Monsieur le contrôleur général, nous vivons un miracle permanent : des jeunes gens, hommes et femmes, continuent de vouloir servir notre pays malgré toutes les mesures que vous nous annoncez. Je suis quelque peu atterré de constater que depuis des années on parle des armées comme d'une administration comme les autres. Je pense qu'il s'agit d'un métier spécifique et je m'interroge sur la pérennité des vocations dans le cadre d'un système aussi fermé. Je me demande si les jeunes gens qui nous écoutent ne seront pas d'autant plus motivés pour partir au Canada, en Russie, en Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande bref, dans tous les pays qui disposent encore d'un élan vital et qui ne sont pas gérés par une administration extrêmement efficace, dans la mesure où elle obéit à celles et ceux qui cèdent à l'idée selon laquelle les économies seraient permises par des réductions de postes dans les administrations régaliennes.
Car enfin, ce système est fou ! On supprime de vrais emplois dans ces administrations et, parallèlement, on crée de sous-emplois avec les contrats aidés, ou encore les postes liés à la réforme des rythmes scolaires. On diffuse à notre jeunesse l'idée selon laquelle s'engager dans des métiers de haute qualification, tel le métier d'officier, serait en fait peu intéressant. Je m'interroge donc profondément sur les modes de sélection à terme. Qui aura la possibilité de faire une carrière longue et qui verra le couperet tomber avant le terme de celle-ci ? Je suis persuadé qu'en termes de pensée stratégique et militaire, les révolutions et les ruptures interviennent souvent par celles et ceux qui ne partagent pas la pensée dominante, qui sont parfois en révolte avec le système. Ce n'est évidemment pas un reproche personnel, mais je pense que vous êtes en train de mettre consciencieusement en place un système profondément mortifère. C'est un système totalement soviétique au sens d'une administration toute-puissante qui tue la possibilité d'innovation et qui fait « rentrer dans un moule », ainsi que certains excellents écrivains russes l'ont parfaitement décrit. Je suis donc profondément inquiet pour les armées françaises à l'avenir. Menez-vous une réflexion quant aux critères sur la base desquels les officiers seront autorisés à poursuivre leur carrière ? Au risque de vexer certains, j'ai parfois la sensation que nos généraux sont davantage politiques et obédients par rapport au pouvoir civil qu'ils ne sont de vrais militaires, ce qui n'est pas absolument pas efficace sur le champ de bataille du futur.