C’est avec une grande satisfaction que nous approchons à très grands pas de l’issue du processus législatif grâce auquel la France, après l’Espagne, le Portugal, le Québec et le Mexique, se dotera d’une loi pour le développement de l’économie sociale et solidaire, conformément à la demande exprimée depuis plusieurs années par tous les acteurs du secteur. D’ici à quelques semaines, les engagements pris auront été tenus, ce dont nous pouvons être fiers.
À l’orée de la dernière ligne droite, j’évoquerai le travail mené par nos collègues sénateurs en deuxième lecture pour enrichir les articles sur lesquels la commission des affaires sociales était saisie en première lecture. Les règles de gestion des entreprises de l’ESS, dont l’article 1er définit le périmètre, ont été précisées par les sénateurs, en particulier l’utilisation des bénéfices et l’interdiction du rachat par les entreprises de l’ESS de leurs propres actions en l’absence de pertes. Les débats sur les règles de gestion et d’encadrement de non lucrativité auraient pu durer longtemps, mais in fine les deux assemblées ont réalisé un travail complémentaire, à défaut d’être parfaitement similaire.
Trois modifications ont été apportées à l’article 7 relatif à l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Les fondations reconnues d’utilité publique pourront en bénéficier de plein droit dès lors qu’elles ont une utilité sociale telle qu’elle est définie à l’article 2 du projet de loi. À l’inverse, toute entreprise trouvant des investisseurs grâce à la négociation de ses titres de capital sur les marchés financiers en sera exclue. Enfin, les établissements et services sociaux et médico-sociaux accompagnant et accueillant des enfants et des adultes handicapés ont été ajoutés à la liste des organismes bénéficiant de l’agrément de plein droit. Enfin, la version initiale de l’article 9 obligeait les acheteurs publics à se doter d’un schéma de promotion des achats publics socialement responsables si le montant annuel des achats du pouvoir adjudicateur était supérieur à un seuil fixé par décret. Un amendement du rapporteur de la commission des lois a remplacé ce critère par un seuil démographique : les communes de plus de 50 000 habitants.
Après ces quelques modifications, je voudrais évoquer les défis de demain. La loi était indispensable : elle comporte des leviers déterminants pour le développement de l’ESS. Mais précisons tout de suite le vocabulaire, car des débats traversent le secteur à propos du sens de l’expression « changement d’échelle » qui a été abondamment utilisée à propos du texte : il ne s’agit pas de promouvoir une course à la taille systématique des entreprises de l’ESS, mais de favoriser l’essor de cette économie afin de lui conférer une ampleur accrue par rapport au modèle capitaliste dominant.
La loi comporte donc des leviers de développement majeurs comme la consolidation des modèles économiques des entreprises de l’ESS, la définition législative de l’innovation sociale, au même titre que l’innovation technologique, et l’affirmation des pôles territoriaux de coopération économique, qui constituent des leviers d’avenir pour le développement solidaire et durable des territoires. On pourrait multiplier les exemples, ceux-là me semblent les plus parlants. Mais toute indispensable qu’elle soit, la loi ne saurait toutefois se suffire à elle-même. Le défi est désormais de la faire vivre quotidiennement dans les territoires.
Pour ce faire, il faudra être attentif à plusieurs éléments. Il faudra d’abord faire vivre la transversalité de l’économie sociale et solidaire dans les politiques publiques. L’ESS jouera un rôle déterminant dans plusieurs textes majeurs qui seront débattus dans les assemblées au cours des mois à venir, au sein lesquels il faudra lui faire toute sa place, telles les lois sur l’adaptation de la société au vieillissement ou sur la transition énergétique. Quant aux grandes orientations économiques, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire constitue une parfaite transition avec les textes budgétaires débattus au cours des derniers jours. Alors que nous venons de connaître un débat sur les aides aux entreprises et sur la nécessité de s’assurer qu’elles servent à celles qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire celles qui préfèrent investir que rémunérer massivement des actionnaires, il est bon de souligner que nous parlons aujourd’hui d’entreprises ayant délibérément choisi de se doter d’un modèle économique qui encadre leur lucrativité et les conduit à consacrer la majorité de leurs bénéfices à l’investissement. Dès lors, quoi de plus normal que les encourager ? C’est pourquoi il faudra bien trouver les moyens d’aller au bout du débat sur le CICE en trouvant des solutions pour aider à la même hauteur les entreprises de l’ESS qui ne peuvent en bénéficier.
Je terminerai par ce qui est le plus important à mes yeux, par le commencement en quelque sorte : la définition de l’économie sociale et solidaire. Celle-ci n’est pas seulement une juxtaposition d’entreprises dotées de règles spécifiques, elle est aussi un projet politique porteur d’une histoire et d’un projet de société visant à questionner le pouvoir, les dogmes et les modèles dominants. Comme nous en avons besoin en ce moment ! Il est inhabituel d’entendre un élu dire cela, mais il me paraît essentiel de réaffirmer que les acteurs de l’ESS doivent rester en permanence attentifs au maintien de leur autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics. En effet, elle fonde leur identité et est indispensable à la poursuite de ce projet politique émancipateur. Par-delà les questions économiques que nous avons largement évoquées à l’occasion de ce projet de loi, l’ESS comporte des enjeux de démocratie véritablement déterminants.