Intervention de Manuel Valls

Réunion du 23 octobre 2012 à 21h00
Commission élargie : administration générale et territoriale de l'État

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

L'organisation de l'État n'a pas suivi les différentes étapes de la décentralisation, engagée depuis trente ans. L'État a souvent subi les effets de la décentralisation sans que soit engagée de réflexion stratégique sur son rôle, sa place, ses missions. Il nous faut aujourd'hui redéfinir ses missions. La tâche est d'autant plus difficile – je vous remercie de vos encouragements – que nous sommes confrontés à une crise économique et à une crise des territoires, que se fait jour une très forte demande de protection par l'État et que va s'engager une nouvelle étape de la décentralisation qui, pour la première fois depuis l'origine, aura lieu dans un contexte de crise des finances locales. Le défi est de taille mais, bien que le chemin de crête soit étroit, nous ne le relèverons pas en imposant brutalement nos décisions depuis Paris.

Le réseau des préfectures et sous-préfectures a été fortement sollicité dans le cadre du budget triennal pour 2009-2011, le taux de non-remplacement des départs à la retraite atteignant 85 % : on est donc bien loin de la règle du « un sur deux ». La mise en oeuvre du schéma d'emploi du ministère s'est ainsi traduite par une diminution de 2 175 postes, ce qui me conduit nécessairement à un recentrage des missions – de ce point de vue, je me garderai bien d'invoquer la rupture.

Comme M. Benoit l'a dit à propos de la Bretagne, les solutions doivent venir du terrain, même s'il nous faut redéfinir la taille des arrondissements, ainsi que l'organisation et les missions des sous-préfectures, qui, dans certains territoires, jouent un rôle majeur : j'ai pu m'en apercevoir lors de mes déplacements dans les Alpes-de-Haute-Provence et le nord du Gard, ou encore à l'occasion de manifestations, pétitions ou articles dans la presse régionale, surtout lorsque ces réductions d'effectifs font suite à la disparition de services publics. Nous aurons à prendre des décisions difficiles, mais je souhaite, dans le cadre d'une réflexion associant ma collègue Marylise Lebranchu, le Parlement et les associations d'élus, trouver les solutions qui assurent la plus grande efficacité de l'État sur le terrain.

Qu'il s'agisse du développement économique, de la recherche, de l'emploi ou de la création d'activité, les missions des sous-préfets ont changé au cours des dernières années, et peuvent au demeurant dépendre de leurs profils personnels. Une chose est de supprimer une sous-préfecture, une autre est de supprimer un poste de sous-préfet. En l'occurrence, je n'ai jamais caché qu'il nous faudrait fermer des sous-préfectures.

Le Concordat en Alsace-Moselle, monsieur Candelier, impose certes une forte présence de l'Église, mais celle aussi de l'État, et ce à travers le réseau des sous-préfectures – j'ai bien compris, cependant, lequel des deux vous souhaitiez supprimer (Sourires). Une réflexion est en cours sur l'éventualité d'une collectivité unique en Alsace : si ce projet se concrétisait, l'État devrait-il modifier ses propres structures ? Nous devons y réfléchir sereinement, en dépit de l'urgence financière : les différentes mesures que j'ai énumérées – allégements des missions préfectorales, évolution du réseau des sous-préfectures, centralisation en préfecture du contrôle de légalité, mutualisations interministérielles ou régionalisation, avec Chorus, des centres de services partagés – y contribueront.

L'ancien maire d'Évry que je suis est sensible au problème de l'accueil des étrangers en préfecture, madame Untermaier, monsieur Candelier. J'en ai fait une priorité de mon ministère, à travers la mission de l'IGA, le relogement de la sous-préfecture à Saint-Denis et un programme de 13 millions d'euros en 2013 pour améliorer l'accueil, notamment à travers des travaux immobiliers – auxquels s'associent, je suppose, les collectivités, à l'instar de ce que l'agglomération d'Évry avait fait pour la préfecture de l'Essonne.

Les conditions d'accueil ne sont pas acceptables ; je veux donc les améliorer, tout d'abord en limitant le temps d'attente par la prise de rendez-vous en ligne et le pré-accueil. Mais encore faut-il que le système fonctionne : bien souvent, aujourd'hui, l'accueil par téléphone est un moyen de décourager les candidats à la naturalisation ou au titre de séjour. Par ailleurs, le référentiel Qualipref intègre désormais des engagements de service précis quant à la délivrance des titres pour les étrangers, et les processus Lean permettent de fluidifier l'instruction des dossiers et d'améliorer l'organisation des services, comme j'ai pu le constater à la préfecture des Hauts-de-Seine.

Nous réfléchissons à la création d'un titre de séjour de trois ans, mesure qui, loin d'ouvrir les vannes de l'immigration, peut être un élément de stabilité pour les étrangers dont on sait qu'ils resteront plusieurs années sur notre sol, et qui, aujourd'hui, doivent renouveler leur titre tous les ans. Cela allégera aussi la charge de travail des préfectures.

