Mettons-nous un instant dans la peau de l’un de ses petits producteurs. Sans même évoquer les aléas climatiques qui ne l’ont pas épargné, celui-ci a dû, ces trois dernières années, assurer sa formation et celle de ses employés dans le cadre d’Écophyto ; essayer de maîtriser de nouveaux produits en remplacement d’un insecticide désormais interdit par l’Union européenne et ce avec des résultats très inégaux et une utilisation complexe ; tenir compte de la modification concernant les exonérations de charges sur les salaires des saisonniers ; s’adapter à l’interdiction de l’utilisation des échelles et escabeaux ; se soumettre à d’éventuels contrôles sur le respect des précédents points.
Il doit ensuite se préparer à la mise en place du compte pénibilité pour les saisonniers l’année prochaine – même simplifiée, elle restera complexe pour les petites structures que sont les exploitations agricoles. Enfin, si l’article 23 est voté en l’état, il devra s’assurer que la haie qui sépare l’un de ses vergers d’une maison de retraite et d’une résidence est bien conforme à une norme qui n’est pas fixée.
Tout cela n’est d’ailleurs qu’une petite partie de l’iceberg réglementaire auquel se heurte une profession fragilisée et découragée.
Pendant ce temps, ce producteur déplore que ses concurrents espagnols fassent fi de l’application de certaines réglementations européennes ; pendant ce temps, il voit ses concurrents turcs proposer aux grossistes, sans droits de douane, des cerises à 1 euro le kilo, quand le coût de production des siennes avoisine les 2 euros. Afin de ne pas gâcher sa journée, il évite alors de se rappeler que le salaire minimum turc est de 425 euros par mois et qu’un hectare de cerisiers demande plus de 500 heures de travail par an.
Pour faire face aux contraintes évoquées plus haut, un technicien pourrait lui suggérer d’investir, pour replanter autrement certaines parcelles : espacement, panachage de variétés, taille plus basse. L’idée est séduisante, d’autant qu’une partie du verger vieillit, mais elle se heurte à la précarité de sa situation : planter, c’est s’endetter plus, alors qu’il n’a pas encore remboursé ses précédents emprunts. S’il allume son ordinateur et tombe sur le texte que nous sommes en train d’examiner aujourd’hui, il découvrira que non seulement celui-ci n’apporte aucune solution à ses principaux problèmes, mais qu’il risque bien de les aggraver.
Adieu l’idée des investissements. Il faut quelques semaines pour changer une loi, mais cinq ans pour que les arbres atteignent leur pleine production.
Ni choc de simplification, ni choc de confiance dans ce projet de loi, qui n’est porteur d’avenir que dans son titre. C’est pourquoi je ne voterai pas ce texte.