S'inscrivant dans une logique parfaitement comprise, qui est une logique à la fois d'optimisation des moyens, d'économies mais aussi de maintien des ambitions nationales en matière de défense, la « manoeuvre RH » est très ambitieuse car elle atteint les limites de certaines capacités de déflation du ministère. Nous disposons en effet de faibles marges et la manoeuvre comporte des risques significatifs qui nous conduiront peut-être à l'ajustement de certains outils qui sont aujourd'hui prévus pour la seule durée de la LPM.
Qu'est-ce que la « manoeuvre RH » ? Il faut imaginer la manoeuvre des postes, celle des effectifs et le suivi du budget : il ne s'agit donc pas seulement de la déflation des effectifs. Pour qu'elle soit efficace, nous avons besoin de disposer d'une excellente vision de notre organisation. C'est certainement dans ce domaine que nous avons encore quelques fragilités. La manoeuvre en effectifs s'inscrit donc d'abord dans une manoeuvre en organisation.
Nous allons d'abord regarder le cadre de notre action. Notre objectif, faut-il le rappeler, est d'adapter les effectifs et les compétences du ministère au nouveau format des armées et des services, dans le respect des crédits de masse salariale – on retrouve là le triptyque postes, effectifs et budget. Pour atteindre cet objectif, il nous faut assurer la cohérence quantitative et qualitative entre les cibles en organisation, en effectifs et en masse salariale. J'insiste sur ce point, il ne s'agit pas d'un simple objectif quantitatif, nous avons besoin avant tout de compétences. C'est de cela dont ont besoin les armées pour conduire les opérations. C'est de cela dont a besoin le ministère pour son fonctionnement.
Vous connaissez les objectifs chiffrés : la déflation sur cette LPM doit être de 33 675 agents, dont 23 500 au titre de la programmation 2014-2019 auxquels il faut ajouter le reliquat de la programmation précédente. Au total, sur la période 2008-2018, nos effectifs auront diminué de 25 % (soit 82 000 agents) ce qui est considérable.
L'objectif de la LPM est de préserver autant que possible les forces opérationnelles, qui ne diminueront que de 8 000 postes, ce qui implique de produire un effort très significatif sur les soutiens. Cette concentration de l'effort, nous y reviendrons, rend la manoeuvre forcément très délicate. Cet effort sur le soutien représente 64 % de la déflation et s'ajoute à celui, équivalent, qui avait été fait sous la LPM précédente (- 63 %). Pour le mener à bien, nous avons donc besoin de conduire des analyses fonctionnelles très approfondies sur ces soutiens.
Derrière cette question de la déflation, nous ne devons pas oublier que nous avons à garantir, dans le même temps, le renouvellement des générations et des compétences pour maintenir l'efficacité de nos forces. Nous devons donc ne pas diminuer l'effort en matière d'attractivité du recrutement et de qualité de la formation. On doit néanmoins s'interroger sur le comment. Nous devons aussi développer l'attractivité des parcours professionnels et des carrières pour garder nos meilleurs éléments. Cela nous oblige à travailler sur une gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC), tout particulièrement pour le personnel civil. C'est certainement une des fragilités du ministère, le personnel civil étant réparti entre de nombreux employeurs. Cela nécessite de faire un effort de lisibilité sur tous les parcours professionnels.
Je voudrais à présent souligner quelques différences entre la précédente LPM et l'actuelle. En forçant un peu le trait, je dirais que la précédente LPM s'est principalement attachée à faire des gains de productivité. Ces gains ayant été faits, l'effort supplémentaire de réduction nous impose de penser notre activité sur un modèle différent. Il convient désormais de penser certaines activités de manière différente. Notre organisation actuelle ne nous permettra pas de trouver les 34 000 postes à supprimer. Cette transformation des organisations doit être préparée par les employeurs et doit précéder la déflation des effectifs, au risque de générer des vacances de postes. L'atteinte de la cible est réalisable, soit avec les départs, soit en baissant le recrutement mais, si nous ne transformons pas notre organisation actuelle, si nous n'identifions pas maintenant les postes à supprimer, nous aboutirons, au terme de la déflation, à ce qui est qualifié d'échenillage, avec des services en difficulté de fonctionnement. C'est un sujet, j'y reviendrai, qui inquiète particulièrement le personnel, civil et militaire. Nous avons des difficultés et des risques qui portent tout particulièrement sur les domaines du soutien, compte tenu de la priorité accordée aux forces opérationnelles. J'y reviendrai lorsque nous aborderons les risques sociaux.
