Intervention de David Weinberger

Réunion du 24 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

David Weinberger, chargé de recherche au département « Sécurité » de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice :

Je vous remercie pour votre invitation. Sociologue de formation, je travaille à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice depuis 2008. C'est dans ce cadre que je me suis intéressé au Venezuela. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives nous avait en effet commandé une étude sur les trafics empruntant la voie aérienne légère. Or, le Venezuela est fortement impacté par ce type de trafics et je me suis donc rendu, avec mon collègue Nacer Lalam, à Caracas, dans le cadre d'une mission officielle. Sur place, nous avons trouvé une situation fortement dégradée, avec des coups de feu tirés en pleine nuit, des rues presque désertes, des tentatives de kidnapping.

Le Venezuela est très fortement impacté par le trafic de cocaïne ; c'est la conséquence directe de l'intensification de la répression en Colombie, où elle est menée avec l'appui des Etats-Unis. Ces derniers investissent environ 50 millions de dollars par an dans la lutte antidrogue en Colombie. On a donc observé un déplacement des groupes criminels colombiens vers le Venezuela.

On dénombre ainsi au Venezuela entre dix et quinze mille personnes armées qui s'adonnent à différents types d'activités criminelles, dont le trafic de cocaïne. Parmi elles, on retrouve : les acteurs classiques du conflit colombien, c'est-à-dire les guérillas « d'extrême-gauche » : FARC et ELN, auxquels s'ajoutent les forces du Front Bolivarien de Libération (FBL), qui sont une guérilla du même type, mais d'origine vénézuélienne ; les descendants des groupes paramilitaires « d'extrême-droite » UAC, qui se sont constitués en petits groupes très structurés que l'on nomme BACRIM (bandes criminelles emergentes) et très organisés ; enfin, des nouveaux opérateurs vénézuéliens qui prennent en charge les opérations de logistique (transport de la cocaïne à l'intérieur du pays, franchissement des frontières et des contrôles, acheminement vers les zones de consommation, notamment les Etats-Unis et l'Europe).

La situation sécuritaire au Venezuela est très complexe. L'argent de la cocaïne a un effet déstabilisateur important, et les tensions diplomatiques entre l'Amérique du Nord et le Venezuela, et, à un degré moindre entre l'Europe et le Venezuela, ont un effet négatif sur la lutte antidrogue puisqu'elles réduisent la coopération en matière policière et en matière de justice. En vingt-cinq ans, le taux d'homicides au Venezuela a été multiplié par cinq. En dix ans, il a été multiplié par deux. Il est aujourd'hui l'un des plus élevé au monde, avec environ 50 à 70 homicides pour 100 000 habitants. Les homicides augmentent de 10% par an au Venezuela, ce qui est particulièrement inquiétant.

La réponse publique apportée à ces phénomènes criminels est en plein désarroi. Une réforme des corps de sécurité intérieure a été engagée depuis l'adoption de la constitution de 1999, suite à l'élection de Chavez. Elle a conduit à réduire les possibilités de contrôle civil des actions de police et à compliquer l'identification des responsabilités institutionnelles en matière de sécurité intérieure. La police civile a vu ses marges de manoeuvre considérablement réduites, au profit des forces de sécurité intérieure militarisées. La police civile se résume aujourd'hui à la police judiciaire, la police scientifique et à la sécurité civile. La garde nationale bolivarienne a en charge la quasi totalité des missions de sécurité intérieure : contrôle du territoire, des frontières, des aéroports, des ports, lutte antidrogue.

La corruption à tous les niveaux de l'État a fortement augmenté au cours des dernières années. Les membres de la garde nationale bolivarienne sont mis en cause dans la plupart des faits divers concernant des trafics de cocaïne importants. De nombreux travaux ont été menés sur le Cartel de los Soles, mettant en cause des hauts gradés de la garde nationale bolivarienne. Il est cependant difficile de mesurer avec précision le niveau de corruption réelle. Il existe dans le domaine du trafic de drogue un ensemble déstructuré de forces diverses, en concurrence les unes avec les autres, prêtes à acheminer de la cocaïne en contrepartie d'une rémunération significative.

En conclusion, la situation sécuritaire au Venezuela est extrêmement dégradée et pose problème à l'ensemble de la société civile. Une très grande majorité de la population ne fait plus confiance à sa justice, et la méfiance grandit à l'encontre de la police. Une rupture très nette se fait jour entre les Vénézuéliens, d'une part, et les autorités et les institutions du pays, d'autre part.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion