Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 5 novembre 2012 à 16h10
Commission élargie : culture

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Mon budget s'établit à 7,2 milliards, l'impact économique des secteurs culturels est généralement sous-estimé : leur contribution représente au moins 2,8 points de PIB, soit 28,7 milliards d'euros. Cela est loin d'être négligeable.

On débat actuellement de compétitivité. Mais les externalités positives des activités culturelles – en matière de développement et d'attractivité économiques, d'emploi, de renforcement du lien social, de prévention de la délinquance, d'amélioration des conditions de vie des personnes âgées dans les maisons de retraite –, qui apparaissent évidentes aux élus locaux, ne sont pas suffisamment prises en compte dans les évaluations de la politique culturelle à l'échelle nationale.

L'excellence française est reconnue dans plusieurs domaines : muséographie ; restauration et conservation du patrimoine ; production cinématographique – qui s'exporte très bien – ; organisation de festivals – qui ont connu une fréquentation record cette année encore, malgré la crise. Sachons nous appuyer sur ces secteurs pour favoriser la relance.

La culture est un puissant facteur de construction de la citoyenneté et du lien social, mais son poids économique doit également être mieux pris en compte. J'ai d'ailleurs saisi mon collègue de l'économie et des finances pour que nous lancions une mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) afin d'évaluer l'impact économique de la culture dans notre pays.

Le ministère de la culture participe, naturellement, à l'effort de redressement des finances publiques. On ne pourra pas le qualifier de ministère dépensier cette année. Le budget de la mission « Culture » s'établit à 2,63 milliards d'euros en 2013, soit 94 millions d'euros de moins qu'en 2012, en baisse de 3,3 %.

Il a donc bien fallu faire des choix : j'ai préféré préserver l'ensemble des crédits d'intervention dans les régions et faire porter l'effort sur les opérateurs dont la situation financière était la plus solide, afin de n'affecter les missions fondamentales d'aucun d'entre eux. Certains disposaient de fonds de roulement élevés.

En outre, il convenait d'abandonner la logique inflationniste des grands projets, lourds en termes d'investissement et de frais de fonctionnement. Après évaluation de chacun d'entre eux, nous avons décidé d'arrêter entièrement certains, tel l'aménagement d'un deuxième espace consacré à la photographie dans Paris, à l'hôtel de Nevers.

D'autres ont été réorientés, en particulier la Maison de l'histoire de France : son installation physique est abandonnée, mais le ministère de la culture consacrera 2 millions en 2013 au développement d'un site internet qui mettra en réseau l'ensemble des musées d'histoire de France. Ce projet revêt une forte dimension pédagogique : dans le cadre des commémorations de la guerre 1914-1918, il permettra notamment un travail dans les archives à partir des matricules des soldats. Nous utilisons ainsi les fonds très riches de nos musées sans créer d'établissement public supplémentaire, avec tous les coûts induits.

D'autres projets ont été redimensionnés, en concertation avec les collectivités territoriales : la tour Utrillo à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, le Centre d'art pariétal Lascaux IV, la nouvelle salle de la Comédie française.

En revanche, les projets déjà bien engagés, et correspondant à de réelles nécessités, seront poursuivis : le nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine ; le MuCEM à Marseille, qui sera capitale européenne de la culture en 2013 ; la Philharmonie de Paris, qui sera inaugurée dans deux ans. L'accumulation de grands projets ne fait pas une politique culturelle, mais nous avons préservé ceux qui avaient une justification et un intérêt véritable.

En raison de l'arrêt ou de la réorientation de certains projets, l'effort budgétaire semble porter davantage sur le programme 175 « Patrimoines ». Cependant, les opérateurs les plus importants du programme « Création » sont également concernés : leur subvention sera diminuée de 1,5 à 2,5 % en 2013. Quant aux prélèvements sur les fonds de roulement, je confirme leur caractère exceptionnel, monsieur Lamour. Le ministère de la culture a fait sa part des économies. Je compte sur la représentation nationale pour défendre ce budget l'année prochaine.

Alors que notre politique s'est trop longtemps concentrée sur un petit nombre de grands projets à Paris et en Île-de-France, j'ai souhaité préserver les crédits d'intervention et de fonctionnement du ministère dans les régions. Les crédits déconcentrés en faveur du spectacle vivant, amputés ces dernières années, augmenteront même légèrement – de 1,2 % – pour s'établir à 422 millions.

Les engagements déconcentrés de l'État en faveur des monuments historiques et de l'architecture sont également maintenus. Les premiers s'élèveront à 322 millions en 2013. Ils contribueront à la protection et à la mise en valeur des sites, et permettront de poursuivre la transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP). À cet égard, l'échéance de 2015 fixée par la loi Grenelle II de 2010 sera très difficile à tenir : au rythme actuel, seule une moitié des ZPPAUP aura changé de statut à cette date. L'un des objectifs de la loi sur le patrimoine sera de maintenir le niveau de protection de l'autre moitié.

