Intervention de Paula Vasquez-Lezama

Réunion du 24 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Paula Vasquez-Lezama, chargée de recherche au CNRS :

Depuis février 2014, le Venezuela vit une crise profonde. On décompte aujourd'hui 42 morts, 2 000 arrestations, dont des leaders d'opposition et une centaine d'étudiants emprisonnés dans des prisons de haute sécurité. Cette crise illustre l'essoufflement d'un modèle politique qui fut une référence en raison de sa politique envers les plus défavorisés.

Pour bien comprendre la situation, il importe de considérer le caractère révolutionnaire de ce régime. On peut en effet se demander si le régime instauré par Hugo Chavez est ou non une démocratie. Selon moi, il s'agit d'un questionnement théorique sur la définition même du terme de démocratie. Après 14 ans d'existence du système politique « chaviste », toute une série de transformations sociales importantes ont été élaborées et traduites sous l'appellation officielle de « Révolution bolivarienne ». La Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, a été adoptée en 1999. Au moment où l'Assemblée constituante a vu le jour, la catégorisation d'un modèle socialiste n'était pas à l'oeuvre. Il s'agissait plutôt d'un modèle extrêmement nationaliste, ce qui n'est pas nouveau car le Venezuela a nationalisé son industrie pétrolière en 1973 et est un membre fondateur de l'OPEP. A partir de 2005, Hugo Chavez a commencé à développer une rhétorique politique portant sur le « socialisme du XXIème siècle ». La question se pose aujourd'hui de savoir si le « chavisme sans Chavez » est encore possible.

Trois phases peuvent être distinguées. La première, qui s'étend de 1998 à 2004, est caractérisée par la promotion de la « démocratie participative ». La seconde par la radicalisation de la révolution suite au coup d'Etat porté contre Chavez en avril 2002. Enfin, la troisième recouvre la période 2004-2010 et correspond au lancement du « socialisme du XXIème siècle » et à la mise en oeuvre des « missions ». Ces dernières désignent les politiques sociales destinées à redistribuer les revenus du pétrole, qui ont abouti à la formation d'un véritable État parallèle et à la suppression des corps intermédiaires. Les « missions » débouchent sur la création de programmes directement gérés par l'exécutif et qui bénéficient de budgets considérables. Elles ont eu un impact important dans la diminution des inégalités sociales. En effet, si l'on mesure les inégalités via le revenu et sa distribution, on observe qu'elles ont diminué entre 2004 et 2011 grâce aux allocations des « missions ».

Le Venezuela est confronté à trois crises profondes. La première est économique et sociale. Tout d'abord, depuis novembre 2012, le pays est plongé dans une pénurie sans précédent de biens élémentaires et la population vénézuélienne est soumise à une restriction très forte portant sur tous les produits, du ciment au shampoing. Cette pénurie est liée au verrouillage du système des changes et de l'accès aux devises par les importateurs. L'inflation atteint aujourd'hui 62 %. Le PIB est en baisse. L'échec du modèle économique a été reconnu par les membres du Gouvernement Maduro eux-mêmes. Avant-hier, le Ministre de l'économie, Giorgio Giordani, bras droit d'Hugo Chavez depuis 1993 et ministre pendant 14 ans, a démissionné. C'est lui qui a bâti la politique économique du pays, la transformation de la compagnie nationale du pétrole PDVSA (Petroleos de Venezuela SA) − machine financière du gouvernement –, le contrôle de l'accès aux devises par les importateurs, ainsi que l'étatisation et l'expropriation des entreprises privées. L'économie non pétrolière vénézuélienne a été extrêmement affaiblie du fait de la politique économique menée par Giorgio Giordani. On perçoit cette crise profonde dans ce que l'on pourrait appeler la « coalition chaviste ». Giorgio Giordani a évoqué dans une lettre « une sensation de vide de pouvoir dans le Gouvernement de Nicolas Maduro » mais on peut se demander à qui cela s'adresse. Il affirme ne pas être d'accord avec des consultants français engagés par le Président Maduro pour élaborer la politique économique. L'économie pétrolière n'est plus viable parce que l'on a agi au détriment de l'investissement, et qu'il n'est pas possible de répondre à tous les besoins d'une économie complexe par la redistribution du revenu pétrolier, a fortiori si des réinvestissements ne sont pas réalisés pour acquérir de nouveaux puits et moderniser la société PDVSA. Aussi, des sociologues ont qualifié le modèle politique de Chavez d'« utopie d'un milliardaire ».

