Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 24 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Arnaud Montebourg, ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique :

Merci pour vos encouragements, auxquels je suis très sensible. Cela n'a pas été simple, mais c'est une partie importante pour l'avenir de notre industrie qui se jouait là.

La mise en oeuvre de l'accord ne commencera pas avant le début de l'année prochaine, car il faut au moins six mois pour consulter les institutions représentatives du personnel et les autorités de la concurrence de Bruxelles. Après quoi il faudra constituer les coentreprises et les conseils d'administration, sachant que nous n'entrerons dans le capital qu'à compter de la transaction entre GE et Alstom, qui devrait avoir lieu au début de 2015.

Il sera alors temps d'entrer dans le détail de la nouvelle stratégie ou de ce que M. Kron appelait le « nouvel Alstom ». Celui-ci a d'ailleurs fait part dans la presse de son désir de passer le relais. Je me rendrai demain au Creusot, où je préciserai l'avenir de la branche transport, nombre de salariés s'interrogeant sur leur devenir.

La stratégie industrielle d'Alstom dépendra de cette alliance avec le numéro un mondial, mais, quand GE vendra ses productions, il vendra désormais aussi celles d'Alstom.

Je rappelle que MM. Immelt et Kron se sont rendus à Belfort pour dire aux salariés leur façon de voir : ils sont très optimistes, ce dont je me réjouis pour la France et sa base industrielle.

Nous allons détenir 50 % des parts et disposer de droits de veto. Si ce ne sont pas là les conditions d'une alliance, je me demande ce que vous entendez par ce mot, monsieur Fasquelle. Je note d'ailleurs que vous avez vous-même signé un texte avec vos collègues M. Reynier, M. Grellier et Mme Dubié, dans lequel vous appeliez à développer les partenariats capitalistiques au niveau de chacune des quatre divisions. Je ne comprends pas votre volte-face !

L'option française, que le Gouvernement a étudiée, sous l'impulsion des organisations syndicales, était solitaire. Alstom pouvait-il être seul du point de vue du capital ou de l'industrie, alors qu'il a 5 milliards de dettes, décline sur les marchés mondiaux et fait l'objet d'une procédure du ministère de la justice des États-Unis, comme Siemens hier et BNP-Paribas aujourd'hui ? Cette option imposait à l'État de capitaliser sans fin et sans autre voie que de recourir à d'autres entreprises publiques, qui sont elles-mêmes déjà éprouvées. Nous n'avions pas les munitions pour bâtir une stratégie qui, par ailleurs, aurait conduit à un plan social de plusieurs milliers de personnes dans le monde, comme me l'avait annoncé M. Kron en février dernier. La solitude conduisait donc à des difficultés et à une absence de solution.

J'ai toujours défendu une alliance préservant les intérêts français. C'est un compromis entre les plans A et C qui a finalement été retenu, c'est-à-dire une entrée dans le capital qui nous donne des garanties et une alliance n'ayant pas vocation à se solder par une disparition ou un rachat. S'il y a des augmentations de capital à l'avenir, nous pourrons être présents à un bon niveau pour aller plus loin. Et, si nous ne le faisons pas, nous pourrons vous expliquer pourquoi. Si cela n'est pas une alliance, je ne comprends pas ce que vous appelez ainsi. Peut-être auriez-vous préféré racheter GE ! Nous n'en avons pas les moyens. (Sourires.)

Plusieurs députés m'ont interrogé sur les plus-values de Bouygues. M. Bouygues a enregistré dans ses comptes 1 milliard de pertes et de moins-values. Il grommelle souvent en dénonçant ceux qui l'ont conduit là, mais je n'en fais pas partie : nous n'étions pas au pouvoir à cette époque. Il se trouve par ailleurs que l'un de mes prédécesseurs, M. Nicolas Sarkozy, est entré dans le capital d'Alstom : je n'ai donc pas compris pourquoi certains membres de l'UMP m'ont fait un reproche qu'ils se sont abstenus d'adresser à ce dernier. J'avais alors plutôt encouragé l'initiative de M. Sarkozy, alors que j'étais dans l'opposition. On peut donc trouver des accords transpartisans quand l'intérêt industriel national est en cause.

