Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 7 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires sociales

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ANSES :

Merci de nous donner l'occasion de rapporter devant l'Assemblée nationale le travail que nous avons réalisé à la demande du Gouvernement à la suite de la publication de l'étude du professeur Séralini dans la revue Food and Chemical Toxicology, le 19 septembre dernier.

Je suis accompagné aujourd'hui de MM. Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques à l'ANSES, et Franck Fourès, directeur adjoint chargé des thématiques santé-alimentation, qui m'aideront à répondre de manière plus précise à vos questions.

Dans sa saisine, le Gouvernement nous a posé deux questions – les mêmes qui ont été posées au HCB : la publication de l'étude Séralini est-elle susceptible de remettre en cause les conclusions des évaluations précédentes du maïs NK 603 et de l'herbicide Roundup ? À la lumière de cette étude et de l'ensemble des connaissances actuelles, y a-t-il lieu de revoir les lignes directrices de la réglementation européenne actuelle en matière d'évaluation des risques sanitaires des organismes génétiquement modifiés (OGM) ?

Pour répondre à ces deux questions pour l'échéance fixée du 20 octobre, nous avons constitué un groupe d'expertise collectif d'urgence, composé d'experts de plusieurs disciplines. Nous avons réuni, parmi les compétences scientifiques de nos comités d'experts spécialisés, celles qui étaient nécessaires pour traiter des aspects « biotechnologies » et « produits phytosanitaires ». Nous avons veillé avec soin à ce que les experts retenus n'aient aucun conflit d'intérêt. La liste de ces experts figure en annexe de notre avis et leurs déclarations publiques d'intérêt sont consultables sur notre site Internet.

Beaucoup a été dit depuis un mois maintenant sur l'étude du professeur Séralini. L'ANSES n'a pas souhaité réagir à chaud. Dans le délai bref qui lui était imparti, elle a souhaité apporter une réelle valeur ajoutée en analysant de manière aussi complète et objective que possible l'étude elle-même et en la resituant dans un contexte plus général, notamment au regard des autres études existantes. Tout en adoptant une approche scientifique la plus rigoureuse possible, nous avons veillé à conserver le recul nécessaire pour travailler dans la sérénité, et bien sûr prêter attention à tous les signaux d'alerte émanant d'une telle étude, au-delà de ses faiblesses. C'est le rôle d'une agence de sécurité sanitaire : il y va de notre crédibilité et de la confiance qui peut nous être faite. Cette confiance n'est jamais acquise, c'est chaque jour qu'elle se tisse sur ces sujets complexes et controversés.

Nous avons souhaité entendre les principaux protagonistes. Les auteurs de l'étude ont été auditionnés le 10 octobre 2012 et nous ont, à cette occasion, fourni certaines données brutes complémentaires. Nous avons également auditionné Mme Françoise Veillerette, présidente de l'association de défense de l'environnement Générations futures. Nous avons aussi sollicité la firme Monsanto, mais celle-ci n'a pas souhaité être entendue ; elle nous a toutefois adressé une contribution écrite. Le compte rendu de ces deux auditions ainsi que le texte de la contribution sont consultables sur notre site Internet.

Nous nous sommes bien sûr coordonnés avec le HCB, saisi sur le même sujet et avec lequel nous avions d'ailleurs un expert en commun. Nous n'en avons pas moins conduit chacun nos expertises en toute indépendance, dans le respect de la spécificité de nos missions respectives. Nous avons également été en liaison avec l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a, quant à elle, préféré travailler en deux temps : elle a publié très vite un premier avis et en remettra un second d'ici la fin du mois. Nous avons aussi beaucoup échangé avec nos homologues allemand et néerlandais.

Nos analyses convergent très largement sur les faiblesses de l'étude du professeur Gilles-Eric Séralini, notamment de ses conclusions. Au-delà de cette analyse critique, nous avons fait le point sur les autres études existantes et les conclusions qu'on peut en tirer.

Il n'existe aujourd'hui que deux autres études comparables de toxicité à long terme – sur deux ans. Allant au-delà des prescriptions réglementaires, ces études s'inscrivent plutôt dans une logique de recherche. L'étude que M. Séralini avait présentée comme « unique » ne l'est donc pas tout à fait, mais il est vrai qu'il y en a peu – contrairement à ce que l'on a parfois entendu. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons qualifié son étude « d'originale », d'autant qu'elle s'intéresse aux effets à long terme d'une consommation de plantes génétiquement modifiées (PGM), mais aussi à sa combinaison avec une exposition à des résidus de pesticides.