Pour vous répondre, madame Langlade, je souhaite un dialogue accru avec les collectivités territoriales, notamment sur l'utilisation des crédits consacrés aux monuments historiques. À cette fin, je compte réunir régulièrement le conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel – je l'ai déjà fait une fois – et installer des antennes locales de ce conseil. En revanche, je ne prévois pas, monsieur Darmanin, de nouvelle étape de décentralisation en matière culturelle. Les collectivités ne sont d'ailleurs pas particulièrement demandeuses d'un transfert de compétences supplémentaires, s'agissant des monuments historiques.

J'ai choisi de donner la priorité à l'éducation artistique et culturelle, en augmentant ses crédits – certes modestes – de plus de 8 %, ce qui les porte à 33,2 millions en 2013. Il s'agit d'accompagner les actions des établissements et des services en ce domaine. Cette démarche s'inscrit également dans le cadre de la concertation sur l'école lancée par le ministre de l'éducation nationale. J'installerai la semaine prochaine un comité de pilotage présidé par Marie Desplechin, qui sera chargé de faire des propositions pour que les enfants de toutes les régions de France soient touchés par les actions d'éducation artistique et culturelle. De nombreuses initiatives sont prises par les collectivités territoriales, mais seuls 15 % des élèves seraient actuellement concernés pendant toute la durée de leur scolarité.

L'enseignement supérieur et la recherche étant une priorité forte du Président de la République, les moyens consacrés aux écoles supérieures d'art, d'une part, et d'architecture, d'autre part, progresseront de 2 % pour s'établir à 232,2 millions en 2013. Cet effort permettra d'achever la réforme LMD et de créer 30 postes dans ces écoles. Les crédits affectés aux bourses seront augmentés, pour leur part, de 10,8 % afin de financer le dixième mois de bourse qui n'avait pas été budgété. En outre, le ministère de la culture participe au dispositif des emplois d'avenir, qui permettra aux jeunes d'acquérir une première expérience et une formation. Je vais signer prochainement, à ce titre, les premières conventions avec le musée du Louvre, le château de Versailles et le Centre des monuments nationaux.

Pour la première fois, la gratuité accordée aux 18-25 ans sera compensée en loi de finances initiale, à hauteur de 18 millions d'euros. La gratuité a été évaluée positivement par l'IGAC. Elle n'est cependant pas suffisante en soi : j'encouragerai les musées à développer leurs actions en faveur des jeunes.

La loi d'orientation attendue en 2013 permettra d'inscrire dans la loi les principes de liberté d'expression, de pluralisme et de diversité artistique, et de donner des objectifs et des moyens à une politique nationale en faveur de la création dans son ensemble – spectacle vivant et arts plastiques. Elle sera l'occasion de mieux définir la place et le rôle de l'État et des collectivités territoriales. Il convient de mieux utiliser le réseau très dense des structures, labellisées ou non, qui existent dans les territoires et de clarifier les financements accordés à chaque type d'établissement.

Une réflexion sera également menée au sujet des dispositifs statutaires, conventionnels et sociaux. La mission d'information sur les emplois culturels conduite par Patrick Bloche et Jean-Patrick Gille, constituera une contribution précieuse à cette réflexion. Les annexes VIII et X à la convention relative à l'assurance chômage arrivant à expiration le 31 décembre 2013, les partenaires sociaux renégocieront l'an prochain le régime des intermittents du spectacle. L'État les y encouragera : il convient de pérenniser le système d'accompagnement des artistes et des techniciens, dont l'activité est par nature précaire, tout en renforçant les vérifications pour lutter contre les dérives et les abus.

Des interrogations ont vu le jour, dans le rapport du sénateur Yann Gaillard notamment, à propos de la Philharmonie de Paris. Il s'agit d'un projet ancien que plusieurs majorités ont eu à traiter et qui a pris du retard : le précédent gouvernement a suspendu les travaux pendant un an, en 2010, avant que le Président de la République de l'époque ne décide finalement de poursuivre le chantier. La ville de Paris a besoin de cette grande salle symphonique de 2 400 places. Le gros oeuvre est aujourd'hui achevé, et il convient de mener le projet à bien. Le surcoût de 50 millions sera assumé à parité par l'État et la ville de Paris, le Conseil régional d'Île-de-France devant maintenir sa participation à hauteur de 20 millions.

Contrairement à ce qui est avancé dans le rapport Gaillard, l'affectation de crédits supplémentaires à la Philharmonie ne se fait pas au détriment de l'éducation artistique et culturelle. Ce projet revêt en effet depuis l'origine une forte dimension pédagogique : dans les salles autres que la grande salle de concert, des activités pédagogiques seront organisées pour les élèves des quartiers défavorisés. L'ouverture de la Philharmonie sur l'Est de Paris et la banlieue constitue un atout pour notre politique de démocratisation de l'accès à la musique classique. Nous devons faire de ce projet un succès.