L'appel est évidemment un droit pour tous, madame Untermaier, quand par ailleurs les procédures d'urgence se multiplient.

Depuis trois ans, monsieur Marleix, un seul départ à la retraite sur cinq a été remplacé : le « un sur deux » que nous instaurons est donc bien plus favorable, même si je ne cache pas que nous sommes face à de réelles difficultés financières. Un ministère qui a fait de la police et de la gendarmerie une priorité – bien qu'il ne puisse répondre à toutes leurs demandes en matière d'immobilier – agit forcément dans un cadre très contraint pour le réseau des préfectures et des sous-préfectures. Mais nous ne pouvons à la fois tenir nos engagements de réduction des dépenses publiques et répondre à toutes les demandes : il nous faut donc faire preuve d'imagination.

Les 97 000 euros alloués à l'immobilier représentent une somme bien modique, certes, mais ils ne concernent que la mise aux normes. Les objectifs seront difficiles à atteindre, comme pour les autres ministères. Rappelons tout de même que rien n'a été fait depuis dix ans, alors qu'il s'agissait d'un grand chantier lancé par Jacques Chirac.

Les procédures relatives aux installations classées étant complexes, les dossiers sont surtout traités par les unités territoriales de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). L'un des enjeux, pour le préfet, est de mobiliser les services et les interlocuteurs afin d'aller au plus vite.

Je suis preneur, monsieur Marleix, de vos conseils éclairés en matière de découpage électoral : vous me prêterez les ciseaux que j'imagine soigneusement gardés dans votre coffre familial. (Sourires.) Plus sérieusement, lorsque l'arbitrage aura été rendu, je discuterai avec les parlementaires du mode de scrutin relatif aux conseillers départementaux. Le scrutin binominal suppose, pour garantir l'ancrage territorial et la parité – ainsi que l'a rappelé le Président de la République lors des États généraux de la démocratie territoriale –, un redécoupage complet, lequel devra tenir compte des préconisations du Conseil d'État, de l'avis des conseils départementaux et des formations politiques, du poids démographique – les disparités pouvant aujourd'hui aller de 1 à 47 dans certains départements –, mais aussi de la nature des territoires. Les problèmes du statu quo sont évidents – disparité cantonale et absence de parité –, et un scrutin départemental de liste serait préjudiciable à l'ancrage territorial. M. Favier, président du conseil général du Val-de-Marne, insistait aussi, cet après-midi au Sénat, sur la nécessité du pluralisme. Au plan juridique, le redécoupage cantonal ressortit au Conseil d'État, dont, le cas échéant, je solliciterai par conséquent l'avis, tout en procédant à la consultation la plus large des formations politiques. Reste que l'ancrage cantonal, tâche ardente que j'espère pouvoir mener à bien, doit être lié aux réalités administratives départementales.

J'en viens à des questions plus précises. Le premier passeport biométrique fut délivré le 31 octobre 2008 ; au 30 septembre de cette année, près de 10 millions d'autres l'ont été. Au 31 juillet 2012, le délai de mise à disposition en mairie était, en moyenne nationale, de onze jours, la production et la livraison des titres exigeant quant à elle en moyenne entre quatre et cinq jours. Est-il possible d'améliorer ces performances ? Le ministre de l'intérieur ne peut que le souhaiter.

S'agissant du projet FAETON, la principale nouveauté apportée par la directive européenne est le caractère renouvelable du permis de conduire dont la durée de validité n'excède pas quinze ans, afin de permettre un renouvellement régulier de la photographie. Le permis sera délivré sous un format unique au début de 2013, même si des retards sont toujours possibles. En tout cas, la totalité des permis de conduire actuels devra être renouvelée avant le 19 janvier 2033. Dans la lignée des processus de dématérialisation administratifs, le projet FAETON offre à tous les acteurs de la gestion du permis de conduire souplesse et rapidité.

Je souhaite moi aussi un État proche des usagers, monsieur Candelier. Le réseau des sous-préfectures, qui est resté le même depuis 1926, doit évoluer. Cependant la crise budgétaire ne doit pas affecter la qualité du service public, nous en sommes bien d'accord.

En tant que représentant de l'État, j'ai rencontré le pape dimanche dernier à l'occasion d'une canonisation. Le journal L'Humanité en a fait reproche au Gouvernement, mais l'État se doit d'avoir des rapports équilibrés et intelligents avec l'Église catholique. Je n'ai pas parlé de votre proposition au pape (Sourires), mais j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur le Concordat : celui-ci fait partie de notre histoire ; le remettre en cause, même si je respecte bien entendu vos convictions, me semblerait inopportun au regard des spécificités de l'Alsace et de la Moselle, qui, en matière de tolérance et de dialogue, nous donnent parfois de belles leçons.

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