Son objet était d'étudier la toxicité à long terme, par le biais de l'alimentation, de l'herbicide Roundup et du maïs NK 603 tolérant au glyphosate, substance active du Roundup. Le protocole de l'étude prévoyait deux cents rats, répartis en vingt groupes de dix et nourris pendant deux ans, soit avec du maïs non OGM, soit avec du maïs OGM dans différentes proportions, associés à des doses plus ou moins élevées de Roundup. La dose la plus faible correspondait à un niveau qui peut se retrouver dans l'environnement, puisqu'il s'agit de la limite maximale de résidus tolérés dans l'eau, les deux autres étant beaucoup plus élevées.

Les auteurs de l'étude décrivent une mortalité et une incidence des tumeurs à la fois plus importante et plus précoce dans les groupes ayant consommé du maïs OGM que dans les groupes témoins. Ils en déduisent que la consommation de plantes génétiquement modifiées, associée ou non à une exposition à des résidus de pesticides, a des effets à long terme sur la santé. Leur objectif était très clairement de mettre en évidence les limites du cadre réglementaire actuel. Ils considèrent que la durée des études exigées par la réglementation pour attester de l'absence de risque des OGM est insuffisante. S'agissant des produits phytosanitaires, la réglementation européenne actuelle exige des essais à long terme seulement sur les substances actives – en l'occurrence, le glyphosate – mais non sur les produits effectivement commercialisés, qui peuvent se composer de plusieurs principes actifs et comportent de toute façon des coformulants.

Compte tenu des faiblesses statistiques de l'étude de M. Séralini, l'ANSES a conclu qu'elle n'établissait pas de lien de cause à effet entre la consommation de plantes génétiquement modifiées et l'apparition de tumeurs.

Il n'existe, je l'ai dit, que deux autres études comparables. Tout d'abord, celle de MM. Sakamoto et alii, conduite au Japon et visant à évaluer la sécurité à long terme d'un soja OGM largement consommé dans l'archipel. Les protocoles retenus dans cette étude, menée sur des groupes de 35 ou 50 rats, sont plus proches de ceux recommandés par l'OCDE, même si demeurent aussi des imprécisions pénalisantes pour l'analyse. Les auteurs n'ont pas relevé de différences liées à la consommation de ce soja et ne concluent pas à l'existence de risques.

L'autre étude est celle de MM. Malatesta et alii, dont l'objet était d'étudier les effets hépatiques d'une alimentation comportant 14 % de soja OGM. Les auteurs n'ont observé aucune différence significative sur la mortalité, les pathologies, l'état du foie ou le poids des animaux. Ils ont en revanche relevé une différence dans l'expression de certaines protéines hépatiques.

Les résultats des trois études disponibles sont donc peu comparables les uns avec les autres et chacune présente des points faibles.

Au-delà des critiques que l'on peut adresser à M. Séralini sur le plan méthodologique, la principale faiblesse de son étude est que ses conclusions sont insuffisamment étayées par les données présentées : autrement dit, ses résultats sont surinterprétés.

Notre groupe d'expertise collective d'urgence a refait certaines analyses statistiques en s'appuyant sur les données brutes fournies par les auteurs. Il a usé d'une méthode traditionnelle, qui a plutôt tendance à amplifier les effets. Après application des facteurs de correction habituels, aucun des écarts constatés ne se révèle significatif. La cohérence biologique des effets observés est par ailleurs faible, sans même parler de leur manque de reproductibilité et de l'insuffisance des données anatomopathologiques et biochimiques pour pouvoir aller plus loin dans l'interprétation. M. Séralini nous a d'ailleurs indiqué que d'autres publications suivraient, qui nous permettront peut-être de compléter nos analyses.

