Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 24 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique :

Je remercie la commission des affaires économiques d'avoir contribué, grâce aux auditions qu'elle a menées, à éclairer l'opinion publique et le Gouvernement. Mon intervention ne portera pas sur l'historique de cette affaire, mais sur son issue.

Samedi dernier, Alstom, General Electric et l'État français ont signé un protocole d'accord d'une cinquantaine de pages, aboutissement de sept semaines de négociations au cours desquelles l'offre de General Electric s'est radicalement transformée. Tout au long de ce processus, l'État a manifesté sa volonté d'appliquer le décret du 14 mai 2014 relatif au contrôle des investissements étrangers en France. Au terme d'une discussion entre le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et moi-même, j'ai confié au directeur général de l'Agence des participations de l'État (APE), M. David Azéma, un mandat de négociation visant à conclure une alliance et non plus à permettre un rachat d'Alstom, afin de protéger nos industries de souveraineté, de continuer à maîtriser nos technologies, mais aussi de maintenir notre production dans les secteurs hydraulique – dont nous sommes leader mondial –, éolien – secteur dans lequel Alstom est nouvel entrant et possède des usines en voie de construction à Saint-Nazaire et à Cherbourg –, de la vapeur – dont nous sommes le numéro trois mondial, en lien avec le nucléaire –, du gaz et des réseaux.

Lorsque nous avons formulé notre offre au début du mois de mai, nous avons proposé à M. Immelt de conclure un partenariat comparable à celui qui unit sa compagnie à Safran : ce partenariat industriel a permis jusqu'à présent la coproduction, prise en charge à 50 % par chacune des deux entreprises, de 26 000 moteurs d'avion. Onze mille moteurs du nouveau modèle LEAP sont par ailleurs actuellement en commande. En outre, le mandat de négociation prévoyait l'obligation de renforcer la branche transport d'Alstom – qui représente 25 % de son activité, contre 75 % pour la branche énergie.

Après m'avoir écrit, le 5 juin, que l'acceptabilité d'un tel schéma pour General Electric, Alstom et ses actionnaires serait faible, voire nulle, le directeur général de l'APE m'a au contraire annoncé, jeudi dernier, que le mandat de négociation que je lui avais confié avait été rempli à 100 %. Le Gouvernement a donc décidé de conclure ce partenariat avec GE. Le chiffre d'affaires de l'entreprise américaine s'élevant à 250 milliards d'euros de chiffre d'affaires contre 20 milliards pour Alstom, ce partenariat ne constitue nullement une alliance entre égaux, contrairement à l'offre de Mitsubishi qui prévoyait par ailleurs des majorités différentes au sein des conseils d'administration des différentes co-entreprises créées, l'entrée de l'État dans le capital d'Alstom à hauteur de 10 % et le renforcement de la branche transport avec l'aide de Siemens. Le protocole d'accord ayant été longuement et âprement négocié entre l'État et les deux autres parties, j'ai félicité les négociateurs pour le compte de l'État pour leur professionnalisme.

Je décrirai à présent les trois co-entreprises qui font l'objet de cet accord.

La première vise à la mise en commun des activités d'Alstom dans le secteur de l'hydraulique et de l'éolien. Elle est détenue à parts égales par Alstom et GE. Son conseil d'administration est composé pour moitié d'administrateurs d'Alstom et pour moitié d'administrateurs de GE. Son président sera nommé par GE, mais son siège mondial sera localisé en France. En outre, Alstom aura à tout moment la possibilité d'acquérir jusqu'à 80 % de cette co-entreprise sans que GE puisse s'y opposer.

Contrairement à la première, la deuxième co-entreprise consiste en une mise en commun des activités de réseau à haute tension de General Electric, qui apporte 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires, et d'Alstom, qui apporte 2,5 milliards. Rappelons que, aux États-Unis, GE est leader référencé dans le domaine des réseaux intelligents. Comme la première, cette co-entreprise est détenue à 50 % par chacun des deux groupes, son siège mondial se situe en France et ses administrateurs sont moitié français, moitié américains. Son président est nommé par GE, mais doit être français. Les intérêts des deux entreprises sont donc étroitement imbriqués, de sorte que l'on ne peut parler d'un Yalta : la marque Alstom étant maintenue, GE vendra une production « Alstom Inside ».

Troisième co-entreprise : celle de la vapeur. Contrairement à ce qu'on lit dans les journaux, cet accord ne prévoit pas seulement l'isolement du nucléaire. Cette co-entreprise, qui a son siège mondial en France, regroupe tous les sites industriels comprenant des turbines à vapeur sur notre territoire, toute l'activité de service et de maintenance attachée à ces turbines, toute l'activité nucléaire et toute l'activité d'ingénierie et de construction de centrales clefs en main équipées de turbines à vapeur, sachant qu'Alstom disposait jusqu'à présent d'une base installée de 600 turbines à gaz et de 4 000 turbines à vapeur. Cette co-entreprise est elle aussi détenue pour moitié par chacun des deux groupes. Mais, dans la mesure où nous n'avons pas souhaité séparer l'activité nucléaire de l'activité vapeur, l'accord prévoit une action spécifique, appelée golden share, qui impose la présence dans le conseil d'administration, en plus des cinq administrateurs d'Alstom et des cinq administrateurs de GE, d'un représentant de mon ministère. Ce dernier disposera d'un droit de veto dans un nombre important de cas fixés dans le protocole d'accord. En contrepartie, les droits économiques sur cette société ont été démembrés, puisque Alstom ne dispose plus que de 20 % de ceux-ci. C'est en appliquant le décret du 14 mai dernier que nous avons pu parvenir à ce résultat. Le siège mondial de cette co-entreprise se trouve en France et son président sera nommé par GE après consultation du Gouvernement.

