Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 2 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Fleur Pellerin, secrétaire d'état chargée du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Je tiens à remercier le président Brottes de cette double invitation, puisque j'aurai également le plaisir de vous retrouver cet après-midi, avec plusieurs de mes collègues, afin que nous débattions ensemble des conclusions du rapport parlementaire sur le numérique de Mmes Corinne Erhel et Laure de La Raudière. Je centrerai mon intervention de ce matin sur les priorités que je m'assigne en matière de commerce extérieur et de tourisme.

Les chiffres du commerce extérieur, nous le savons tous, ne sont pas à la hauteur de nos attentes. En 2013, le déficit de la France a encore dépassé 61 milliards d'euros, dont 13 milliards hors énergie. Nos secteurs d'excellence comme l'aéronautique, l'agroalimentaire, la chimie, les parfums et cosmétiques ou encore la pharmacie, ne parviennent pas à contrebalancer les secteurs déficitaires que sont, outre l'énergie, les produits industriels, les produits informatiques et électroniques, le textile-habillement et l'automobile. Cela résulte d'une mauvaise spécialisation et d'une mauvaise orientation à l'export en termes de secteurspays. La France souffre également d'un tissu d'exportateurs fragile, à la fois très concentré – 1 % des exportateurs fait 70 % des exportations – et marqué par le faible nombre d'entreprises exportatrices – on en compte 120 000, contre deux fois plus en Italie et quatre fois plus en Allemagne. Depuis dix ans, notre part de marché s'est fortement érodée au niveau mondial puisqu'elle est passée de 5 % à 3,2 %. La baisse est marquée au sein même de la zone euro alors que la question du taux de change ne se pose pas – nous en sommes à 9,1 % contre 12,3 % en 2000. Plusieurs facteurs sont en jeu : la compétitivité prix et hors-prix, le niveau de l'euro, la conjoncture européenne et mondiale. Ce faisant, il faut avant tout nous concentrer sur nos leviers d'action immédiats, avec pour objectif de mieux nous organiser.

Avant d'aller plus loin dans ma présentation, je veux juste préciser que nous nous focalisons peut-être un peu trop sur la balance des biens. Il est difficile d'avoir une vision consolidée de notre balance des biens et des services mais il ne faut pas négliger pour autant notre balance des services, dont l'excédent est de 18 milliards d'euros.

Comment nous renforcer pour faire de la France un pays gagnant dans la mondialisation ? Nous devons d'abord aider notre appareil productif à se remuscler à l'export. Le nombre d'entreprises exportatrices est trop faible, bien qu'en augmentation depuis deux ans, et en tout état de cause il n'y a pas encore assez d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) – 3500 seulement – et de grosses PME ayant cette capacité.

Nous devons ensuite fédérer les énergies car « l'équipe de France de l'export » ne souffre pas tant d'un déficit de moyens que de leur dispersion. Avec un budget global de l'ordre de 600 millions d'euros, dont 500 millions pour l'État, les troupes sont nombreuses : 1500 agents au sein d'Ubifrance et de l'AFII dans 63 pays, 1200 agents de l'État au sein du réseau de la diplomatie économique. Mentionnons aussi les 8000 VIE, les chambres de commerce – 600 agents en France pour le soutien à l'international et 800 agents présents dans les 107 CCI françaises à l'étranger –, les 3500 conseillers du commerce extérieur – 900 en France et plus de 2500 à l'étranger –, les 350 collaborateurs de la COFACE, les régions et enfin les acteurs privés d'appui à l'export tels que les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI). Jusqu'à récemment, tous ces acteurs jouaient leur propre partition ou se contentaient d'une coordination formelle. Notre objectif doit être de les mettre davantage en synergie et d'assurer un meilleur pilotage du dispositif par nos ambassadeurs à l'étranger.

C'est dans cette perspective que nous rénovons et modernisons le dispositif d'accompagnement en créant une grande agence de l'international, avec le rapprochement de l'AFII et d'Ubifrance. Muriel Pénicaud a été nommée présidente de l'AFII et va s'y employer, tant sur le plan organisationnel que par l'élaboration d'un nouveau plan stratégique pour les prochaines années.

