Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 1er juillet 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique :

La réforme territoriale a été divisée en deux parties, à la fois par choix et par nécessité institutionnelle. Je suis chargée de celle qui a trait aux compétences tandis que Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, s'est vu confier celle relative à la délimitation des régions et aux modes de scrutin, dont l'étude d'impact vient d'être validée par le Conseil constitutionnel. Nous pensons que la décision du Conseil d'État devrait être également favorable.

Nous avons pris l'engagement de faire cheminer de concert les deux textes en sorte que la deuxième lecture du projet relatif à la délimitation des régions et aux modes de scrutin ait lieu à la suite de la première lecture du projet relatif aux compétences. Le report des élections départementales et régionales est en effet lié au transfert de compétences des départements, et non à une révision de leur carte puisque celle-ci reste inchangée.

La réforme que nous préparons fait suite aux grandes lois de décentralisation de 1982 et 1983, revues à la fin des années 1990 avec la relance de l'intercommunalité, puis en 2004 et 2010. Nous souhaitons renforcer les régions au moyen de deux schémas régionaux, l'un portant sur le développement économique, l'autre sur l'aménagement du territoire et des infrastructures, tout en visant une rationalisation et une intégration de l'intercommunalité. Nous avons fait le choix d'un fonctionnement fondé sur le couple région-intercommunalité, mais aussi sur le dialogue entre l'État et le bloc communal.

Du fait de l'absence d'une majorité au Parlement pour adopter la révision constitutionnelle que nécessiterait une suppression des départements, la question se trouve repoussée à l'horizon 2020. Pour le moment, seule une évolution peut être envisagée, associée à une réorganisation de la proximité qui dépendra des départements concernés : le Président de la République a lui-même souligné la nécessité d'une instance de proximité dans les départements ruraux. Pourrait-il s'agir d'une conférence des présidents d'intercommunalité ? Cela poserait un problème de constitutionnalité car ces dernières ne tiennent pas leur mandat du suffrage universel direct – ce qui a conduit à faire élire les conseillers communautaires au suffrage universel direct à partir de 2014, pour donner à leur président un statut similaire à celui des autres chefs d'exécutifs locaux.

Pour ce qui est des différentes dispositions du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, je vais évoquer celles qui concernent votre commission, à commencer par le plan régional de prévention et de gestion des déchets créés à l'article 5. À ce jour, trois plans coexistent en la matière : le plan régional ou interrégional de prévention et de gestion des déchets dangereux, le plan départemental ou interdépartemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux, et le plan départemental ou interdépartemental de prévention et de gestion des déchets issus du bâtiment – souvent qualifiés d'inertes, ce qui ne correspond pas tout à fait à la réalité car certains ont un impact sur l'environnement. Cela dit, un seul schéma interdépartemental a été rédigé à ce jour, ce qui montre que la coopération entre les départements laisse à désirer.

L'article 5 crée un plan unique, élaboré à l'échelle régionale et constituant le volet « déchets » du nouveau schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) créé à l'article 6. Nous nous sommes inspirés, pour proposer cette rationalisation, de travaux parlementaires de qualité – je pense notamment à un rapport des sénateurs Jean Germain et Pierre Jarlier. La question des déchets est d'une énorme importance, et je profite de l'occasion pour souligner que l'augmentation du nombre d'emplois dans les intercommunalités – dont il leur est parfois fait grief, y compris par la Cour des comptes – est souvent liée à la gestion des déchets, qui est bien plus satisfaisante qu'auparavant.

On a reproché à la loi Voynet de 1999 son manque d'efficacité réelle. Plutôt que de laisser une organisation par choix, nous avons donc conçu le SRADDT de l'article 6 comme opposable aux collectivités, en le dotant d'effets prescriptifs à l'égard des documents d'urbanisme des communes ou de leurs groupements. Comme, en vertu du principe constitutionnel d'autonomie des collectivités locales, il n'y a pas de tutelle d'une collectivité sur une autre, un aménagement d'ordre institutionnel est nécessaire : pour être opposable, il faut qu'un schéma soit approuvé par le préfet afin de garantir la légalité de ses prescriptions.

Il nous semble important que les orientations stratégiques du territoire prennent en compte la question essentielle de la mobilité ainsi que celle de la lutte contre le réchauffement climatique. Le SRADDT doit se substituer à tous les autres schémas existants – schéma de l'intermodalité, schéma climat-air-énergie, schéma de la gestion des déchets et parfois même schémas « auto-créés », tels ceux des trames vertes et bleue. En l'absence d'opposabilité, la gestion de ces schémas prend un « temps agent » infini pour une efficacité finalement très limitée. Nous avons voulu que l'élaboration du SRADDT procède d'une vraie concertation. La définition de règles en la matière est délicate ; elle nous conduira à évoquer le transfert, des départements aux régions, de la compétence en matière d'espaces naturels sensibles actuellement financée par une taxe d'aménagement. Si certains ont regretté que la loi sur la biodiversité n'apporte pas de réponse sur ce point, je considère qu'elle avait vocation à définir des principes dont le texte portant nouvelle organisation territoriale de la République constitue une « mise en musique ». Les deux projets sont, de ce point de vue, complémentaires.

Les régions auront la possibilité d'adapter la loi aux réalités locales, ce qui répond à une revendication ancienne. C'est un sujet que j'aborderai vendredi prochain avec la collectivité territoriale de Corse, dont les 42 demandes en ce sens ont donné lieu à autant de décisions de rejet, justement du fait qu'il n'était pas prévu jusqu'à présent que les règlements d'application permettent une adaptation de la loi. À partir du moment où un tel principe sera reconnu, chaque loi devra définir ce qui est adaptable et ce qui ne l'est pas. Le récent rapport d'information intitulé : « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi Littoral : un retour aux origines », qu'ont déposé au nom de la commission du développement durable du Sénat Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet, décrit une anomalie du dispositif actuel : dès lors qu'une commune est considérée comme littorale, la loi du 3 janvier 1986 s'applique sur l'ensemble de son territoire d'où, pour l'ensemble des communes de France situées en bord de mer – à l'exception de celles de Méditerranée où la densité est telle que la question ne se pose plus –, des entraves aux projets d'aménagement et des situations aberrantes. Par exemple, la commune de Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix, est située à l'extrémité d'une ria, c'est-à-dire d'une vallée fluviale envahie par la mer, ce qui fait que la loi Littoral s'applique à tout son territoire, y compris là où la faible qualité des terres agricoles permettrait la construction d'établissements industriels.

Autre effet pervers de la loi Littoral, également observé avec la loi Montagne : comme elle interdit de construire dans la bande dite des cent mètres, on construit en retrait en empiétant sur les meilleures terres agricoles, alors que l'agglomération pourrait se densifier du côté de la mer, là où l'assainissement et la gestion des déchets sont déjà organisés. Il convient donc d'autoriser la construction là où elle est possible, en y posant des conditions – ainsi elle ne doit se faire que dans un secteur viabilisé ; à l'inverse, aménager un hinterland portuaire pour y implanter de grands établissements de stockage n'aurait pas de sens, car les surfaces portuaires doivent être réservées à un usage industriel.

Il y a là un vrai problème auquel il conviendra de trouver des solutions. Je suis, pour ma part, favorable à la densification des bourgs et des villes afin de préserver les espaces agricoles, car fermement convaincue que l'indépendance alimentaire constituera un enjeu essentiel dans les années 2030 à 2050. Nous sommes déjà passés de 0,5 hectare de surface agricole utilisée par habitant de la planète en 1950 à 0,8 hectare actuellement, et l'évolution n'en est qu'à son début car, fort heureusement, les peuples des pays émergents consommeront bientôt les protéines végétales qu'ils auront produites. Mais le modèle agricole français repose en grande partie, comme celui de nombre de ses voisins européens, sur la transformation en protéines animales de protéines végétales importées : il en résultera des tensions sur le marché des céréales. Si nous voulons continuer à exporter 60 % de nos produits agricoles, nous devons repenser notre modèle en protégeant fortement les terres arables – et cela le plus tôt possible, car nous avons encore perdu l'équivalent d'un département au cours des dernières années.

