L'enquête sur le recours par Pôle emploi aux opérateurs privés de placement – OPP – pour l'accompagnement et le placement des chômeurs a en effet été réalisée au titre de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, l'Assemblée nationale s'interrogeant sur la pratique de Pôle emploi qui l'amenait à recourir à des opérateurs privés alors que les pouvoirs publics renforçaient simultanément ses effectifs.
Il avait été convenu que la Cour aborderait plus particulièrement quatre points : elle devrait rappeler le motif et l'historique du recours à l'accompagnement des demandeurs d'emploi par d'autres organismes que Pôle emploi, dont les OPP, en effectuant des comparaisons avec d'autres pays ; analyser les modalités de recours aux OPP, notamment en matière de passation, d'exécution et de suivi des marchés ; faire le bilan des évaluations menées en France depuis les premières expérimentations lancées par l'Unédic au milieu des années 2000 ; enfin, examiner la complémentarité de la stratégie de Pôle emploi en matière de recours à des organismes externes avec son offre de services interne, elle-même en cours d'évolution.
Cette enquête, dont la responsabilité a été confiée à Mme Corinne Soussia, conseillère maître, a été intégrée à une série de contrôles sur Pôle emploi que la cinquième chambre a conduits en vue de la publication d'un rapport thématique, prévue pour le début de 2015. Les rapporteurs ont mené des investigations dans les services de Pôle emploi dans sept régions – Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Haute-Normandie, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Lorraine – et ont interrogé des opérateurs privés attributaires de marchés de Pôle emploi. Six d'entre eux ont été rencontrés, qui ont été destinataires des observations de la Cour ; dans l'ensemble, ils ont exprimé leur accord avec les constats tirés.
Que peut-on dire au terme de cette enquête ?
Tout d'abord, que le dispositif de sous-traitance par des opérateurs privés a connu des difficultés de lancement. En France, ce sont l'Unédic et les partenaires sociaux, et non l'Agence nationale pour l'emploi – ANPE –, qui ont lancé en 2005 les premières expérimentations de mise en concurrence de l'opérateur public avec des entreprises de travail temporaire et des cabinets spécialisés dans le recrutement et le reclassement ; l'objectif était de réduire les dépenses de l'assurance chômage grâce à un reclassement plus rapide des demandeurs d'emploi. Même si l'ANPE a été associée, à partir de 2007, aux expérimentations suivantes, ses conseillers ont été durablement marqués par une initiative qui a pu être ressentie comme une mise en cause de leur professionnalisme.
Le dispositif a ensuite connu un repli relatif. Pôle emploi, nouvel organisme issu de la fusion de l'ANPE et du réseau des Assédic, a passé ses premiers marchés en 2009. Ces derniers ont donné lieu à un volume de prestations dans un premier temps important, mais qui a rapidement décru, passant de 522 000 prestations d'une durée au moins égale à trois mois en 2010 à 436 000 en 2011, puis à 274 000 en 2012 et à 239 000 en 2013, soit une diminution de 54 % en trois ans. Cette évolution est d'autant plus notable qu'au cours de la même période, le nombre de demandeurs d'emploi s'est considérablement accru et que les prestations d'accompagnement renforcé des demandeurs d'emploi sont restées limitées en interne. Le recours aux OPP est aujourd'hui très minoritaire, puisqu'il ne représentait en 2013 qu'une enveloppe de 145 millions d'euros sur un budget global de fonctionnement et d'intervention de presque 5 milliards.
La mise en oeuvre des marchés s'est heurtée à d'importantes difficultés pratiques. La procédure de passation des marchés et leur exécution ont connu des dysfonctionnements du fait qu'on ne s'est pas toujours entouré de garanties suffisantes sur la capacité des opérateurs à délivrer des prestations de qualité ; dans un premier temps, la sélection des attributaires s'est faite principalement sur les prix. En conséquence, les opérateurs privés couraient le risque d'avoir un compte de résultat déséquilibré si les hypothèses d'activité sur lesquelles ils avaient fondé leurs offres ne se réalisaient pas, c'est-à-dire si Pôle emploi ne leur adressait pas suffisamment de demandeurs d'emploi. L'irrégularité et parfois la faiblesse des flux de demandeurs d'emploi orientés vers les OPP par rapport au cadrage prévu dans les cahiers des charges ont contribué à fragiliser l'équilibre économique de certains marchés, voire à mettre en danger les opérateurs pour lesquels les marchés de Pôle emploi constituaient une part importante du chiffre d'affaires.
En outre, la gestion des marchés par Pôle emploi s'est concentrée sur le respect d'obligations souvent formelles inscrites dans les cahiers des charges, et non sur le contrôle de la qualité des prestations, alors que certains opérateurs pouvaient, en raison de leur fragilité, être tentés de réduire celle-ci.
Ces difficultés ont provoqué le retrait de plusieurs opérateurs privés en 2012-2013, certains cessant toute activité. Si l'on se réfère aux exemples étrangers, un tel constat aurait dû aboutir à une modification rapide des modalités d'exécution des marchés. En juillet 2013, au vu de l'aggravation de la situation de certains opérateurs, la direction générale de Pôle emploi a proposé au conseil d'administration une réaction en ce sens, mais faute d'accord, cette proposition n'a pas fait l'objet d'une délibération spécifique.