Au titre de notre accord avec Bouygues, qui a été signé par le directeur de l'APE et le directeur financier du groupe, pendant vingt mois, M. Bouygues a l'obligation de nous vendre ses actions à 35 euros, mais nous ne sommes pas obligés de les lui acheter : nous pouvons en acquérir sur le marché si elles sont moins chères. Si l'alliance avec GE et celle avec l'État produisent de bons effets, je me réjouirai que le cours d'Alstom s'élève, car cela signifiera que les marchés ont confiance dans ce que nous avons fait. Je ne peux donc vous dire à quel prix ces titres seront rachetés, mais notre objectif est de manier avec précaution le patrimoine des Français.

En contrepartie de ce délai, M. Bouygues s'engage à nous laisser ses pouvoirs au sein du conseil d'administration pendant vingt mois à compter de la transaction entre GE et Alstom. Nous aurons alors deux sièges d'administrateur et l'État participera à l'exercice du pouvoir au sein de la nouvelle société. Ce prêt de titres est lié au fait que nous n'avions pas trouvé d'accord sur le prix.

Comment allons-nous financer cela ? Nous avons vendu de façon homéopathique ces derniers mois des actions d'EADS, d'Aéroports de Paris et de Safran, et nous avons aujourd'hui dans le compte d'affectation spéciale de l'APE plus de 2 milliards d'euros disponibles à réinvestir. Dans la loi de finances pour 2014, nous avons par ailleurs prévu un certain nombre de ventes de participations : 3,5 milliards d'euros vont être réinvestis et 1,5 milliard servira au désendettement de l'État. En outre, nous avons annoncé il y a dix minutes la cession de titres GDF-Suez par l'État à hauteur de 3,1 % du capital.

Mme Bonneton m'a interrogé sur ce que les autorités européennes de la concurrence pensent de cet accord. Le risque de concurrence est assumé par General Electric, et nous sommes très confiants.

Vous m'avez demandé si d'autres accords avaient été noués avec Bouygues. Non, il n'y en a pas. En matière de télécommunications, le ministère de l'économie considère que, dans l'intérêt général, il vaut mieux revenir à trois opérateurs. Bouygues Télécom peut racheter Free, Free racheter Bouygues Télécom ou Orange racheter Bouygues Télécom : toutes ces configurations me conviennent. Cela relève des entreprises, de leurs décisions et de leurs négociations. Et je dois vous dire que j'ai parfois du mal à les suivre…

Doit-on considérer que la branche Alstom Transport est fragilisée ? Au contraire, elle se trouve renforcée par la cession d'activités de signalisation, qui fait d'Alstom le numéro 2 en Europe, derrière Siemens.

Les fonds qui vont entrer dans l'entreprise serviront d'abord à son désendettement – sa dette est de 5 milliards ; ensuite à la rémunération des actionnaires ; enfin à des acquisitions qui seront décidées, dans la branche transport, par le board du nouvel Alstom. Celui-ci souhaite en effet construire un acteur mondial qui soit de taille à rivaliser avec les acteurs chinois, qui pèsent chacun 10 milliards. Alstom Transport pèse environ 5 milliards.

Monsieur Chassaigne, l'État va entrer dans le conseil d'administration d'Alstom, dont il sera l'actionnaire de référence. Il est déjà actionnaire de référence de Renault, Orange et Thalès : il n'est pas aux manettes, mais agit comme un conseil de surveillance et discute des orientations stratégiques de l'entreprise. Ainsi, en tant que ministre de tutelle de l'APE, j'ai supervisé le projet de relocalisation lié à l'accord de compétitivité signé par les organisations syndicales de Renault. Nous avons même participé aux négociations pour aider M. Ghosn à réussir sa négociation, en mettant dans la balance le fait que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi devrait être utilisé pour la relocalisation d'activités de production d'assemblage de véhicules sur le sol français – Renault passant de 500 000 véhicules à 720 000 et la Nissan Micra étant assemblée à Flins. Un actionnaire de référence rentre parfois dans le détail, se saisit de certains dossiers et échange avec le président de l'entreprise sur la vision industrielle.

