Intervention de Arnaud Leroy

Réunion du 2 juillet 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Leroy, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi de souligner la coïncidence heureuse qui fait examiner par notre commission, à une semaine d'intervalle, deux sujets majeurs pour l'avenir de notre planète via le devenir de deux des trois conventions du Sommet pour la terre de Rio de 1992, la Convention sur la diversité biologique, la semaine dernière, et la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), ce matin.

Nous avons tous en tête les éléments scientifiques qui nous appellent à une action résolue, le 5e rapport du GIEC bien sûr, mais aussi le rapport conjoint de sept agences américaines sur l'état des lieux de l'impact des changements climatiques aux États-Unis, et c'est une première très positive, ou encore l'alerte lancée par l'Organisation Météorologique Mondiale en avril, puisque pour la première fois, les concentrations mensuelles de dioxyde de carbone dans l'atmosphère ont dépassé 400 ppm dans tout l'hémisphère Nord, ce qui nous rapproche dangereusement du seuil fatidique des 450 ppm.

Le Conseil européen a fait du climat l'un de ses cinq priorités d'action pour les cinq ans à venir. 20 % du budget européen est d'ores et déjà « fléché » vers des actions liées au climat, reste à le décliner de façon opérationnelle, et j'appelle d'ailleurs notre Commission à exercer sa vigilance sur ce point.

Enfin, bien évidemment, la France sera l'hôte de la Conférence pour le Climat en décembre 2015, et je souhaite à ce propos saluer l'excellente initiative du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, de faire appel aux présentateurs météo, pour faire de la pédagogie sur un sujet qui doit absolument ne pas être restreint au cercle limité des environnementalistes. Notre assemblée s'associe pleinement à la préparation de la COP 21, et a mis en place un groupe de travail tripartite « commissions des affaires étrangères, du développement durable et des affaires européennes » sur la préparation de cette conférence, qui complète la mission d'information de notre Commission sur les conséquences du changement climatique en France et sur le suivi de la COP 21.

Il était donc très pertinent que notre Commission évoque aujourd'hui, dans le cadre de ses travaux, l'état des discussions sur le régime international du climat, à travers sa saisine pour avis du projet de loi de ratification de l'une des étapes qui concourent à la construction de ce dernier, à savoir l'amendement, adopté lors de la Conférence de Doha en 2012, au protocole de Kyoto de décembre 1997.

La ratification de l'amendement au Protocole de Kyoto par les pays qui se sont réengagés dans une deuxième période est à la fois un acte politique très attendu par nos partenaires et un objectif important pour l'Union européenne et ses États membres, avec pour horizon d'achèvement des procédures de ratification respectives la fin février 2015.

À ce jour, onze États, dont deux Parties réengagées, ont déjà transmis leurs instruments d'acceptation aux Nations Unies, Monaco (le 27 décembre 2013) et la Norvège (le 14 juin dernier), soit deux États, je le souligne, n'appartenant pas à l'Union européenne.

D'un point de vue national et européen, l'amendement de Doha au protocole de Kyoto est conforme aux positions de notre pays, ainsi que de l'Union européenne, l'engagement pris par l'Union européenne à Doha ayant en effet été défini en fonction des objectifs du Paquet Énergie Climat de 2009. La mise en oeuvre de l'objectif de – 20 % de limitation ou de réduction des émissions inscrit pour la période 2013-2020 a été initiée dès le 1er janvier 2013, de façon conjointe, comme pour la première période d'engagement, selon les modalités définies dans le paquet Climat énergie adopté en 2009, l'Islande et la Croatie y étant associées. Nous devrions l'atteindre sans difficulté notable.

Il importe donc que le processus de ratification par la France soit mené à son terme le plus rapidement possible, et je vous invite en conséquence, mes chers collègues, à émettre un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi.

Deuxième étape dans la construction du régime international du climat : après la CCCNUCC en 1992, le protocole de Kyoto de décembre 1997 est un « contrat à durée déterminée » d'engagements contraignants de réduction des gaz à effet de serre, applicable uniquement à 38 parties (les pays dits de l'annexe B) sur les 196 à la CCNUCC (soit un peu plus de 19 %), en application du principe de responsabilité commune mais différenciée, principe qui est à mon sens une des difficultés dans le processus en cours vers un accord global. Le protocole porte également les premiers mécanismes de flexibilité avec la création d'un marché mondial des permis d'émission – pour lequel l'Union européenne a d'ailleurs joué un rôle de précurseur –, la Mise en oeuvre conjointe (MOC) et le Mécanisme pour un développement propre (MDP).

L'amendement qui nous est soumis pour ratification clôt un cycle de 3 ans : de l'espoir déçu de l'adoption d'un accord « post Kyoto » à Copenhague en 2009 – où seuls des objectifs chiffrés volontaires de réduction, donc en dehors du cadre défini jusqu'à présent par la CCNUCC, ont été actés, même s'il convient de retenir aussi l'acte politique majeur que furent la reconnaissance de la nécessité de limiter le réchauffement climatique à 2°C et les engagements significatifs en matière de financement –, à la réintégration à Cancun puis Durban de ces engagements dans le cadre de la CCNUCC et le lancement immédiat de négociations pour obtenir un accord applicable à tous, à partir de 2020, en contrepartie de la mise en oeuvre d'une deuxième période d'engagement de réduction des émissions de GES, pour les pays volontaires de l'annexe B du protocole.