Lors de la précédente réforme, des gains de productivité avaient été dégagés sans transformation des structures et des processus, à l'exception notable de la création des bases de défense (BdD), réforme majeure et mise en oeuvre de manière peut-être trop rapide. L'effort demandé impose désormais de revoir complètement notre organisation. La communauté des gestionnaires, que j'anime au titre de mes responsabilités fonctionnelles, a une vision un peu courte de notre organisation, là où nous étions habitués à avoir une visibilité à cinq ans. Or, notre vision à cinq ans aujourd'hui n'est pas complète. Cela rend difficile les 30 000 mutations que nous devons accomplir chaque été : en effet, il est délicat d'affecter quelqu'un dans une unité qui sera peut-être supprimée dans deux ans.
Par ailleurs, nous sommes passés d'une logique quantitative à une logique de déflation plus ciblée, en particulier dans les fonctions d'encadrement.
En tout, nous avons 6 100 postes de cadres à faire disparaître aux termes de la loi, dont 5 800 d'officiers. La précédente LPM n'avait pas d'objectif ainsi ciblé, catégorie par catégorie, ce qui constituait certainement une erreur, dont nous supportons aujourd'hui une partie des conséquences. Une déflation dépyramidante aurait dû être faite. Le pourcentage d'officiers est actuellement de 16,75 % et notre objectif est de le ramener à 16 %. À l'intérieur du volume d'officiers, nous avons une disparité très importante de missions : si dans les armées les officiers sont largement affectés à des fonctions d'encadrement car il y a davantage de structures de commandement, ce n'est pas les cas au service de santé des armées (SSA) ou à la direction générale de l'armement (DGA), structures dans lesquelles les officiers ne sont pas tous des encadrants. La conduite de la déflation des officiers sera donc délicate car tous les services ne pourront pas y contribuer de la même manière.
Nous avons un autre objectif ciblé de rééquilibrage entre le personnel civil et le personnel militaire, équilibre auquel nous n'avions pas été assez vigilants lors de la précédente programmation. Cela a conduit à un changement entre les proportions personnel militaire et personnel civil : en dix ans, la proportion du personnel civil a légèrement baissé pour représenter 23 % du personnel du ministère aujourd'hui, contre 25 % auparavant. La LPM nous impose désormais de rééquilibrer cette proportion entre les deux populations. Tout ceci doit se faire en définissant le socle des compétences militaires nécessaires à la tenue des contrats opérationnels, notamment dans les soutiens. Les postes qui ne sont pas nécessaires à la tenue des contrats opérationnels, en et hors métropole, auront pour vocation à passer sous statut civil. Ce rééquilibrage doit permettre de faire jouer la complémentarité.
Enfin, dernière différence par rapport à la précédente LPM, la clause d'auto-assurance a remplacé la clause de sauvegarde : notre enveloppe de crédits de titre 2 (crédits de personnel) ne pourra plus être abondée pour faire face aux aléas de gestion. En LPM 20092014, il était en particulier prévu de ne pas aller au-delà des déflations d'effectifs programmées, quelle que soit la situation du titre 2. Ce dispositif n'a finalement été que très peu utilisé. Désormais, les marges de manoeuvre sont plus réduites, toute dérive devant être compensée sur le seul titre 2.
La manoeuvre a commencé, quels risques avons-nous aujourd'hui identifiés ?
Tout d'abord, la déflation des officiers est très ambitieuse et la cible d'environ 1 000 postes supprimés par an est une limite maximale – nous avons une cible à 850 déflations nettes en 2014. Des déflations plus faibles auraient pour conséquences un effet pyramidant en inter catégories (part des officiers dans la population militaire) contraire aux objectifs de la LPM. De plus, au sein de la catégorie des officiers, si nous ne remplissons pas nos objectifs de départs annuels, qui touchent principalement le haut de la hiérarchie, colonels et lieutenants-colonels, nous devrons réduire nos recrutements à la base, c'est-à-dire des sous-lieutenants ou lieutenants, ce qui mécaniquement nous empêcherait de disposer d'une pyramide des grades plus adéquate
L'effort qui nous est demandé en termes de départs est trois fois plus important que celui demandé par la précédente LPM. Dans le même temps, nous avons diminué l'avancement des officiers de 24 % depuis 2012. Ce travail, qui contribue au « dépyramidage » se fait dans le cadre du contingentement auquel nous sommes soumis par le ministère du Budget, qui nous impose de négocier chaque année la structure hiérarchique, grade par grade, de nos armées. Nous nous retrouvons, si vous me permettez cette image, revenus « sous vert budgétaire ». Nous sommes, de fait, sous un pilotage extrêmement serré.
Vous comprendrez qu'il nous est difficile d'imaginer, si nous ne tenions pas nos objectifs de masse salariale, d'aller au-delà des déflations déjà prévues dans la loi. Une déflation supplémentaire des effectifs ne pourrait se faire que par une baisse du recrutement. Les Britanniques ont été contraints d'appliquer une méthode très brutale de ce type, qu'ils ont appelée « black hole » - « trou noir », car elle les a conduits à avoir de vrais déficits de compétences dans certains domaines, déficit qui se fait toujours ressentir.
J'en viens à présent aux risques sociaux assortis à cette opération de déflation. Nous avons comme préoccupation constante de les prévenir, nous en parlons en cesse avec les représentants du personnel, nous formons nos cadres à la prévention de ce risque. En ce qui concerne les restructurations, un stress important, et parfois un drame personnel, peuvent naître chez les personnels à la fermeture de l'unité qu'ils servent. Paradoxalement, de telles manifestations peuvent également se rencontrer chez ceux dont l'unité est préservée mais où beaucoup de postes sont supprimés avec pour conséquence une augmentation sensible de la charge de travail – c'est la conséquence de l'échenillage que j'ai évoqué tout à l'heure. Le personnel militaire nous dit également que les opérations extérieures sont un facteur de stress, pour leurs familles et, par contre coup, sur lui-même. En outre, cette déflation se situe dans un contexte de crise économique qui ne facilite pas les aspects reconversion nécessaires à la manoeuvre RH.
Puisque nous sommes sur un principe d'auto assurance, quelles sont les marges qui nous restent pour préserver l'équilibre de nos dépenses de titre 2 ? Nous recherchons toutes les techniques possibles pour équilibrer la masse salariale sans toucher aux effectifs mais nous avons forcément une tension sur cette dernière. Nous avons donc une diminution des mesures catégorielles, ce qui ne facilite pas l'accompagnement de la déflation.
Les moyens de fonctionnement courant – le soutien – rencontrent également des difficultés, dont le dernier rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire s'est fait l'écho. Ces crédits du titre 3 sont pris en ciseaux entre la masse salariale et les crédits d'équipement, du titre 5, qui sont tout aussi indispensables. Cela a un impact sur la vie quotidienne de notre personnel et je tiens à rappeler que la crise de la Gendarmerie nationale de 2001 était partie d'une crise de moyens pour exercer les missions au quotidien. Nous devons donc être très vigilants sur ce sujet.
Il existe cependant des perspectives encourageantes. Les leviers qui ont été votés dans le cadre de la LPM sont efficaces. Et il faut aussi savoir reconnaître quand quelque chose est bien. Le premier d'entre eux est le pécule militaire d'incitation au départ (PMID) : il est attractif puisque les gestionnaires ont réussi à attribuer la totalité de ceux qui étaient à leur disposition cette année, à destination tant des officiers que des sous-officiers. Le deuxième levier, la pension afférente au grade supérieur (PAGS) rencontre également un beau succès : la totalité a été attribuée en 2014 pour les sous-officiers et 76 % à ce stade de l'année pour les officiers. S'agissant du reclassement dans la fonction publique, nous sommes, à 24 % de l'objectif de 2 115 reclassements mais nous ne sommes qu'à mi- année. Nous pourrions avoir des difficultés dans ce domaine. En effet, cette possibilité se tarit car quasiment tous les ministères sont concernés par des objectifs de déflation d'effectifs.
Les outils d'accompagnement à la mobilité, en particulier pour le personnel civil, sont incitatifs et innovants. Nous avons par exemple modifié le bornage kilométrique pour bénéficier d'un accompagnement à la mobilité en région Île-de-France, où ce ne sont pas tant les kilomètres qu'il faut prendre en compte que le temps de transport : le seuil pour bénéficier d'une prime à la reconversion a été abaissé. Nous avons également une indemnité temporaire de mobilité (ITM) qui est un levier destiné à renforcer l'attractivité d'un poste non pourvu : nous avons augmenté le recours à ce dispositif de 50 % en 2014.
J'en viens aux actions menées en faveur de la reconversion, fonction que nous cherchons à optimiser en permanence, notamment en ce qui concerne les officiers. La reconversion des sous-officiers et militaires du rang fonctionne de manière satisfaisante et nous n'avons évidemment pas diminué notre ambition dans ce domaine. En revanche, nous l'avons sensiblement renforcée pour les officiers puisque, comme je l'ai dit précédemment, les cibles qualitatives de la LPM justifient un effort particulier sur cette population. Nous avons ainsi créé une mission de reconversion des officiers en charge d'un dispositif global d'accompagnement sur l'ensemble du territoire. Les officiers commencent à s'y intéresser de manière approfondie en sollicitant des informations de la part des antennes de l'Agence de Reconversion de la Défense (ARD). Si, à ce stade, ils ne sont pas beaucoup plus nombreux à décider de « sauter le pas », il existe un véritable intérêt, une volonté de comprendre ces nouveaux dispositifs, qui sont des dispositifs classiques d'accompagnement individuel avec bilan professionnel, travail sur un projet, proposition de formations, etc. qui permettent au projet – et donc à la reconversion – de prendre corps progressivement de manière efficace.
Des prestations individuelles et collectives ont donc été mises en place qui doivent faciliter l'accès aux emplois de cadre supérieur en dehors de notre ministère. L'ensemble du dispositif bénéficiant aux officiers sera pleinement opérationnel en 2014.
Qu'en est-il des suites de la manoeuvre RH dans le cadre de la LPM ? Nous travaillons actuellement sur un modèle de ressources humaines à l'horizon 2025. Il s'agit d'une mutation vers un modèle RH qui se veut plus plastique. Nous recherchons les éléments de rigidité dans la gestion actuelle des ressources humaines et essayons, sans rupture, de faire évoluer ce modèle dans le respect de quatre principes fondamentaux. Premièrement, il s'agit d'assurer la capacité de nos armées à honorer leurs contrats opérationnels. Deuxièmement, il faut préserver la spécificité du métier des armes, ne pas le banaliser, en maintenant l'ensemble du statut général des militaires. Troisièmement, il convient de veiller à ce que les personnels travaillant dans des milieux typiques bénéficient de politiques spécifiques, sous réserve qu'elles soient cohérentes de la vision ministérielle. Il ne faut pas pratiquer l'égalitarisme à l'intérieur du ministère ; ainsi la politique RH d'une armée ne sera jamais identique à la politique RH de la DGA, par exemple. Enfin, nous devons bâtir un modèle qui prenne en compte la complémentarité entre la population militaire et la population civile.
Nos marges d'optimisation portent sur la définition de parcours professionnels, qui doivent devenir très lisibles, et sur l'idée qu'il convient de diffuser qu'une carrière d'officier ne doit pas nécessairement être une carrière complète qui s'effectue jusqu'à la limite d'âge, y compris pour les officiers de recrutement direct. Si les personnels doivent évidemment envisager une première carrière, seuls certains – notamment ceux qui auront été sélectionnés dans le cadre d'enseignement militaire supérieur – doivent pouvoir accéder à une seconde partie de carrière dans les armées. Pour les autres, cela ne sera pas nécessairement possible. Nous évoluerons progressivement, sans rupture brutale, vers ces modèles.
Pour pouvoir mener la manoeuvre RH jusqu'au bout, nous allons éventuellement être amenés à procéder à des aménagements sur certains dispositifs. Nous devrons rester attentifs à l'analyse de ce que nous vivons – et je sais que vous y veillerez. Je vous ai présenté le bilan des deux premiers outils après six mois d'exercice. Les suivants, notamment la promotion fonctionnelle, seront mis en oeuvre au cours de la programmation. Il nous faut suivre ces outils très précisément : qui les actionne ? Dans quelles proportions ? Quels sont les retours de la part des bénéficiaires ? Le cas échéant nous adapterons ces outils, mais nous serons éventuellement également amenés à demander leur prolongation. En effet, le pécule ou encore la pension afférente au grade supérieur (PAGS) sont limités à la durée de la LPM. En cas de difficulté à atteindre les objectifs, nous devrons peut-être adapter leur volume voire envisager de les maintenir pour une période plus longue.
Au titre des ajustements à effectuer, nous connaissons quelques difficultés de mise en oeuvre de la PAGS avec le service des retraites de l'État (SRE). Environ 200 militaires ont utilisé cet outil nouveau, mais les modalités de liquidation nous ont beaucoup déçus car il y a eu un problème d'anticipation pour adapter les systèmes informatiques, ce qui pourrait menacer l'attractivité du dispositif.
Nous devons également avoir une capacité de réflexion sur la nature même des outils si nous ne parvenons pas à atteindre nos objectifs de déflation. À l'heure actuelle, ils sont tous de nature incitative. Conformément aux souhaits du ministre, nous avons exclu, à ce stade, tout recours à des mécanismes coercitifs. Mais si nous ne parvenons pas à conduire la manoeuvre – et je rappelle que nous sommes en tension –, peut-être faudra-t-il imaginer des dispositifs plus contraignants.
J'aurais pu aborder d'autres sujets ou les détailler davantage – le rééquilibrage entre populations militaire et civile, la gouvernance de la fonction RH, les systèmes d'information – mais il m'a semblé plus pertinent de me concentrer sur la manoeuvre RH.