Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 7 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires sociales

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ANSES :

Je vous remercie de vos nombreuses questions, auxquelles je répondrai de manière synthétique, sans m'adresser à chacun d'entre vous individuellement.

On attend des scientifiques des réponses sans ambiguïté sur les risques sanitaires. Le rôle d'une agence comme l'ANSES n'est ni de rassurer, ni d'inquiéter, mais seulement d'informer le plus objectivement possible. C'est pourquoi nous disons ce qui est certain, mais aussi ce qui est incertain. Un sujet sur lequel existent beaucoup d'incertitudes et qui demande à être encore documenté est, par exemple, celui des perturbateurs endocriniens. Le National Toxicology Program américain a mobilisé trente millions de dollars pour une étude visant à mieux apprécier les effets potentiels du bisphénol A. L'impact sanitaire des nanomatériaux demanderait, lui aussi, à être mieux étudié. Voilà des sujets sur lesquels il serait intéressant de pouvoir mobiliser des financements publics.

Je ne suis pas en mesure d'évaluer le budget qui serait nécessaire. À titre indicatif, le National Toxicology Program mobilise environ 120 millions de dollars. La France n'aurait pas nécessairement à engager de nouveaux crédits. Mais il faudrait revoir les mécanismes actuels de financement de la recherche, européens en particulier, qui ne sont pas adaptés pour qu'une agence comme la nôtre puisse, à une échelle de temps compatible avec les enjeux, solliciter les moyens requis pour les études très ciblées qui seraient nécessaires. On doit pouvoir, avec les crédits existants aux niveaux national et européen, trouver le moyen de financer, éventuellement en inter-agences, les travaux d'envergure nécessaires.

Combien coûterait une nouvelle étude ? Il faut certes bien définir ce que l'on souhaite avant de pouvoir en évaluer le coût, mais on peut estimer un ordre de grandeur. Il serait intéressant, ce que n'a pas permis l'étude de M. Séralini, que des études subchroniques sur 90 jours puissent être utilisées comme « sentinelles » d'effets potentiels qui se révéleraient pleinement au-delà. Il faut se souvenir aussi que la réglementation contraint à ne procéder à des expérimentations animales que lorsqu'il n'existe pas d'alternative. Partout où c'est possible, il faut développer des méthodes alternatives.

Sur quels OGM les études futures devraient-elles porter : le maïs NK 603 ou d'autres ? Pourquoi pas sur les sojas OGM, encore beaucoup plus nombreux que les maïs ?

Nous n'avions pas attendu la publication de l'étude de M. Séralini pour nous poser la question des études à long terme. Nous nous étions déjà demandé où placer le curseur. Les futurs OGM seront de plus en plus sophistiqués. Le maïs NK 603 comporte une seule modification du génome, qui le rend résistant au glyphosate. Mais les nouveaux OGM peuvent en comporter jusqu'à cinq ou six, aboutissant à l'expression d'autant de protéines différentes, avec le problème d'interactions potentielles que cela soulève.

Sera-t-il possible un jour d'établir sans ambiguïté que les OGM ne présentent pas de risque ? En tant que scientifiques, nous sommes condamnés à l'interrogation permanente et au doute perpétuel. Les évaluations actuelles portent sur l'équivalence de la plante génétiquement modifiée par rapport à la plante conventionnelle. Les évolutions dans leur mise au point seront peut-être telles que cette logique de l'équivalence ne sera plus pertinente à l'avenir. C'est pourquoi, conformément à notre rôle de veille, nous appelons à une documentation scientifique indépendante plus abondante. Nous ne balayons jamais d'un revers de main les travaux qui ont pu être faits, même si nous y relevons des faiblesses.

Si l'on devait refaire une étude comme celle du professeur Séralini avec un nombre suffisant de rats, le coût en serait multiplié par huit. Cela donne un ordre de grandeur, mais probablement ne serait-ce pas tout à fait la même étude que l'on ferait. Il faudrait sans doute mieux en préciser les objectifs. Autant les scientifiques doivent travailler à l'abri de toute influence, autant il est positif d'échanger en amont sur le type d'étude qu'on souhaite réaliser et les objectifs que l'on s'assigne.

L'indépendance de l'expertise est essentielle à sa crédibilité et c'est une préoccupation constante à l'ANSES. Nous avons donc mis en place un dispositif à double échelon, afin de prévenir les conflits d'intérêt. Tout d'abord, au niveau de la sélection des experts dans nos collectifs d'expertise : chacun d'entre eux doit remplir une déclaration publique d'intérêts détaillée, qui est rigoureusement examinée. Ils doivent, de façon générale, ne présenter aucun lien d'intérêt susceptible de les disqualifier – il faut néanmoins distinguer entre « lien d'intérêt » et « conflit d'intérêt ». Mais on ne peut se contenter de ce qu'ils déclarent eux-mêmes et il est de la responsabilité de l'agence de rechercher elle-même d'éventuels conflits d'intérêt. En amont de chaque réunion et pour chacun des points de l'ordre du jour, nous vérifions donc qu'il n'y en a pas. Nous demandons systématiquement aux experts pouvant présenter un conflit d'intérêt sur un point de l'ordre du jour de quitter la salle le temps de son examen. Cette règle n'est pas simple à appliquer, car les experts le ressentent comme une remise en cause de leur intégrité personnelle. Plus elle sera appliquée de manière systématique, moins elle leur paraîtra les viser personnellement. Nous avons ainsi refusé que des experts faisant partie de l'Institut Danone participent à notre collectif d'experts « Nutrition », appelé à valider une étude portant sur les facteurs de croissance rajoutés dans le lait et dont nous voulions savoir s'ils étaient susceptibles de favoriser le développement de cancers.

Comment une étude comme celle du professeur Séralini, qui a passé le barrage du comité de lecture d'une prestigieuse revue internationale, peut-elle faire l'objet d'autant de critiques ? Pour nous, ce n'est pas l'étude en elle-même qui pose problème, mais l'interprétation qui est faite de ses résultats et conduisant à affirmer que la consommation d'OGM associés à des pesticides présente un risque pour la santé.

Le rôle d'une agence comme l'ANSES n'est pas d'entrer dans la polémique. Nous respectons toujours le travail accompli. Nous faisons preuve à la fois de prudence et d'ouverture. Lors de la création de l'agence, le choix a été fait d'une gouvernance ouverte aux différentes parties prenantes en amont et en aval de l'expertise. En amont, ont été mis en place des comités d'orientation thématiques qui, dans chacun de nos domaines de compétence, rassemblent plus de deux cents parties prenantes actives. L'un des plus grands risques pour une agence sanitaire serait une routine qui conduirait à une moindre vigilance. Nous devons rester à l'écoute de tous les acteurs et notre extrême ouverture, très stimulante, nous y aide. Même si la façon dont certaines alertes sont parfois lancées peut horripiler les scientifiques, toutes doivent retenir notre attention.

L'ANSES a été auditionnée dans le cadre de l'examen de la proposition de loi sénatoriale visant à créer une Haute Autorité de l'expertise scientifique et de l'alerte en matière d'environnement et de santé. La méthodologie et la déontologie de l'expertise sont au coeur de nos préoccupations. J'en suis le garant. Nous avons notre propre comité de déontologie qui vise à garantir les bonnes pratiques. Attention toutefois à éviter la confusion et à ne pas voir dans ce comité une instance de substitution, car nous n'avons pas vocation à reconstituer une expertise scientifique propre au sein de l'agence.

La transparence exige qu'il soit possible d'accéder aux données brutes de toutes les études, dans le respect de la loi et de la réglementation. Nous avons dit à M. Gilles-Eric Séralini que nous acceptions de mettre à sa disposition les données des études des industriels en notre possession. Certaines d'entre elles se trouvent aujourd'hui chez nos homologues allemands – c'est le Bundesinstitut für Risikoberwertung qui procède à la réévaluation du glyphosate – et d'autres sont couvertes par une clause de confidentialité – c'est le cas, par exemple, de la liste des noms des personnes qui procèdent aux expérimentations animales.

Nous sommes tout à fait favorables à ce que le Parlement puisse saisir l'ANSES, selon des modalités qui restent à définir. L'agence peut d'ores et déjà être saisie non seulement par les ministères, mais aussi par les parties prenantes représentées à son conseil d'administration.

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