Il s'agit aussi de réfléchir à l'articulation de cette nouvelle agence avec les autres opérateurs et acteurs. Dans le domaine de l'agroalimentaire par exemple, la Sopexa – agence à statut privé qui bénéficie d'une délégation de service public du ministère de l'agriculture – et le département Agrotech d'Ubifrance doivent être rapprochés pour assurer des économies d'échelle et la cohérence de la stratégie. L'action conjointe entre Ubifrance et BPI France doit aussi être poursuivie et amplifiée. Je sais que Muriel Pénicaud et Nicolas Dufourcq y travaillent et cela peut être un moyen de dépasser par le haut des contraintes du droit européen de la concurrence que certains acteurs nous opposent. Enfin, l'articulation de ces acteurs avec les CCI et l'action des régions devra être organisée. L'un des enjeux est l'achèvement d'un portail internet de l'international dont l'objectif est de diriger les entreprises vers le meilleur interlocuteur en fonction de leurs besoins propres. Une place doit être réservée dans ce cadre aux acteurs privés, qui ont aussi un rôle à jouer.

Notre stratégie doit par ailleurs reposer sur des priorités géographiques et thématiques claires et sur la concentration des moyens correspondants. Je compte ainsi poursuivre le travail engagé par Nicole Bricq. Nous devons nous appuyer sur les atouts de l'offre française pour répondre aux besoins des nouvelles classes moyennes des pays émergents qui tirent la demande mondiale et dans cette optique, il convient de définir une liste de pays et de secteurs prioritaires pour concentrer l'action des services de l'État et des opérateurs publics. La France a des entreprises et des savoir-faire reconnus, qui doivent entrer en résonnance avec la nouvelle demande mondiale. Les classes moyennes des pays émergents aspirent en effet à mieux vivre. Là résident de formidables opportunités pour nos entreprises. Encore faut-il fédérer l'offre française car l'action en ordre dispersé réduit nos chances de gagner des parts de marché. À cet égard, j'ai engagé l'actualisation de la liste de nos pays prioritaires pour aboutir à une dizaine de pays par grande famille de l'export et aux quatre familles déjà identifiées – se soigner, vivre en ville, communiquer, se nourrir – je compte ajouter deux secteurs essentiels : d'une part les industries récréatives et culturelles comme l'audiovisuel, la mode, le design et l'artisanat d'art, d'autre part l'industrie du voyage et du tourisme.

Cette stratégie doit bien entendu être articulée avec les négociations menées par la Commission européenne s'agissant des accords de partenariats économiques. Je ne vais pas revenir ici en détail sur le sujet du partenariat transatlantique mais je pourrai répondre à vos questions si vous le souhaitez. Soyez assurés que je compte être exigeante, dans toutes les négociations conduites par la Commission au nom de l'Union européenne, pour que les intérêts offensifs français et les « lignes rouges » identifiées pour la défense de nos préférences collectives, de notre droit à réguler ou du secteur audiovisuel soient défendus. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises au commissaire européen Karel de Gucht, je le dirai également à son successeur quand celui-ci aura été désigné. Par ailleurs, le sujet de la transparence vis-à-vis des parlementaires et de l'opinion publique est essentiel pour moi. J'ai personnellement pris des initiatives pour la publication des mandats de négociation et des documents divers permettant de rendre compte des cycles de discussion.

Beaucoup d'attention est légitimement placée sur le TTIP mais il convient de ne pas oublier la douzaine d'accords en cours de négociation plus ou moins avancée avec des partenaires-clés comme le Canada, le Japon ou certains pays d'Asie du Sud-Est. Nous devons suivre de près les accords sectoriels sur les services ou les biens environnementaux. Je serai enfin très attentive au sujet des règles du jeu dans le commerce mondial : la notion de réciprocité, les instruments de défense commerciale, la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques en font partie.

