Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, passé un préambule qui n’est que bonnes intentions et voeux pieux, et relève donc plus de l’incantation que du travail législatif, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture me paraît, dans ses aspects les plus importants, passer outre l’essentiel et dangereusement déconnecté de la réalité, réalité difficile pour nos agriculteurs dont le revenu a baissé de 22 % en moyenne en 2013.
Commençons par l’article 7 qui instaure un médiateur des relations commerciales dans le but d’assainir le rapport entre agriculteurs et distributeurs, systématiquement défavorable aux premiers. Que pèsera ce malheureux médiateur, dépourvu d’un réel pouvoir, face au chantage du déréférencement des produits par les distributeurs, face aux possibilités, toujours plus nombreuses pour les industriels et les distributeurs, de substituer un produit importé à un produit français ? Pas grand-chose évidemment. Ce médiateur, c’est la continuation « petit bras » d’un dispositif globalement déficient, à savoir la contractualisation, mise en place par votre prédécesseur, Bruno Le Maire.
Avec ou sans médiateur, l’agriculteur français doit continuer à vendre le produit de sa terre, quand l’industriel ou le distributeur peut, quant à lui, se fournir où bon lui semble. Dans le contexte de libre-échange généralisé et anarchique que continue d’encourager votre gouvernement, à la suite de l’UMP, le dumping social et environnemental est devenu le fléau numéro un pour nos agriculteurs. Ce diagnostic, qui fait consensus dans l’immense majorité des filières, est pourtant absent de la présente loi, alors même que les Allemands, les Espagnols ou les Italiens, pour ne citer qu’eux, se livrent à un dumping extra- mais aussi intra-européen féroce.
L’immobilisme du Gouvernement français et de l’Union europénne sur ce terrain est désespérant. La réforme dérisoire de l’application de la directive relative au détachement des travailleurs ne concernera pas l’agriculture et, de toute manière, ne permet pas de dénoncer les fraudes de nos partenaires. Le SMIC allemand que vous n’avez cessé de brandir ne fera pas de miracle pour mettre fin au dumping des concurrents germaniques qui ont si bien coulé notre filière porcine et en menacent maintenant de nouvelles. Ce semblant de SMIC, s’il est voté, ne sera finalement appliqué aux saisonniers qu’après déduction des frais d’hébergement, de transport et de nourriture.
Le dumping intra-européen menace à lui seul l’intégralité de nos filières, y compris le bio, si souvent vanté. Pendant que certains de nos maraîchers et de nos arboriculteurs investissent temps et argent à convertir leurs exploitations, avec l’espoir légitime de voir cet effort récompensé à moyen terme par de bons prix de vente, des investisseurs du sud de l’Italie mettent en bio des milliers d’hectares et pèsent à la baisse sur les prix en recourant massivement à l’immigration illégale.
Les faits divers effarants se multiplient ces dernières années : saisonniers chassés à coups de fusil pour ne pas avoir à les payer ; hébergement de ces quasi-esclaves dans des taudis, voire sous les arbres dans les cas les plus extrêmes ; infractions systématiques et massives au droit du travail. La situation perdure et ces produits sont vendus, sans que personne ne proteste, dans les rayons des supermarchés français, sous les yeux de nos producteurs qui voient littéralement fondre leurs espoirs de retour sur investissement.
À ces déséquilibres aussi scandaleux que dangereux, s’ajoute la multiplication des traités de libre-échange avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs aux nôtres. Là encore, la main droite qui a rédigé cette loi semble tout ignorer de l’action de la main gauche, celle qui a signé sans faiblir les traités de libre-échange à Bruxelles et qui se prépare à ratifier le traité transatlantique avec les États-Unis, pour lequel le Président Hollande a souhaité accélérer les négociations.
Si nos normes vous paraissent si indispensables que vous ne cessez de les renforcer, pourquoi diable livrer ceux qui les respectent à la prétendue libre concurrence de ceux qui n’en ont cure ou les contournent systématiquement ?
L’article 23 de cette loi illustre à la perfection cette périlleuse contradiction. La légitime inquiétude de l’opinion, suite à l’utilisation, dans des conditions dangereuses, de pesticides à proximité d’une école, a finalement abouti à l’ajout d’une disposition supplémentaire visant à mieux encadrer l’usage de ces produits. Une fois de plus, le Gouvernement n’est plus dans l’action concertée, réfléchie et de long terme, mais dans la réaction pulsionnelle au fait divers, avec pour conséquence un cas typique et précipité de renforcement totalement unilatéral de nos normes, puisque aucun autre pays ne s’en préoccupe de cette manière et que l’utilisation des produits phytosanitaires est déjà très encadrée en France.
Le dispositif préconisé est extrêmement flou, puisqu’il laisse finalement aux préfets le soin, en cas de litige, d’apprécier si les protections utilisées sont adéquates ou non.
Concernant les haies, va-t-on en mesurer la largeur, l’épaisseur et la densité, pour distinguer une haie apte à protéger une école contre une pulvérisation d’une qui est insuffisante pour protéger une maison de retraite ? Les préfets, dont les services contrôlent déjà, et ce dans des conditions de plus en plus tendues, l’application d’Écophyto 2008, ainsi que les dosages prescrits par l’Union européenne, apprécieront sûrement un exercice aussi inédit que celui-ci.
Pendant que nous calculerons l’épaisseur des haies, pendant que nos agriculteurs verront se multiplier les procédures judiciaires d’associations ou de voisins à leur encontre, des produits issus de pays où les avions épandeurs de pesticides se moquent d’arroser des villages entiers continueront d’être vendus chez nous.
Comme tout un chacun, j’ai à coeur le respect de l’environnement et la protection de la santé publique…