Intervention de Cécile Maisonneuve

Réunion du 25 juin 2014 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Cécile Maisonneuve :

Je partage totalement le constat alarmant qui vient d'être fait, il y a effectivement urgence. C'est un enjeu géopolitique mais aussi géoéconomique. L'IFRI a conduit une étude sur les conséquences sur la pétrochimie européenne de ce qui se passe aux Etats-Unis. Les coûts des produits pétrochimiques y étaient autrefois les mêmes qu'en Europe, cependant que les coûts au Moyen-Orient étaient très bas et en Chine très élevés. Aujourd'hui, les Etats-Unis ont rejoint le Moyen-Orient et l'Europe a rejoint la Chine. En d'autres termes, dans la mesure où il s'agit d'un secteur en amont de la chaine de valeur, on peut craindre, à terme, de sérieux problèmes de compétitivité pour l'industrie européenne. L'AIE dit la même chose et estime de son côté que d'ici 20 ans, certains, l'UE et le Japon, vont perdre des parts de marché industriels, quand d'autres, les émergents et les Etats-Unis, en gagneront. Grâce aux hydrocarbures non conventionnels, les Etats-Unis sont en train de devenir le premier producteur de gaz et de pétrole de schiste, et d'avoir des coûts industriels en forte baisse grâce à la diminution de ceux des intrants. Il y a donc urgence à réfléchir à la remise sur les rails de la politique énergétique européenne.

Trois conditions sont nécessaires pour qu'elle soit plus efficace : une vision commune, une gouvernance efficace et une volonté des Etats membres.

La vision commune fait aujourd'hui défaut : les Allemands considèrent la transition énergétique comme signifiant plus de renouvelable et moins de consommation ; les Anglais la traduisent par moins de CO2, quels que soient les moyens pour parvenir à ce résultat ; les Polonais ou les Bulgares, entre autres, privilégient la diversification des sources d'approvisionnement, pour garantir leur sécurité. On en est là, et il n'y a pas de vision commune européenne sur un objectif. Les 3x20 ont caché ces divergences sur ce que doit être la transition énergétique. On oppose souvent les pays d'Europe centrale et orientale aux pays d'Europe occidentale, qui ont des histoires différentes, la question ukrainienne l'a encore prouvé, mais des lignes de fractures fortes existent aussi au sein des pays d'Europe occidentale et il y a encore beaucoup de géopolitique entre eux.

Deux grands modèles s'opposent à Bruxelles. Le modèle allemand, qui a choisi le développement des énergies renouvelables, dans une démarche industrielle et commerciale, avec le développement de filières d'exportation ; le modèle britannique, en vogue à Bruxelles, tourné sur la baisse du CO2, quels que soient les moyens utilisés, qui se traduit par une substitution du charbon par le gaz, par l'utilisation de technologies à bas carbone qu'il s'agisse de l'énergie renouvelable, par le développement de l'éolien off shore et du solaire, ou du nucléaire.

La question nucléaire n'est jamais abordée de front, mais elle est toujours présente. Il ne faut surtout par l'aborder sous l'angle franco-allemand car les deux pays sont sur des positions radicalement différentes. Il faut traiter la question au niveau européen, en remettant le Royaume-Uni dans le jeu, qui a un énorme programme éolien off shore et souhaite aussi développer le gaz de schiste, pour tenter de compenser la baisse de la production du gaz off shore.

Quant à la gouvernance, on est longtemps resté sur le fil conducteur de la concurrence, du marché intérieur. C'est nécessaire, comme l'a dit Claude Mandil, mais la concurrence n'est pas conçue pour renforcer la sécurité des approvisionnements, d'où qu'ils proviennent et quels que soient les modes de transport. La concurrence est également neutre sur le caractère plus ou moins carboné des énergies. Le marché a été mis en place dans le cadre d'un développement de l'énergie fossile, il n'est pas adapté au profil d'investissements pour le bas carbone, très capitalistique avec des coûts opérationnels faibles. Or, quand on veut investir dans le bas carbone, il faut re-réguler, et paradoxalement, le meilleur exemple est ici la Grande Bretagne qui a été le chantre du marché et qui aujourd'hui re-régule son marché de l'électricité sans se l'avouer. Il faut aussi avoir conscience que la question de la gouvernance est un enjeu d'appareils à Bruxelles, où il n'y a pas une seule vision. Quatre directions générales, au moins, sont en charge du dossier : la DG Concurrence, la DG Energie, ainsi que la DG Environnement, très puissante, et la DG Entreprises qui, compte tenu des incidences sur la compétitivité, est entrée en scène à la faveur de la crise. On a manqué à Bruxelles d'une vision européenne articulée sur l'intérêt général entre ces différentes lignes en compétition. Il faudrait aujourd'hui réfléchir à un « Monsieur » ou une « Madame » transition énergétique, qui soit vice-président de la Commission ou super commissaire, chargé de ces questions EnergieConcurrenceIndustrie, pour gérer les thématiques telles que la sécurité des approvisionnements et les coûts.

Quant à la volonté de coopération des Etats membres, elle a fait défaut, au moment même où le Traité de Lisbonne entrait en vigueur ! Il faut regarder comment les États mettent en oeuvre leur politique énergétique. L'Allemagne a fait de l'énergie le pivot de sa politique économique. Elle a opéré un tournant, une véritable transformation du système économique qui n'est pas une simple transition. La question qui se pose est de savoir s'il s'agit d'une sorte d'avant-garde de ce que peut être la politique énergétique européenne ou un ferment de désintégration. Il faut savoir que, en Allemagne, il s'agit d'un projet national de très grande ampleur, mais qui n'est possible que parce que l'Allemagne a des voisins qui ne suivent pas la même politique. Quand la production massive d'énergie renouvelable est très supérieure à la demande, elle est évacuée vers l'Est et vers l'Ouest. Mais dans le système européen, les réseaux de transit ne sont pas rémunérés. En d'autres termes, les pays voisins supportent des coûts du fait de la décision d'accélérer la transition que l'Allemagne a prise seule après Fukushima. La transition énergétique allemande ne doit pas être traitée comme les autres.

En conclusion, il faut réfléchir à la méthode pour remettre la politique énergétique sur les rails en s'intéressant au reste du monde. On aurait dû, après l'échec de Copenhague, se pencher sur le rythme de la transition alors que les autres pays ne nous suivaient pas ; on aurait dû revoir le système du marché de CO2 après la crise car il ne marche pas ; on devrait se pencher sur les questions de compétitivité, compte tenu de ce que font les Etats-Unis ; on aurait dû se pencher sur la question du prix du gaz liquéfié après Fukushima qui a fortement augmenté en Asie, ce qui a détourné les flux de GNL vers ce marché.

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