L'avenir du pays est préoccupant, car la production pétrolière nationale a chuté de 17 % entre 1999-2014, voire de 20 % selon certains spécialistes. Ainsi, l'objectif affiché par le Gouvernement en 2005, de produire 3 millions de barils par jour n'a jamais été atteint – aujourd'hui, PDVSA ne produit que 1,8 millions de barils par jour. Par ailleurs, la société PDVSA présente une dette de 43 milliards de dollars, liées à des activités annexes aussi diverses que l'achat et la redistribution de nourriture ou de logements. Enfin, l'économiste José Guerra souligne que PDVSA est également endettée vis-à-vis de la banque Centrale vénézuélienne à hauteur d'un montant de 73 milliards de dollars.

La deuxième crise est d'ordre politique. David Weinberger abordera plus longuement dans sa présentation les questions de la criminalité, de la délinquance et de la crise sécuritaire interne. Le Venezuela est aujourd'hui une sorte d'État en faillite. Le modèle vénézuélien est paradoxal : l'Etat y est fort dans la mesure où il intervient dans tous les domaines économiques et sociaux, mais il est incapable de faire face aux problèmes endémiques d'insécurité du pays.

Enfin, la troisième crise est celle de l'opposition vénézuélienne, incapable de canaliser l'immense mécontentement diffus de la population. Il existe des divisions au sein de la Table de l'Unité Démocratique (MUD), qui n'a pas toujours été solidaire, notamment vis-à-vis des mouvements étudiants qui ont quelquefois dérivé vers la violence.

On retiendra principalement de l'année 2014 la militarisation de l'Etat. Cette tendance, déjà présente auparavant, s'est accentuée. Dans tous les ministères, l'appareil étatique et les institutions civiles, des militaires actifs assument des rôles importants. Pour ne citer qu'un exemple, le directeur des ressources humaines du Ministère de l'éducation nationale est un commandant important de l'armée de terre. La Constitution de 1999 prévoit explicitement leur participation à la mise en oeuvre des politiques de développement. L'ancien Président Chavez a beaucoup joué dans ses discours de l'image du « peuple en armes », qui doit défendre l'intégrité de la nation, à la fois contre des ennemis intérieurs et extérieurs. De ce point de vue, Hugo Chavez n'a pas été un Président fédérateur mais a construit un modèle politique basé sur la catégorisation ami-ennemi, ce qui s'est en outre traduit par la création de bataillons de réserves civils dès 2007, puis, à compter de 2009, de milices bolivariennes.

La dernière traduction, la plus dramatique, de ce modèle, est l'apparition des « collectifs » paramilitaires, groupes particulièrement actifs et violents et qui ont été armés par des voies plus ou moins régulières par l'État. Ces collectifs se comportent de manière extrêmement violente contre les manifestants et disposent d'armes qui proviennent de la compagnie d'armement vénézuélienne CAVIM. Ces derniers développements, doublés de l'influence importante des militaires laissent augurer une sortie violente de la crise, dans le cas où le Gouvernement de Maduro ne parviendrait pas à contrôler ses propres bras armés, ce qui est particulièrement inquiétant.

Peu à peu, le Venezuela tend à s'isoler. Les restrictions de vols, notamment de compagnies françaises et américaines, en sont un des signes. C'est le cas de compagnies telles que Lufthansa, Alitalia, Air Canada qui ne proposent plus de vols en direction du Venezuela, tandis qu'Air France est passé d'un vol par jour à quatre vols par semaine. Ceci est lié à la crise et au verrouillage du système du contrôle des changes.

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