Intervention de Brigitte Allain

Séance en hémicycle du 7 juillet 2014 à 16h00
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, chers collègues, en décembre 2013, le Gouvernement proposait au Parlement le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ce texte est une véritable loi d’orientation, attendue par les agricultrices et les agriculteurs, mais aussi par la société tout entière, soucieuse de préserver l’apport économique des productions de l’agriculture et de l’agroalimentaire et d’en améliorer l’impact social et écologique. En effet, de nos politiques agricoles, tant européennes que nationales, dépendent l’aménagement harmonieux de nos territoires ruraux, notre niveau d’autonomie alimentaire, l’accès pour tous à une alimentation sûre, saine, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante.

Le texte que nous sommes amenés à améliorer encore aujourd’hui est issu d’un vrai travail parlementaire et le groupe écologiste a apprécié le dialogue et l’écoute de M. le ministre et de son cabinet, ainsi que de M. le rapporteur, mon cher collègue et voisin Germinal Peiro, qui a ouvert toutes ses auditions. Je tiens également à saluer tous les parlementaires, nombreuses et nombreux, qui se sont investis pour élaborer une politique agricole clairement orientée vers l’agro-écologie.

L’agro-écologie n’est pas une révolution ! Ce terme est né en 1928. Il a pris toute sa signification lorsque, dans les années soixante-dix, au plus fort du développement de ce qu’on peut appeler aujourd’hui l’agrochimie productiviste, René Dumont puis Pierre Rabhi et Marc Dufumier, notamment, ont, plus tôt que d’autres, porté cette vision futuriste d’une agriculture mieux intégrée dans la société.

Il s’agit d’une vision futuriste, parce que c’est celle d’une agriculture basée sur la diversité, la reconnaissance des savoir-faire de paysans plutôt cultivateurs qu’exploitants de la terre. C’est celle d’une agriculture durable, qui permet de produire qualitativement tout en respectant les sols, le sous-sol, l’eau, l’air et la santé des consommateurs. Économe en intrants, elle rend les agriculteurs plus autonomes et résilients. Leurs fermes offrent à ces derniers qualité de vie et revenus, et sont donc transmissibles aux générations futures.

La révolution, c’est d’avoir inscrit dans un projet de loi cette ambition et cette nécessité de passer d’une agriculture chimique à une agriculture biologique. À l’heure où notre agriculture se dégrade elle-même, où se dégrade son environnement, à l’heure où les sirènes technicistes des lobbies des semenciers et de l’agrochimie tentent à tout prix d’imposer leurs semences et plants génétiquement modifiés et leurs pesticides, c’était une nécessité de se fixer l’objectif d’une transition écologique de l’agriculture et de l’alimentation qu’elle produit.

L’engouement unanime de tous les acteurs nous porte à nous interroger sur les moyens que ce projet de loi apportera dans le contexte d’une PAC toujours plus libérale, malgré la revalorisation des aides pour les cinquante premiers hectares et le maintien ou l’amélioration de quelques mesures environnementales.

Ainsi, de l’avis de tous les députés ici présents, les dispositions concernant le foncier constituent la clé de voûte de ce texte. Mes chers collègues, même si une meilleure gouvernance des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et des SAFER permettra une gestion du foncier plus transparente, je crains que les mesures adoptées à ce jour ne nous laissent au milieu du gué.

Je tiens à vous signaler que le rythme d’artificialisation des sols a atteint les 70 000 hectares par an entre 2006 et 2012. Ce phénomène, principalement lié à la périurbanisation, est une des causes principales du recul de la biodiversité française, selon le rapport publié le 25 juin dernier par France Stratégie, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Aussi devons-nous nous donner les moyens de mieux contrôler les transferts de propriétés, les attributions prioritaires de fermage et autorisations d’exploiter.

La première étape pour toute personne qui veut s’installer, c’est d’avoir accès au foncier. Face à des spéculateurs ou à des gargantuas de la terre, seules des mesures fortes peuvent assurer cette accessibilité.

Je citerai ici Edgard Pisani qui, en 1977 déjà, écrivait dans Utopie foncière : « J’ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu’une bonne dose d’ingéniosité suffirait à le résoudre. J’ai lentement découvert qu’il était le problème politique le plus significatif qui soit, parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements. » Presque quarante ans plus tard, nous pouvons affirmer que nos pratiques foncières ont été celles de prédateurs. C’est pourquoi je vous invite à donner aux commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers un rôle décisif et incontournable.

Ensuite, nous devons engager notre responsabilité pour que cette loi soit celle qui bannit les produits polluants et les pratiques dangereuses pour la santé et notre environnement. Je pense aux pesticides dans l’air, les sols, les corps vivants, aux algues vertes dans les eaux, aux antibiotiques qu’ingèrent les animaux et qui se retrouvent dans nos aliments. Des conditions d’épandage des pesticides plus respectueuses de l’environnement et donnant la possibilité aux préfets d’appliquer au cas par cas des mesures plus drastiques permettront aux agriculteurs, en agriculture biologique ou conventionnelle, d’apporter les traitements nécessaires à la protection de leurs plantes ; le voisinage sera en outre respecté.

Reste que sont encore mis sur le marché phytosanitaire trop de produits potentiellement cancérigènes ou contenant des perturbateurs endocriniens. Les produits insecticides sont de plus en plus soupçonnés d’être mortellement nocifs non seulement pour les pollinisateurs, dont les abeilles, qui sont pourtant les premiers garants de nos récoltes, mais aussi pour les vers de terre, qui travaillent les sols mieux que nous-mêmes.

Enfin, les règlements d’application pris par nos ministères devront être aussi cohérents que les objectifs que nous nous serons fixés dans cette loi. Les comportements individuels déviants devront être mieux encadrés. Une agriculture spéculative concentrée n’offrira jamais un projet social acceptable et ne façonnera pas les paysages aussi bien qu’une agriculture paysanne.

La ferme des mille vaches est ainsi le reflet de notre impuissance. Si la méthanisation est bienvenue pour produire du biogaz et composter les déjections animales, l’acceptation sociale et environnementale d’un tel projet dépend de la taille des ateliers d’élevage, de leur gestion, collective ou individuelle, de leur taille maximale autorisée, de l’interdiction ou non d’y mettre des cultures alimentaires.

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