M. Gallois est devenu le président du conseil de surveillance de PSA parce qu'il était administrateur salarié indépendant nommé par l'État. Nous ne sommes pas donneurs d'ordre, nous ne voulons pas diriger les entreprises à la place de ceux dont c'est le métier. Mais nous voulons comprendre, partager avec eux certaines décisions et parfois même, dans la mesure du possible, les infléchir. Le simple fait de les comprendre nous permet d'avoir une vision de long terme.

Cela signifie que l'État aura son mot à dire sur la nomination des représentants dans les coentreprises à 5050. Nous en discuterons avec les autres administrateurs indépendants d'Alstom, et les dirigeants opérationnels qui sortiront de ce nouvel Alstom seront le fruit de cette alliance de l'État, des administrateurs indépendants, du board. Il n'y aura donc pas de découpage de l'influence de l'État : c'est un ensemble et une alliance à plusieurs.

J'ai été interrogé sur la propriété intellectuelle des brevets liés au nucléaire. Ces brevets ont été entreposés dans une structure ad hoc, 100 % française, qui est sortie des actifs disponibles de la joint-venture 5050.

La question de Cuba est sur la table. Il reviendra au nouvel Alstom de s'en emparer lorsque GE entrera dans le capital, à moins qu'elle n'ait été résolue auparavant. À ce stade, je n'ai pas d'éléments de réponse à vous fournir.

Je crois avoir répondu à Mme Dubié sur le financement de la participation. Elle demande si c'est la BPI ou l'APE qui doit intervenir. C'est d'abord l'APE, qui a vocation à intervenir dans les grandes entreprises cotées. Elle l'a fait, par exemple, en investissant 800 millions d'euros dans PSA. Certes, la BPI peut venir en relais, mais j'ai toujours préféré que la BPI se consacre aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire. Le Gouvernement s'est donc exprimé en faveur de l'APE.

L'argent des turbines à gaz, qui seront reprises par GE, sera consacré au désendettement de l'entreprise et au renforcement de la branche transport.

Mme Massat demande comment les salariés ont accueilli l'accord. Les organisations syndicales n'ont pas voulu choisir entre les deux offres et ont publié des communiqués très positifs sur l'entrée de l'État dans le capital d'Alstom.

Monsieur Straumann, nos relations avec Siemens sont excellentes. Le Président de la République et moi-même avons remercié M. Kaeser, lequel a remercié le Gouvernement français pour ses efforts. Nos relations avec M. Miyanaga, le président de Mitsubishi HI, sont également excellentes.

M. Jean-Luc Laurent a posé la question du sens économique et industriel de l'opération. Il va nous falloir un peu de temps et de recul pour apprécier la puissance de l'alliance et voir comment l'exploiter au bénéfice de la France. Mais il est sûr qu'elle se traduira, pour nous, par un renforcement. L'alliance avec GE jouera dans les deux sens. Nous saurons exprimer à notre allié les besoins qui sont les nôtres.

Pourquoi être rentré à 20 % dans le capital de Siemens ? Tout simplement pour en être le premier actionnaire, l'actionnaire principal – ce que M. Bouygues était jusqu'à présent, et ce que l'État était à l'époque où M. Sarkozy était ministre de l'économie.

M. Jibrayel s'est interrogé sur l'avenir de la transition énergétique, se demandant si l'accord allait y concourir. La réponse est affirmative. Dans les transports collectifs comme dans les énergies renouvelables, Alstom investit sur des technologies qu'il souhaite amener à maturité, c'est-à-dire rendre compétitives, de sorte qu'il n'y ait plus besoin de subventions pour les mettre sur le marché. Ensuite, le projet « TGV du futur », qui est l'un des trente-quatre plans de reconquête industrielle du Gouvernement, est animé par Alstom. Je vous invite d'ailleurs à vous pencher sur les feuilles de route de ces trente-quatre plans, qui seront validées le 8 juillet. Ce projet est extraordinaire : par ses innovations, le TGV d'Alstom défraiera la chronique.

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