Cet amendement au protocole de Kyoto, finalisé lors de la COP 18 à Doha, traduit ce double compromis, véritable « passerelle » pour éviter le vide juridique « post 2012 » : permettre la préservation de certains acquis importants du protocole et assurer la transition vers le nouvel accord global qui doit, pour pouvoir prendre le relais en 2020, être adopté au plus tard en 2015, à Paris.

Complété par un volet financier, avec des engagements pris par les pays développés, en deux temps (30 milliards de dollars débloqués entre 2010 et 2012, puis une montée en puissance jusqu'à 100 milliards de dollars par an d'ici 2020), et une structure pour les recevoir – le Fonds pour le climat (FVC) –, cet amendement renforce l'intégrité environnementale du protocole, d'une part, avec l'inclusion dans l'annexe A du trifluorure d'azote, gaz à très fort potentiel de réchauffement planétaire, et un premier pas vers une révision « adaptative » des objectifs, d'autre part, avec l'ajustement automatique de l'objectif d'une partie afin de garantir que les engagements pris en deuxième période seront au minimum aussi ambitieux que la moyenne des émissions sur la période 2008-2010, et la simplification en parallèle de la procédure de relèvement du niveau d'ambition d'une partie au cours d'une période d'engagement.

Mais c'est aussi l'aveu d'une certaine faiblesse. Si plus de 60 pays, dont les États-Unis, l'Inde, l'Afrique du Sud et le Brésil, se sont engagés à prendre des mesures volontaires d'atténuation, seules 38 parties ont accepté d'entrer dans une deuxième période d'engagements de réduction des émissions juridiquement contraignants, quasi exclusivement des États européens, et on ne peut que remarquer l'absence du Canada et États-Unis (respectivement sorti et jamais entrés dans le Protocole), de la Fédération de Russie, du Japon et de la Nouvelle Zélande.

Ce qui, sans vouloir faire une analyse exhaustive de la réalité de la mise en oeuvre des décisions passées, qui relève de la commission saisie au fond, me conduit à exprimer trois questionnements.

D'abord, la politique des annexes a sans doute atteint un niveau de complexité qui est la marque d'un système dépassé : la CCNUCC regroupe 41 parties dans une annexe 1, contre 154 parties « non annexe 1 », avec une subdivision à l'intérieur de l'annexe 1, qui comprend 24 parties « annexe 2 », qui ont une obligation spécifique de fournir une assistance financière et de faciliter le transfert de technologie. Quant au protocole, parmi les 41 parties « annexe 1 » de la CCNUCC, 39 parties relevaient de l'annexe B en 1997, 37 parties en relevaient encore à la fin de la première période, et les 38 parties réengagées volontairement en ce début de deuxième période ne recoupent pas exactement celles de l'annexe B « initiale »…

Son résultat est pour le moins mitigé, puisque non seulement en sont aujourd'hui absents les États-Unis, alors qu'ils ont joué un rôle majeur dans l'écriture de la Convention, mais aussi le Canada et le Japon, et qu'il ne reflète plus la réalité des émissions de GES.

Alors que le protocole a été conçu pour inscrire les engagements des pays développés qui, lors de sa discussion, représentaient plus de la moitié des émissions mondiales de GES, ceux-ci ne reflètent plus aujourd'hui ni la réalité des émissions de GES ni l'éventail des situations économiques. La défection des États-Unis a réduit la couverture de la première période d'engagement à 39 % – soit un peu plus d'un tiers seulement – des émissions mondiales, tandis que la deuxième période d'engagement n'en couvre qu'un peu plus de 15 %. Les pays dits émergents et les pays pétroliers contribuent désormais largement aux émissions : la Chine est ainsi aujourd'hui le premier émetteur mondial ; les quatre pays que sont la Chine, l'Inde, le Brésil ou l'Indonésie, émettent déjà plus d'un tiers des GES anthropiques. Et trente-deux pays considérés comme des « pays en développement » au sens de la CCNUCC ont d'ores et déjà un PIB par habitant plus élevé que celui des États membres de l'Union européenne qui ont le plus faible PIB par habitant ; la probabilité est forte que le nombre de ces pays se soit encore accru d'ici 2020.

Il semble donc inévitable de tenir compte de cette nouvelle réalité et de dépasser le modèle dichotomique opposant les pays développés aux pays en développement au profit d'un système reflétant mieux la réalité des pressions exercées par leurs sociétés et les ressources financières dont disposent les États parties à la CCNUCC.

Deuxième point de questionnement, les mécanismes financiers mis en place dans le protocole et en accompagnement de l'amendement de Doha n'ont pas totalement rempli les attentes placées en eux.