S'agissant du Centre des réserves et de restauration de Cergy-Pontoise, monsieur Lamour, nous allons proposer, en concertation avec les élus locaux et le président-directeur du musée du Louvre, un projet alternatif pour sécuriser les réserves – en premier lieu celles du Louvre – face au risque de crue centennale. En revanche, nous avons suspendu les autres volets – très ambitieux – du projet, qui consistaient à transférer des ateliers de restauration du service des musées de France à Cergy-Pontoise et à ouvrir aux visiteurs l'accès aux réserves et aux ateliers.

Vous vous interrogez encore, monsieur Lamour, sur la pertinence de la redevance d'archéologie préventive (RAP). Son extension aux constructions de maisons individuelles a été préconisée par l'IGAC, dans son rapport d'évaluation de la loi de 2003, en réponse à la sous-dotation structurelle de l'Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP). Le ministère de la culture était en effet systématiquement amené à abonder le budget de l'INRAP par redéploiement en fin d'année. Cette extension répond en outre à un objectif d'équité : toute personne, qu'elle réside en habitat collectif ou individuel, participe ainsi au financement de ce service public, le diagnostic d'archéologie préventive étant réalisé soit par les services compétents des collectivités territoriales, soit par l'INRAP. Cet effort – minime à l'échelle du coût de construction d'une maison – permettra à l'INRAP d'atteindre son niveau de financement cible, fixé par l'IGF à 122 millions d'euros.

En outre, je viens de confier une mission d'évaluation de l'archéologie préventive dans tous ses aspects – scientifique, économique, social, territorial – à une trentaine de grands professionnels de l'archéologie, qui me rendront leur conclusions en mars 2013. Il s'agit de faire un état des lieux, dix ans après la réforme de 2003, et d'améliorer ce qui peut l'être. De nombreuses collectivités territoriales se plaignent des délais de réalisation trop longs des diagnostics d'archéologie préventive : l'INRAP a une charge de travail très lourde, et il faut lui donner les moyens d'y faire face dans de bonnes conditions.

La loi sur le patrimoine que j'espère présenter à la fin de l'année 2013 comportera quatre volets : archéologie préventive ; archives ; musées ; patrimoine bâti. Sur ce dernier point, j'envisage de faire sauter le verrou de 2015 pour permettre le passage des ZPPAUP aux AVAP. À l'occasion du cinquantenaire de la loi Malraux et du centenaire de la loi de 1913, je ne souhaite en rien affaiblir la protection de notre patrimoine, bien au contraire ! il s'agira d'actualiser les dispositifs pour mieux répondre aux exigences nouvelles, par exemple permettre l'aménagement de logements sociaux en centre ville dans les zones classées.

S'agissant du CNC, le produit de la TST distributeurs a crû très fortement entre 2008 et 2011 avec la multiplication des offres « triple play ». Cependant, nous avons dû retirer la notification à la Commission européenne de l'assiette de la TST distributeurs votée l'année dernière par le Parlement. Nous allons proposer une nouvelle assiette pour sécuriser les ressources du CNC. Il convient de maintenir le principe vertueux d'un financement de la création par les diffuseurs en fonction de leur chiffre d'affaires : c'est cette logique même qui permet de justifier l'existence d'une taxe affectée aux yeux de la Commission européenne. En outre, afin de compenser partiellement le prélèvement exceptionnel de 150 millions sur le fonds de roulement du CNC, le Gouvernement a décidé de mettre fin à l'écrêtement du produit de la TST distributeurs. Le reversement du surplus au budget de l'État risquait d'être invalidé par la Commission européenne.

Quoi qu'il en soit, nous pouvons nous enorgueillir des succès du cinéma français, non seulement parce qu'ils assurent notre rayonnement culturel et contribuent à diffuser notre vision du monde, mais aussi pour des raisons économiques : rares sont en effet les pays où la production nationale représente une si grande part – de 35 à 40 %, selon les années – de la fréquentation en salles, laquelle a connu d'ailleurs une progression continue pour atteindre 200 millions de spectateurs en 2012. Ces résultats attestent le succès du modèle de financement issu de la Libération ; aussi la préservation du compte de soutien nous apparaissait-elle essentielle, malgré les nécessaires efforts de redressement des finances publiques. Le CNC n'est certes pas un organisme privilégié : il est placé sous tutelle du ministère de la culture, et son directeur recevra prochainement une lettre de mission. Les représentants des ministères de la culture d'une part, et de l'économie et des finances de l'autre, qui siègent à son conseil d'administration et valident ses choix, n'ont d'ailleurs jamais été en désaccord.

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