Un mot du choix de la souche de rats utilisée, qui a été beaucoup décrié : celle-ci est couramment utilisée pour l'expérimentation de nouveaux types d'aliments, car ces rats sont assez tolérants à des régimes déséquilibrés, comme ceux à base de maïs ou de soja. Le choix de cette souche n'est donc pas, en soi, critiquable. Mais comme il est fréquent que des rats de cette souche développent spontanément des tumeurs à partir d'un certain âge, il est inévitable qu'apparaissent des « faux positifs ». Pour pouvoir conclure à des écarts significatifs avec le groupe témoin, il faut impérativement un grand nombre de rats par groupe. Les auteurs de l'étude eux-mêmes ont d'ailleurs reconnu que la taille du groupe témoin, avec seulement dix rats par sexe, était insuffisante – mais, avec leur budget, ils ne pouvaient faire davantage, nous ont-ils dit. Il est admis qu'il faudrait des groupes d'environ quatre-vingts rats pour que les statistiques soient pertinentes.

L'ANSES a donc conclu que les résultats de l'étude de M. Séralini ne permettent pas de remettre en cause les évaluations réglementaires antérieures du maïs OGM NK 603 et du Roundup. Devant le faible nombre d'études sur les effets potentiels à long terme des plantes génétiquement modifiées associées à des préparations phytosanitaires, l'agence, soucieuse que d'éventuels effets chroniques de la consommation de telles plantes soient mieux pris en compte, avait formulé début 2011 des propositions visant à renforcer le cadre réglementaire européen. Sa première recommandation est aujourd'hui qu'un nouveau cadre soit adopté le plus rapidement possible et que celui-ci prenne pleinement en compte les propositions qu'elle avait faites.

Au-delà, l'agence demande que soient engagées de nouvelles études sur les effets à long terme de la consommation de plantes génétiquement modifiées associées à des pesticides. Il existe aujourd'hui peu de documentation scientifique sur le sujet. Il conviendrait que ces études soient conduites dans le cadre de protocoles précis et que leurs objectifs et leurs modalités aient été précisément définis. Pour qu'elles puissent être menées en toute indépendance, elles devraient être financées sur fonds publics. L'ANSES est disposée, en association avec l'agence européenne et le HCB, à travailler à établir les principes généraux de ces protocoles.

Notre deuxième recommandation est de renforcer les recherches sur les effets des expositions cumulées, ce qu'on appelle couramment les « effets cocktail ». L'ANSES s'est déjà investie dans le projet Périclès, soutenu par l'Agence nationale de la recherche. Mais il faut mobiliser davantage la communauté scientifique sur ce sujet. Les interactions potentielles entre plusieurs substances actives ainsi qu'entre ces substances et les coformulants auxquels elles sont associées dans les produits finaux ne sont pas assez étudiées. Cette problématique des mélanges et des effets combinés vaut d'ailleurs pour l'ensemble des produits chimiques.

Notre troisième recommandation, qui s'inscrit dans une perspective plus large que les seuls OGM, est que l'on puisse dédier des financements publics, nationaux ou européens, à des études d'envergure afin de consolider les connaissances sur les risques sanitaires, qui sont insuffisantes aujourd'hui. Comme vous le savez, l'ANSES, instance d'expertise, n'effectue pas de recherches : elle travaille à partir de l'ensemble des travaux existants. Nous nous appuyons sur les études réglementaires financées par les industriels – c'est un bon principe que ceux qui souhaitent commercialiser un produit aient la responsabilité d'apporter la preuve que ce produit ne présente pas de risques pour les usages envisagés et il n'est pas question de le remettre en cause. Dans une perspective contradictoire, nous nous appuyons également sur toutes les données scientifiques disponibles par ailleurs, notamment les travaux de recherche publics, nationaux, européens et internationaux, dont l'objectif premier n'est pas nécessairement l'étude des effets sur la santé. Ce manque de connaissances scientifiques n'est pas propre au champ des OGM. Il explique d'ailleurs la forte demande sociétale d'une recherche publique indépendante. L'expertise gagnerait en crédibilité si, dans des cas très spécifiques où on ne dispose que de peu de données permettant une approche contradictoire, il était possible de mobiliser des moyens dédiés : c'est, par exemple, ce que permet aux Etats-Unis le National Toxicology Program, qui est un programme inter-agences.

L'indépendance de notre expertise est la clé de notre crédibilité. Elle suppose de veiller à prévenir tout risque de conflit d'intérêts parmi nos experts. Elle suppose également de privilégier une approche collective et contradictoire dans nos travaux. Elle suppose enfin de s'appuyer sur des sources de données et d'information les plus diverses possibles.

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