S'agissant maintenant du tourisme, je sais que le sujet intéresse particulièrement votre commission et qu'il y a en son sein de nombreux spécialistes de cette thématique. Pourquoi avoir confié au Quai d'Orsay la responsabilité de la promotion du tourisme ? C'est parce que ce secteur est une composante essentielle de nos échanges extérieurs, de notre rayonnement international et de notre politique globale d'attractivité. Je reviendrai sur cette notion d'attractivité car il faut en avoir une vision panoptique et la considérer au regard de l'ensemble des acteurs qui y contribuent.

Il suffit de quelques chiffres bien connus pour mesurer l'ampleur de levier économique que représente le tourisme. Au niveau mondial, les recettes du tourisme se sont élevées en 2013 à 873 milliards d'euros, en progression de 5 %. Le tourisme international représente 29 % des exportations de services dans le monde et 6 % de l'exportation de l'ensemble des biens et services. On comptait un milliard de touristes internationaux en 2012, on en attend 1,8 milliard en 2030. Au niveau de la France, nous avons accueilli en 2012 83 millions de visiteurs étrangers. Le tourisme représente 7 % du produit intérieur brut, 2 millions d'emplois directs et indirects, il permet de dégager un solde extérieur de 12 milliards d'euros.

La conclusion des Assises du tourisme, le 19 juin dernier, a été un grand moment pour l'ensemble du secteur. Les acteurs l'ont vécu comme un signal d'ambition car le tourisme semble être enfin considéré à sa juste place par rapport à ce qu'il représente pour l'économie de notre pays. Trente mesures ont été annoncées, qui sont autant de réponses concrètes aux attentes des professionnels, susceptibles de produire rapidement des effets. Certes, tout n'a pas été réglé et je ferai ainsi des annonces à la rentrée s'agissant du tourisme d'affaires et du tourisme événementiel.

Quelles sont nos priorités ? Tout d'abord, hiérarchiser la démarche de promotion internationale des destinations autour de quelques marques fortes et visibles et de cinq pôles d'excellence qui permettront de renouveler notre image et de satisfaire les nouvelles attentes des touristes. Ensuite, travailler à faciliter le parcours desdits touristes, de la réservation du voyage et de la demande de visa jusqu'à leur retour chez eux, et renforcer le sens de l'hospitalité des Français. C'est aussi en améliorant la formation et les conditions de travail des acteurs du tourisme que l'on progressera sur la qualité de l'accueil. Nous devons également nous projeter avec ambition dans le numérique, en misant sur la capacité de la France à faire émerger les leaders de demain dans le domaine du « m-tourisme », qui offre de formidables opportunités. Enfin, il est nécessaire de redynamiser le tourisme des Français et de faciliter l'accès du plus grand nombre aux vacances.

Ce sujet du tourisme me conduit, en guise de conclusion, à évoquer plus généralement le thème de l'attractivité. Nous devons prendre conscience du niveau d'internationalisation de notre économie et des bienfaits qu'elle peut en tirer. Il faut faire une pédagogie positive de la mondialisation et pour ce faire, mieux quantifier les bénéfices qu'elle nous apporte sans la limiter à des échanges de biens physiques. Il faut y intégrer les flux d'investissement, la circulation des talents, les parcours des étudiants, la localisation des centres de décision et de recherche-développement. À côté d'un agenda défensif, il faut aller conquérir de nouvelles opportunités, qui nous permettront de créer de l'emploi et de la croissance en France. Il faut élargir notre terrain de jeu, en particulier pour notre jeunesse, d'autant que nous avons de réels atouts à faire valoir. En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous permettre de nous recroqueviller sur nous-mêmes. Je reviens des États-Unis où le « French-bashing » est encore bien vivace, il faut passer beaucoup de temps à expliquer aux investisseurs étrangers le sens de nos réformes et nos efforts en vue du redressement de notre compétitivité et de nos comptes publics. Notre diplomatie économique se veut donc au service d'une France conquérante !

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