Ces trois co-entreprises représenteront un chiffre d'affaires de 10,2 milliards de dollars, soit 7,5 milliards d'euros, alors qu'il était question de vendre 100 % des activités dans l'énergie. Cet accord garantit donc notre indépendance énergétique. Mais pourquoi avoir vendu les turbines à gaz d'Alstom ? D'une part, parce qu'elles ne sont pas produites en France, mais en Suisse et en Allemagne, et, d'autre part, parce que Mitsubishi et Siemens avaient proposé à Alstom de les lui racheter. L'un des arguments avancés par les organisations syndicales pour refuser le démantèlement des activités gazières et vapeur d'Alstom est que certaines centrales combinent des turbines à gaz et des turbines à vapeur. Mais, dans la mesure où Alstom a conclu une alliance avec GE, les turbines à gaz auparavant fabriquées par Alstom et désormais par GE continueront à participer du cycle combiné, contrairement à ce qui se serait produit en cas d'alliance avec Mitsubishi.

Un accord complémentaire prévoit que General Electric vend son activité de signalisation, à hauteur de 1 milliard d'euros, à la branche transport d'Alstom. Ainsi, non seulement l'entreprise Alstom conserve sa puissance économique dans le secteur de l'énergie, mais elle entre sur le marché américain dans le domaine de l'assistance, de la logistique et de l'ingénierie, avec son allié GE – qui ne produit, à hauteur de 3 milliards de dollars, que de grosses locomotives de fret. Des accords de promotion, aux États-Unis, du TGV et de diverses productions européennes et françaises sont prévus.

Pour garantir l'alliance Alstom-GE, nous avons choisi d'entrer comme actionnaire principal dans le capital d'Alstom, que nous avons nationalisé à hauteur de 20 %. Nous avons ici suivi le raisonnement ayant présidé à notre entrée dans le capital de PSA : afin de ne pas laisser la famille Peugeot seule face à la famille Dongfeng et de garantir la pérennité et l'équilibre ultérieur de leur alliance, nous avions décidé que ces deux familles et l'État détiendraient chacun 14 % de PSA. Si nous laissons Alstom, dont le capital s'élève désormais de 12 à 15 milliards d'euros, face à General Electric, qui en représente 250, qu'adviendra-t-il dans trois ans ? Ceux qui voulaient vendre Alstom à GE seront peut-être à nouveau tentés de le faire. Notre décision s'appuie exclusivement sur des motifs de nature industrielle et non de nature politique. Pour démontrer sa capacité à faire le bien de notre territoire, General Electric s'est spontanément engagé à créer au minimum 1 000 emplois nouveaux puis, pour démontrer sa bonne foi, à payer des pénalités financières en cas de non-respect de cet engagement, à hauteur de 50 000 euros par emploi non créé. C'est un précédent notable.

Beaucoup ont souligné que l'on aurait pu envisager une solution européenne. Moi-même, je l'aurais souhaité. Mais aucune offre n'a été proposée au niveau européen, même si Siemens a proposé d'acheter les turbines à gaz d'Alstom et de vendre une partie de ses activités ferroviaires. Nous avons réfléchi à une solution franco-allemande dans les réseaux, dans le secteur hydraulique, dans le secteur éolien et pour la production de TGV, de motrices, de trams et de métros : chaque fois, nous nous sommes heurtés aux règles de l'anti-trust et au contrôle des autorités européennes de la concurrence, compte tenu des niveaux de présence qu'auraient atteints Alstom et Siemens sur les marchés domestiques européens. Si ces deux entreprises s'étaient rapprochées, la Commission européenne s'y serait immédiatement opposée et aurait scindé l'alliance en deux entités. Celle-ci interdit en effet la naissance de champions européens : lorsque Péchiney a voulu acheter Alcan, la Commission l'a refusé au motif que cela violait les règles de concurrence. Alcan a donc acheté Péchiney, puis Rio Tinto a acheté Alcan, si bien que Péchiney a été démantelée. L'histoire est la même pour Schneider. Chaque fois, la Commission européenne applique avec dogmatisme des règles obsolètes dont elle fait une interprétation abusive au regard du Traité de Rome. Pourtant, l'objectif de l'Union européenne n'est pas d'appliquer des règles absurdes, mais d'assurer la prospérité des Européens ! Et je ne vois pas en quoi l'union de deux acteurs majeurs franco-allemands porterait atteinte à la concurrence.

Bien sûr, il est toujours possible d'organiser ensuite la concurrence extra-européenne. Mais, si nous souhaitons constituer des champions mondiaux sur une base industrielle européenne, il nous faut accepter de réformer les règles de la concurrence applicables dans l'Union européenne. Et nul n'est besoin de réviser les traités pour cela : il suffit de modifier leurs règlements d'application, élaborés par la direction générale de la concurrence, comme nous l'avons proposé dans l'agenda de croissance présenté au Conseil européen samedi dernier.

Dans le cas d'Alstom, le commissaire à la concurrence, M. Joaquin Almunia, estime que les autorités de la concurrence n'ont exercé aucune censure. Mais qu'il ne s'inquiète nullement : l'autocensure est dans toutes les têtes puisque, sur chaque dossier, des nuées de lawyers sont là pour nous rappeler l'existence des règles antitrust. Voilà pourquoi la contre-proposition qui nous a été adressée émanait de Mitsubishi. Lorsque M. Sigmar Gabriel et moi-même nous sommes rendus la semaine dernière à Toulouse pour visiter les locaux d'Airbus, nous avons tous deux déclaré que, si nous souhaitions aujourd'hui créer Airbus, la Commission européenne nous en empêcherait. Mieux vaut donc réformer la Commission européenne, plutôt que de nous interdire de construire les futurs Airbus.

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