C'est d'abord un marché carbone qui fonctionne de manière dégradée. Le SCEQE est symptomatique à cet égard, qui combine des excédents de crédits en circulation évalués à 2 milliards environ, et un prix trop faible pour transformer le comportement des industriels, puisque de 27 euros en 2008, la tonne est tombée à moins de 5 euros début 2014, avant de se redresser à environ 7 euros aujourd'hui à la suite du gel temporaire d'une partie des quotas d'émissions devant être mis aux enchères d'ici 2020. Là-encore, il nous faut regarder au-delà de nos frontières, sept provinces chinoises ont mis en place un marché carbone qui tire les leçons des insuffisances du nôtre.

L'instauration d'un prix du CO2 est l'un des instruments permettant de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, en intégrant le coût lié aux émissions de gaz à effet de serre dans le bilan financier des activités qui en sont responsables. Si le choix de faire du marché l'instrument pour atteindre l'objectif de réduction des émissions de GES devait être réitéré, en parallèle de la proposition de réforme du marché carbone européen présentée par la Commission le 22 janvier, il est primordial, d'une part, d'en corriger les imperfections – et je vous incite vivement, sur ce sujet, à lire le rapport de la Cour des Comptes, faisant suite à une saisine par notre Assemblée, sur l'application du paquet énergie climat, et, d'autre part, d'en assurer la crédibilité à long terme. La meilleure façon d'y parvenir repose dans un engagement contraignant jusqu'en 2030, ce que l'Union Européenne a commencé de faire avec les propositions du nouveau paquet Énergie-Climat annoncé en janvier dernier pour 2030, mais toujours non abouti.

C'est ensuite un Fonds vert pour le Climat dont l'ossature est achevée, mais qui doit encore être abondé. Opérationnel seulement depuis mai 2014 (alors qu'il a été décidé en 2009…), sa première capitalisation sera un des enjeux d'ici la COP 20 de Lima. L'ambition affichée est de 100 milliards par an d'ici 2020, dans le contexte budgétaire que nous connaissons et qui n'est pas propre à la France… Or le financement est un enjeu crucial des négociations climat, et sans doute l'élément clé pour trouver un accord politique entre les différents groupes de pays. Nous devons, nous et nos partenaires, être exemplaires en la matière.

Abonder le FCV, et donc respecter la parole donnée, est aussi un moyen de renforcer la confiance réciproque. Cette confiance est aussi à mon sens une des clés d'un accord politique, et ce sera mon troisième et dernier point.

La convergence des outils de suivi, notification et vérification acceptée à Copenhague puis Varsovie est un signe encourageant d'atténuation progressive de la différentiation en matière de vérification et de transparence. Une première inflexion est survenue en 2009, lorsque les pays émergents ont accepté que les mesures d'atténuation appropriées au niveau national (NAMA's) bénéficiant d'un financement puissent faire l'objet d'un contrôle approfondi, et qu'un regard puisse être porté sur les NAMA's non financées. La COP de Varsovie en 2013 a vu, quant à elle, la mise sur pied d'un cadre commun et exigeant de transparence pour le secteur forêt, qui s'appliquera, pour la première fois, à des pays hors annexe 1, avec des procédures de MRV auditées internationalement et proches de celles régissant les inventaires d'émission de gaz à effet de serre des pays développés, ainsi que l'amélioration des processus de vérification des rapports biennaux des pays.

Pour le « pas d'après », je crois que les Parlements ont une carte à jouer, c'est même une de mes convictions les plus profondes. C'est bien parce qu'il s'agit d'une question de souveraineté, et d'une confiance réciproque, que les Parlements ont un rôle à jouer de mise en oeuvre subsidiaire des « contributions » prises par les États, dans une nouvelle approche mixant un accord central avec un objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mis en oeuvre par le moyen des législations nationales. Regardons autour de nous, de nombreux États aujourd'hui se sont dotés d'une législation sur le climat, certes plus ou moins ambitieuse, en fonction de leurs capacités et de leurs émissions, je vous renvoie à l'excellente étude faite par Globe International, dont nous suivons attentivement les travaux.

Ce serait à mon sens un facteur de transparence et de légitimité, avec un examen sur le modèle de la « revue des pairs » selon des critères normés, afin de s'assurer que les législations nationales sont équitables et conformes à l'objectif global de réduction des émissions. Je suis pour ma part persuadé que la méthode d'élaboration des textes selon le droit international classique arrive à un terme, et qu'il nous faut être imaginatif, voire ambitieux.

Il nous faut sortir les questions climatiques des questions purement environnementales, car elles touchent des thématiques bien plus larges (énergie, développement urbain, etc.). La ratification qui nous est aujourd'hui proposée doit être le temps 1 de notre action, mais nous pourrions pousser notre ambition, et imaginer une assemblée parlementaire thématique, à l'image d'autres assemblées parlementaires internationales, qui serait le volet parlementaire de l'Assemblée des Nations Unies sur l'environnement (UNEA), qui vient de tenir sa première réunion à Nairobi, la semaine dernière.

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