Des évaluations ont été faites par des chercheurs spécialisés, sous l'égide du comité d'évaluation de Pôle emploi, sur les marchés 2009-2010, mais elles se sont heurtées à des difficultés méthodologiques considérables. Elles ont toutefois abouti à la conclusion que l'opérateur public obtenait en moyenne de meilleures performances que les opérateurs privés, ce qui rejoint les observations faites à l'étranger.
La Cour n'a cependant pas voulu en conclure qu'il ne fallait pas intégrer le recours aux OPP dans la stratégie générale de Pôle emploi. Au contraire, il lui paraît justifié de sous-traiter l'accompagnement de certains demandeurs d'emploi, en faisant varier le volume des personnes concernées suivant les besoins, et cela pour plusieurs raisons.
En premier lieu, les évaluations n'ont pas pris en considération les éventuels effets d'apprentissage des opérateurs sur des marchés aussi récents : avec l'expérience, leur efficacité et la qualité des prestations sont susceptibles de s'améliorer. Il était sans doute prématuré de tirer des conclusions définitives au sujet d'un marché pas encore parvenu à maturité ; une sous-traitance mieux pilotée pourrait être mise à contribution pour faire face au chômage de masse. Plus généralement, le potentiel d'innovation des OPP n'a pas été suffisamment exploité. Enfin, il existe des écarts de performance considérables d'un opérateur à l'autre : les évaluations ne font apparaître que des résultats globaux.
Ensuite, le recours aux OPP peut se justifier par la volonté de donner à Pôle emploi une marge de manoeuvre pour gérer les priorités qui lui sont assignées ou pour répondre à des besoins ponctuels, par exemple pour faire face à des situations locales : cela permet d'adapter les capacités de gestion des demandeurs d'emploi à la conjoncture.
Il peut également être souhaitable de disposer de compétences spécialisées pour prendre en charge certaines catégories de demandeurs d'emploi, comme les candidats à la création ou à la reprise d'entreprises, ou pour expérimenter de nouvelles méthodes d'accompagnement.
Surtout, le maintien d'une offre externalisée implique que celle-ci soit pleinement intégrée à la stratégie d'ensemble de Pôle emploi. Or, une telle volonté se fait actuellement jour. Les orientations stratégiques de Pôle emploi, telles qu'elles sont définies par la convention tripartite de 2012, peuvent se résumer par la formule : « Faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin » ; cela signifie que le coeur de métier de Pôle emploi est l'accompagnement des demandeurs les plus éloignés de l'emploi. En février 2014, dans le cadre d'une réflexion stratégique en cours, le conseil d'administration de Pôle emploi a adopté, à l'initiative de la direction générale, le principe d'une spécialisation relative des OPP d'une part, de Pôle emploi de l'autre : les demandeurs d'emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics les plus nombreux confiés aux opérateurs privés, se verront désormais proposer, non plus un service externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre de Pôle emploi ; à l'inverse, une nouvelle prestation sera créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l'accompagnement des demandeurs d'emploi les plus autonomes, ceux qui disposent d'un projet professionnel validé et qui n'ont besoin que d'un appui méthodologique.
Ces décisions auront des effets importants sur la prochaine vague de passation de marchés, à compter de la mi-2015. La direction générale de Pôle emploi a d'ores et déjà proposé de faire évoluer les modalités de rémunération des opérateurs privés, ainsi que leurs relations avec l'opérateur public ; la réorientation stratégique se poursuivra, au second semestre 2014, par l'examen des publics concernés par la sous-traitance de spécialité.
Pour que cette nouvelle orientation puisse réussir, il est essentiel qu'elle soit pleinement intégrée à la stratégie d'ensemble de Pôle emploi, et notamment qu'elle fasse partie des orientations de la prochaine convention pluriannuelle entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi qui sera négociée au second semestre 2014. C'est pourquoi la Cour a émis une série de recommandations, que je vais vous présenter très succinctement.
La Cour a observé que la mise en oeuvre du dispositif était peu satisfaisante, concernant le contrôle de la qualité des prestations délivrées par les opérateurs privés, le manque d'innovation, les cahiers de charges trop prescriptifs, l'émiettement des marchés, qui ne permet pas de garantir un flux de demandes régulières, et les prix trop bas, qui menacent la viabilité économique du secteur.
En conséquence, la Cour recommande : premièrement, de prendre davantage en considération la qualité technique dans les critères d'attribution des marchés et de développer le contrôle qualité, en l'adaptant à chaque prestation et en recourant au besoin à un référentiel national ; deuxièmement, de rejeter les offres tarifaires qui paraîtraient anormalement basses au regard de critères objectifs préalablement fixés et de moduler la rémunération des prestataires en tenant compte du profil des demandeurs d'emploi et des perspectives de reclassement dans la zone géographique concernée ; troisièmement, d'impliquer davantage les équipes locales de direction dans la gestion des flux de demandeurs d'emploi orientés vers les opérateurs privés ; quatrièmement, de prévoir pour toute prestation d'accompagnement une évaluation dont les modalités seront définies dès le départ, en prévoyant une période de recul pour tenir compte des effets d'apprentissage ; enfin, de préciser dans la prochaine convention tripartite les conditions de recours aux opérateurs privés et leur intégration dans la stratégie d'ensemble de Pôle emploi, de manière à prévoir les changements d'allocation des moyens et à engager en interne une démarche de conduite de changement qui accompagnera la mise en oeuvre des nouveaux marchés de sous-traitance.
Pour conclure, la Cour insiste sur la nécessité qu'un pilotage interne à Pôle emploi permette de mesurer avec précision et rapidité les résultats de cette réorientation stratégique décisive.