Intervention de Jean-François Girault

Réunion du 18 juin 2014 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Jean-François Girault :

Je vous remercie Madame la Présidente ainsi que vous Mesdames et Messieurs les Députés de m'accueillir à nouveau dans votre enceinte. L'Irak est dans une situation de grand danger. Le pays connait une crise sans précédent et l'opération de l'EIIL l'a plongé dans une situation sécuritaire critique. L'offensive fulgurante a débuté le 6 juin et a permis à cette organisation terroriste – dont je rappelle qu'elle a été placée sur la liste des organisations terroristes des Nations Unies et sous sanctions en 2013 à l'initiative de la France – de prendre le contrôle de plusieurs provinces du centre et de l'Ouest du pays.

Cette offensive est la résultante de l'agrégation de plusieurs factions : EEIL, mouvements jihadistes épars, cadres de l'ancien régime, tribus. Mossoul, deuxième ville du pays, est tombée le 10 juin, puis Tikrīt, l'ancien fief de Saddam Hussein et de sa famille, le 11 juin. L'offensive a marché sur Bagdad avec l'objectif de contrôler un territoire d'un seul tenant qui irait de l'Est de l'Euphrate en Syrie jusqu'à Bagdad. C'est une menace pour l'intégrité territoriale de l'Irak et pour la stabilité dans la région. La contre-offensive se met en place. Bagdad ne semble pas menacée car l'ensemble des forces chiites se joignent à l'appel aux armes de l'Ayatollah Sistani pour défendre Bagdad.

Ce qui surprend le plus, c'est la faible résistance de l'armée irakienne. Cela rappellera à certains l'année 1990, lorsqu'on a découvert que l'armée irakienne n'était pas la quatrième armée du monde. Ce matin même, vous avez pu entendre le gouvernement irakien annoncer le changement d'un certain nombre de hauts cadres de l'armée. La vérité est qu'une armée forte de 450 000 militaires auxquels s'ajoutent 600 à 650 000 hommes des forces de sécurité n'ont pas permis de faire rempart à quelques 5 000 hommes très déterminés.

La seule force qui s'est vraiment manifestée et a permis de limiter les dégâts, ce sont les Peshmergas kurdes. Leur présence a été très utile, d'une part dans la plaine de Ninive où l'ensemble des villages chrétiens ont été épargnés, d'autre part à Kirkouk qui a été sécurisée. Il n'y a plus désormais de jonction entre la zone contrôlée par les Kurdes et le territoire contrôlé par le régime. Le pays est coupé en trois.

Comment en est-on arrivé là ? J'avais dressé le constat au cours de ma dernière audition devant votre Commission que la politique du Premier ministre Maliki menait à la dislocation du pays. Son second mandat a débuté en 2010 et il s'est depuis lors employé à concentrer les pouvoirs, à contourner l'esprit et la lettre de la constitution, à neutraliser les institutions, à transformer le régime parlementaire en pouvoir personnel, à instrumentaliser la justice, à concentrer dans ses mains l'ensemble des revenus du pays, à prendre un contrôle exclusif sur l'appareil sécuritaire en nommant des proches et à obtenir l'allégeance d'institutions normalement indépendantes comme la banque centrale et la Cour suprême. Cette concentration des pouvoirs a été rendue possible par l'effacement du Président Talabani à la suite de ses problèmes de santé.

L'exclusion des sunnites de l'exercice du pouvoir a alors été la porte ouverte pour l'EIIL de conduire une opération avec le soutien d'une partie du pays marginalisée. La responsabilité de Maliki est très claire dès lors qu'il n'a pas respecté les engagements qu'il avait pris en 2010 après les dernières élections, à savoir le partage du pouvoir avec les autres formations politiques, engagements sur lesquels il s'est assis une fois réinvesti.

Maliki, dont il n'est pas certain qu'il soit reconduit, s'inspire de la stratégie de Bachar el Assad. Il a mis le feu aux poudres dans la province d'ALANBAR, a créé l'insurrection sunnite et a poussé à la rébellion ailleurs pour apparaître, in fine, comme le sauveur de la patrie en danger. C'est la stratégie du « moi ou le chaos », mais, aujourd'hui, le pompier pyromane ne maîtrise plus la situation.

La réponse politique à cette crise est la priorité partagée par les différents pays que la France consulte : s'il n'y a pas de retour à l'unité et au dialogue entre les communautés, ce ne sera pas gérable.

Il faut définir un processus politique inclusif ; les Irakiens doivent renouer avec l'esprit de réconciliation qui a inspiré la constitution de 2005. Les élections du 30 avril permettent la désignation d'un nouveau Président de la République et d'un nouveau gouvernement. Les résultats définitifs ont été validés par la Cour suprême, cela devrait permettre d'aller de l'avant vers un gouvernement inclusif, respectueux de l'Etat de droit et des différentes composantes de la société irakienne.

Les Etats-Unis sont dans une phase de réflexion car la situation prend à contre-pied la doctrine de non-engagement du président Obama. La responsabilité américaine dans cette crise résulte naturellement de l'intervention de 2003 mais surtout d'un désengagement assumé. Le Président Obama a annoncé qu'il n'y aurait pas de « bottes sur le terrain » ; l'alternative se résume à ne rien faire ou à procéder à des frappes contre l'EIIL.

Les Iraniens ont été pris au dépourvu par cette crise. Ils constituent le dernier soutien de Maliki. Ils renvoient la responsabilité de la crise à d'autres, en particulier à l'Arabie saoudite et aux Etats-Unis.

La Turquie a une part indirecte de responsabilité car la plupart des étrangers qui partent faire le djihad transitent par son territoire.

Tout cela constitue une aubaine pour Bachar el Assad qui se présente à nouveau comme le seul rempart contre le djihadisme.

La France, pour sa part, soutient résolument une solution politique qui créerait un choc salutaire ; la seule option est la constitution d'un gouvernement d'union nationale inclusif qui agrègerait l'ensemble des forces politiques, afin de séparer la communauté sunnite des djihadistes. M. Laurent Fabius est en contact permanent avec l'ensemble de nos partenaires pour trouver une solution raisonnable à une crise ingérable.

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