Ce texte est à la fois très technique et d'intérêt majeur : la menace que les emprunts structurés font aujourd'hui peser sur nos finances publiques porte sur 17 milliards d'euros !
L'emprunt structuré, comme chacun le sait maintenant, est un produit financier qui mêle à un prêt bancaire classique une ou plusieurs opérations sur des produits dérivés, instruments financiers qui servent de référence pour le calcul des intérêts. Ces produits servent notamment à couvrir différents types de risques – risques de marché, de liquidité, de taux... Leurs inventeurs ayant fait preuve d'une imagination fertile, les résultats ont été très divers et les coûts parfois très importants pour les souscripteurs. Ainsi un hôpital, pour financer la restructuration totale de son système de chauffe, a pris comme indice de référence le cours du Brent – en 2008, tout investisseur aurait pourtant dû penser que le Brent risquait d'augmenter.
Les collectivités territoriales, qui les ont souscrits dans les années 2000, ont été les premières victimes de ces emprunts toxiques. Le maire que je suis n'oublie ni ceux qui venaient lui vendre ces produits, ni les sommes que certaines collectivités locales doivent aujourd'hui payer.
Mais un fait nouveau est survenu depuis février 2013 : le risque s'est déplacé avec la multiplication des contentieux et c'est désormais l'État qui, par le biais de la Société de financement local – SFIL – et de Dexia résiduelle, risque de devoir en supporter le coût. Or, nous savons tous ici qu'il n'en a pas les moyens.
Notre Commission connaît bien ces emprunts. Plusieurs d'entre nous ont pris part, il y a trois ans, aux travaux de la commission d'enquête dont le président était Claude Bartolone et le rapporteur Jean-Pierre Gorges. Les conclusions du rapport d'enquête, adopté en décembre 2011 à l'unanimité des trente membres de la commission, étaient sans ambiguïté. Tout d'abord, ces produits sur mesure, conçus au départ pour les besoins spécifiques de quelques grandes collectivités, ont été diffusés à grande échelle auprès d'acteurs publics locaux de toutes tailles et de toutes sortes – communes de moins de 10 000 habitants, services départementaux d'incendie et de secours – SDIS –, bailleurs sociaux, hôpitaux, même locaux, notamment dans le cadre du plan Hôpital 2007 qui exigeait de lourds investissements…
Autre conclusion du rapport : les responsabilités sont partagées, car certains exécutifs locaux ont fait preuve d'une légèreté coupable. On peut ainsi s'étonner qu'une banque ait été condamnée pour défaut de conseil quand son client était la communauté urbaine de Lille, qui dispose de services financiers aptes à analyser des contrats d'emprunt. Mais les banques sont également responsables : Dexia ainsi que plusieurs de ses concurrentes françaises ou étrangères ont développé une offre commerciale inadaptée aux besoins des acteurs locaux, mais lucrative dans une décennie marquée par la contraction des marges bancaires. On peut également penser à tous ces professionnels de la restructuration de dette venus voir les élus locaux en leur annonçant qu'ils allaient toucher le « jackpot ».
Enfin, le contrôle des services de l'État s'est révélé trop limité sur le terrain ; l'administration centrale a été trop peu vigilante et n'a jamais alerté les préfectures. Il faut toutefois préciser qu'un contrat de prêt est un contrat de droit privé et n'est donc pas soumis au contrôle de légalité – seule l'autorisation d'emprunter l'est, à condition qu'elle soit votée dans le cadre du budget.
Beaucoup a déjà été fait pour tirer les leçons de ces errements. La loi de séparation et de régulation des activités bancaires a permis de mieux encadrer – pour l'avenir – les conditions d'emprunt des collectivités : son article 32, dont le décret d'application est en cours d'examen au Conseil d'État, énumère strictement les indices et les structures auxquels les emprunts locaux devront dorénavant être adossés. Afin de mieux contrôler le flux des nouveaux emprunts, nous avons également adopté, à l'initiative de Christine Pires Beaune, plusieurs amendements, devenus les articles 92 à 94 de la loi de modernisation de l'action publique, qui prévoient la caducité des délégations consenties par les assemblées délibérantes dès l'ouverture de la campagne électorale, qui élargissent le champ des débats d'orientation budgétaire dans nos collectivités et qui obligent à provisionner les risques liés à la souscription de produits financiers.
Mais il restait à traiter les emprunts structurés existants, du moins les plus toxiques d'entre eux, puisque certains se sont révélés être de bonnes affaires pour les collectivités concernées. C'est l'honneur de notre majorité de s'être attelée à cette tâche dans un contexte budgétaire difficile.
Afin d'accompagner les collectivités territoriales, mais aussi leurs établissements publics, les syndicats locaux ou les SDIS dans la renégociation de ces emprunts, la dernière loi de finances a créé un fonds de soutien, doté de 1,5 milliard d'euros sur quinze ans. Les textes réglementaires nécessaires à la mise en place du dispositif ont commencé d'être publiés et le comité d'orientation du fonds devrait être mis en place cet été – la désignation des représentants des différentes institutions est en cours. Nous avions ici même débattu de l'opportunité de créer ce fonds de soutien, certains soulignant un risque de déresponsabilisation dont nous devons indéniablement tenir compte.
Le 23 avril dernier, le Gouvernement a annoncé un dispositif ad hoc d'accompagnement des hôpitaux, dont la situation est parfois proche de celle des collectivités. Ce fonds sera doté, selon mes informations, de 100 millions d'euros, l'encours concerné se montant à près de 1,5 milliard d'euros. D'autres acteurs encore sont concernés, notamment les bailleurs sociaux.
Cet engagement des ressources de l'État n'est pas sans contrepartie.
La crise financière ouverte en 2008 n'a pas seulement fait exploser les taux d'intérêt de certains emprunts structurés, par exemple de ceux adossés à la parité entre l'euro et le franc suisse, voire à l'évolution de la parité entre l'euro et le franc suisse entre la quatrième et la douzième année… Elle a également fait vaciller le groupe franco-belge Dexia, confronté à une crise de liquidités, et qui a fait l'objet d'un plan de sauvetage élaboré dans l'urgence par la précédente majorité. L'État est donc aujourd'hui doublement engagé, comme actionnaire de Dexia et de la SFIL mais aussi comme garant.
Les collectivités ne sont pas restées inactives. Beaucoup ont choisi d'engager des actions contentieuses, lesquelles n'étaient pas exclusives de la poursuite de négociations. Il y a trois semaines a été rendu un quatrième jugement, venant après les décisions successives des tribunaux de grande instance – TGI – de Nanterre et de Paris qui, en février 2013 et en mars 2014, ont retenu certains motifs de forme pour annuler les stipulations d'intérêts des contrats et les remplacer par le taux d'intérêt légal, quasi nul. Reste que les prêteurs ont réemprunté ou se sont adossés et doivent donc rembourser, ce qui fait peser un risque énorme sur les finances de l'État garant.
D'après l'Agence des participations de l'État, que j'ai interrogée, le nombre de contentieux et les enjeux apparaissent bien plus importants pour la SFIL que pour Dexia. Pour la première, 395 emprunts font l'objet d'une assignation, pour un encours de 3,137 milliards d'euros ; pour la seconde, ce sont 51 emprunts, qui représentent un encours de 379 millions d'euros.
L'État est donc exposé à un risque direct : il a l'obligation de constituer une provision correspondant au minimum aux encours faisant déjà l'objet de procédures contentieuses, soit une provision de 3,5 milliards d'euros, qui devra être passée si ce texte n'est pas voté. Si l'ensemble des contentieux potentiels devait être provisionné à 100 %, la SFIL devrait constituer 7,5 milliards d'euros de provisions et Dexia 3,1 milliards, soit un total de 10,6 milliards d'euros ; comme ces deux établissements ne disposent pas des fonds propres suffisants, l'État se verrait obliger de les recapitaliser en conséquence.
À cela pourrait s'ajouter un coût indirect de quelque 7 milliards d'euros supplémentaires, lié à la mise en extinction de la SFIL que ne manquerait pas d'imposer la Commission européenne en cas de recapitalisation massive.
La loi de finances pour 2014 prévoyait de valider ces contrats de prêt afin de les mettre à l'abri d'une annulation par le juge civil. Il nous faut aujourd'hui nous conformer aux prescriptions du Conseil constitutionnel, qui a jugé ces dispositions trop larges même si elles ne concernaient qu'un ensemble limité de contrats.
Comme le Gouvernement l'avait annoncé dès le mois de janvier, le présent projet de loi, déjà adopté par nos collègues sénateurs, propose de revenir sur les dispositions censurées. L'article 1er déclare valides les contrats de prêt conclus par les personnes morales de droit public dont la légalité serait contestée pour défaut de certaines mentions prescrites par le code de la consommation, comme celle du taux effectif global – TEG. L'article 2 procède à une seconde validation : celle des contrats de prêt dont la légalité serait contestée au motif que ces mêmes mentions seraient erronées. Aux termes de l'article 3, les contrats de prêt les plus simples – à taux fixe, ou à taux variable reposant sur des formules peu sophistiquées – sont expressément écartés de l'application des deux validations prévues aux articles précédents. Enfin, l'article 4, introduit par le rapporteur du Sénat, prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport sur la législation applicable au TEG.
Grâce à la réécriture opérée à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, le champ des actes concernés par cette validation législative est plus restreint que dans le dispositif censuré en décembre dernier. Cette nouvelle rédaction tient également compte de la variété des moyens soulevés devant les juges civils, en intégrant les conséquences des décisions intervenues les 7 et 25 mars dernier.
Strictement proportionné à l'objectif poursuivi, le présent projet de loi satisfait également aux autres critères dégagés par la jurisprudence constitutionnelle. En particulier, il poursuit incontestablement un but d'intérêt général impérieux au regard des conséquences financières potentielles pour l'État, qui sont colossales : je le répète, ce sont 17 milliards d'euros qui sont en jeu, soit 0,9 point de PIB, sans compter que l'assèchement, voire la disparition de la SFIL rendrait bien plus difficile le financement des investissements des collectivités locales.
C'est pourquoi je vous engage à adopter ce texte sans modification, en sorte qu'il puisse être adopté définitivement avant le terme de cette session extraordinaire.