Intervention de Jean-Jacques Leguay

Réunion du 7 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires sociales

Jean-Jacques Leguay, vice-président du comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies :

Outre nos propres experts, nous avons fait appel à quatre experts externes, ne travaillant pas dans le domaine des OGM ni même celui des biotechnologies : trois toxicologues, spécialistes de toxicologie cellulaire ou sur modèle animal, et un statisticien. Nous en avons récusé deux qui s'étaient déjà exprimés dans la presse sur l'étude de M. Séralini. Tous ont signé une déclaration publique d'intérêts, certifiant qu'ils n'avaient pas de conflit d'intérêts dans le dossier examiné. Nous avons auditionné M. Séralini avant d'élaborer notre avis définitif, qui est consultable en intégralité sur notre site.

Pourquoi cette étude ne permet-elle pas de conclure comme le prétendent ses auteurs ? J'en rappelle brièvement le protocole expérimental. Deux cents rats, cent mâles et cent femelles, répartis en vingt groupes de dix, ont été soumis à trois régimes alimentaires comportant respectivement 11 %, 22 % ou 33 % de maïs OGM, traité ou non, et ont bu une eau présentant trois concentrations différentes de Roundup. Le régime alimentaire de l'unique groupe témoin était, lui, de 33% de maïs conventionnel.

Les conclusions du HCB sont exactement les mêmes que celles de l'ANSES. Nous pointons les mêmes faiblesses.

Tout d'abord, il manque des lots témoins qui auraient reçu une alimentation composée de 11 % et 22 % de maïs conventionnel. Il manque aussi un lot témoin qui aurait reçu une nourriture classique de rat de laboratoire.

Nous n'avons pas de critiques à faire sur la souche de rats utilisée. C'est une souche classique, néanmoins connue pour développer dans 50 % à 70 % des cas des tumeurs bénignes au fil du temps, en particulier au-delà de l'âge d'un an. Il est dès lors évident qu'avec cette souche, dix rats par lot, ce n'était pas suffisant. On le sait depuis plus de vingt ans. Le protocole expérimental aurait dû en tenir compte. Il aurait fallu environ quatre-vingts rats par lot pour que la conclusion pût être sans ambiguïté.

Les courbes de survie laissent apparaître des différences avec le groupe témoin, moindres chez les femelles. Cela peut être le résultat du hasard. Le tirage au sort a pu aboutir à la constitution d'un groupe témoin de femelles particulièrement robustes.

Tout au long des deux années de l'étude, les auteurs ont collecté 864 résultats concernant divers paramètres mais, sur l'ensemble de ces résultats, ils n'en ont utilisé qu'un seul, celui qui pour eux était le plus significatif. Ils ont donc inévitablement introduit un biais, conscient ou inconscient. Ce biais empêche d'expliquer les différences observées par des différences de régime ou de rejeter l'hypothèse d'une simple fluctuation d'échantillonnage – à savoir que l'on aurait pu, par hasard, constituer des groupes de dix rats présentant telle ou telle propriété particulière.

On entend dire que la société Monsanto aurait, elle aussi, réalisé ses études sur des groupes de dix rats. C'est faux : elle en a utilisé vingt. Il est vrai que son étude n'a duré que trois mois contre vingt-quatre pour celle de M. Séralini. On ne peut, de toutes façons, pas comparer ces deux études, car leurs objectifs n'étaient pas les mêmes.

On reproche au HCB de ne pas critiquer suffisamment les pétitionnaires. Dans tous ses avis, pourtant, il souligne l'insuffisance de la puissance statistique de leurs études. Le nombre d'animaux utilisés est toujours trop faible.

Aussi bien dans l'étude de Monsanto que dans celle de M. Séralini, le raisonnement pèche. Au lieu de se contenter de dire qu'au terme de ses études statistiques, elle n'observe pas de différence entre le groupe témoin et les groupes traités, la firme en déduit que son maïs ne présente pas de risque. De l'autre côté, M. Séralini, sans avoir établi aucune statistique sur la mortalité ou sur le développement de tumeurs, conclut quant à lui à une toxicité de ce maïs. Dans les deux cas, il y a un défaut de raisonnement.

Il faudrait donc refaire l'étude en choisissant les questions pertinentes, en mettant au point un protocole rigoureux, solide sur le plan statistique, et en ayant recours à toutes les compétences scientifiques disponibles. S'il est facile de tester la toxicité d'une molécule unique, il est beaucoup plus difficile de tester un aliment composé de milliers de molécules. Dix rats suffisent pour démontrer, par exemple, que l'arsenic est toxique. Une tout autre technologie est nécessaire s'il s'agit d'un aliment composé. C'est d'ailleurs si difficile que l'Union européenne finance actuellement deux projets dans le cadre du 7e programme-cadre de recherche et développement (PCRD) : l'un, qui a démarré en juin 2012, vise, dans le cas de toxiques classiques, à trouver des technologies in vitro alternatives aux essais pratiqués aujourd'hui sur le rat, la souris ou le cobaye ; l'autre, qui démarrera début 2013, vise à organiser le suivi à long terme des animaux d'élevage — ce sont eux qui, aujourd'hui, consomment l'essentiel des plantes génétiquement modifiées présentes sur le marché – afin de repérer l'apparition éventuelle de signes avant-coureurs d'une toxicité possible.

Nous avons, comme tout le monde, été bouleversés par les photos accompagnant l'étude de M. Séralini. Il faudrait que cette expérience soit refaite afin que les résultats puissent en être confirmés ou infirmés.

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