires, est, dans sa forme, une synthèse des deux autres volets. Le donneur d’ordre a un devoir d’injonction et d’information. En cas de non-respect de ce double devoir, il est tenu solidairement au paiement des rémunérations.

Vous constaterez tout de même, mes chers collègues, que ces trois volets n’obéissent pas à un parallélisme formel dans leur rédaction et qu’ils exposent le donneur d’ordre à des sanctions à géométrie variable. Malgré cette réserve, force est de saluer le fait que la proposition de loi issue de notre assemblée s’appliquera à tous les secteurs de l’économie et non pas seulement au secteur du bâtiment et des travaux publics, comme le prévoit la directive d’application. Elle s’appliquera également à toute la chaîne de la sous-traitance. C’est ce dernier point, en particulier, qui devrait permettre de créer une pression à même de décourager la création d’établissements « coquilles vides » qui n’exercent pas d’activité en tant que telle et ne servent qu’à détacher des travailleurs. Notre groupe n’est donc pas opposé au coeur du texte, cette traduction à la française du principe de vigilance du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage. Naturellement, il s’agit d’aménagements qui ne sont pas de taille à lutter totalement contre la véritable cause de l’explosion des détachements : le coût du travail. Néanmoins, cela va dans le bon sens.

En revanche, un certain nombre d’autres mesures suscitent notre interrogation et notre opposition. Nous avons soulevé à de nombreuses reprises l’ambiguïté de la création d’une liste noire des entreprises indélicates. Elle n’exclut pas les entreprises concernées des marchés publics ni n’empêche les donneurs d’ordre de contracter avec elles, mais elle joue sur la réputation des entreprises, ce qui peut être encore plus destructeur à long terme qu’une interdiction d’accès aux marchés publics. Le groupe UMP est heureux de voir que la CNIL aura son mot à dire, comme il l’avait demandé, mais il regrette beaucoup l’abaissement du seuil de 45 000 à 15 000 euros par l’Assemblée puis la suppression de tout seuil par le Sénat. Cette suppression peut conduire de très nombreuses entreprises à porter une marque d’infamie pour des infractions qui, à notre sens, ne le justifient nullement. Il convenait de revenir au moins à un seuil de 15 000 euros. On regrettera également la malice du Gouvernement qui a profité d’un amendement prétendûment rédactionnel à l’Assemblée pour faire passer d’un à deux ans la durée maximale d’inscription sur la liste.

Ensuite, des doutes subsistent quant à la constitutionnalité du dispositif des articles 6 bis et 7 permettant aux organisations syndicales de se constituer partie civile ou d’ester en justice devant le conseil des prud’hommes en faveur d’un salarié lésé sans l’accord de celui-ci. Cela a été dit au cours des débats : nul ne peut plaider par procureur. Par ailleurs, il faudrait au moins que le salarié en soit informé et ne s’y oppose pas. Nos protestations sont restées sans réponses sur ce point, et vous le savez, monsieur le ministre.

Concernant les peines complémentaires instaurées pour les entreprises condamnées pour travail dissimulé, le Sénat était allé clairement trop loin en demandant la restitution de toutes les aides publiques perçues pendant le temps du contrat frauduleux. Notre groupe regrette néanmoins le maintien de l’absence d’aides pendant une période de cinq ans au lieu d’une période d’un an comme nous l’avions demandé. Si l’on peut comprendre la logique visant à empêcher que l’argent public puisse soutenir des entreprises qui ne respectent ni leurs salariés ni leurs concurrents, la durée maximale de cette peine est particulièrement longue et risque d’être dramatique pour les entreprises concernées. Ce sont les salariés et les repreneurs qui en seront les premières victimes. Cette disposition équivaut à une condamnation à mort pour une entreprise qui pourrait être vendue, rachetée par ses salariés ou changer d’actionnaires. Vous compromettez ainsi l’activité économique elle-même.

Enfin, s’agissant des mesures contre le transport routier, notre collègue Dominique Tian a manifesté à plusieurs reprises au cours des débats son inquiétude après avoir consulté les entreprises du secteur du transport. Il y a en effet une forme d’absurdité à obliger les conducteurs routiers à dormir à l’hôtel le week-end, alors qu’ils dorment dans leur camion en semaine, et ce notamment pour éviter les vols de cargaison. Mes chers collègues, ce texte a pour objectif de lutter contre le détachement et non contre l’emploi ! Or, il existe une propension certaine sur les bancs de la majorité à profiter de ce genre de véhicule législatif pour multiplier les peines complémentaires et les dispositifs de taille à discréditer durablement certaines entreprises.

Pour conclure, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. Notre abstention doit aussi s’interpréter comme une protestation à l’encontre cette fois-ci du Gouvernement, qui ne s’attaque pas aux vrais problèmes. La vraie question est celle de l’emploi ; or avec de telles mesures, vous stigmatisez les entreprises,

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