La densification des villes répond, à mon sens, à ce problème de l'indépendance alimentaire. Elle constitue également un facteur de protection des espaces naturels sensibles, des espaces naturels remarquables (NDs), des périmètres de captage, des sites Natura 2000 et des parcs.

La demande de la région Bretagne d'expérimenter une délégation de l'animation de la gouvernance de l'eau fait l'objet d'un examen par les services du ministère de l'écologie. Nous ne sommes pas persuadés que cette expérimentation soit faisable ; cela donnera certainement lieu à débat.

Nous aurons également à définir les modalités d'application du SRADDT sur l'ensemble du territoire – quel type de documents, quels fascicules spécifiques ? – et comment on peut rendre compatibles le schéma régional, les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) : même si tout cela a vocation à être précisé par voie réglementaire, la loi doit poser quelques principes.

Les articles 8 et 9 sont relatifs aux transports et à la voirie. La voirie départementale ainsi que les transports publics départementaux et scolaires seront confiés à la région, de manière à parvenir à une unité de gestion pour l'ensemble de la chaîne de transport. La multiplicité des autorités organisatrices de transport (AOT) engendre, en effet, des aberrations : les villes de Brest et de Quimper sont reliées à la fois par des lignes ferroviaire et d'autocars pour lesquelles la région et le département, qui en sont respectivement responsables, ont mis au point des tarifs étudiants. Il en est de même entre Chalon-sur-Saône et Dijon. Il faut donc une réorganisation qui ne sera pas sans rappeler, toutes proportions gardées, la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI) de 1982. Certains marchés seront concédés mais nous espérons que la qualité des services pourra être maintenue et les coûts maîtrisés. Nous disposons pour cela d'un outil : la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) instituée au niveau régional par la loi de janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Elle sera le lieu où discuter d'une éventuelle délégation ou subdélégation de compétences, mais aussi des transferts de contrats de concession ou des nouveaux marchés à passer.

Sur ce sujet des transports, nous pouvons nous appuyer sur le rapport annuel de la Cour des comptes qui a souligné le déficit de réflexion stratégique dans la politique routière de la majorité des départements – ce qui n'est guère étonnant, chacun ayant tendance à raisonner en fonction de son territoire et de ses responsabilités : c'est ainsi que la nouvelle route partant de Morlaix et devant rejoindre Lannion s'est arrêtée à Lanmeur ! Je citerai également le rapport présenté en 2008 par les députés Didier Quentin et Jean-Jacques Urvoas au nom de la commission des lois ainsi que celui, moins connu, rédigé en 2009 par les sénateurs Yves Krattinger et Jacqueline Gourault.

Aux termes de l'article 10, les aérodromes pourront être transférés à des collectivités territoriales – régions et métropoles – intéressées à leur développement, lorsqu'ils constituent des outils de gestion locale en raison, par exemple, de la présence d'un atelier de maintenance, comme c'est le cas à Dinard ou à Tarbes – ce dernier aérodrome servant d'ailleurs aussi au transport de passagers. Le même principe s'appliquera aux ports, au moyen d'appels à candidatures, ce qui suscite d'ores et déjà quelques inquiétudes de la part de syndicats mixtes de gestion des ports de pêche. À cet égard, le débat parlementaire sera certainement utile pour approfondir la réflexion.

À la demande du Gouvernement, la sénatrice Odette Herviaux vient de rendre un rapport proposant de rationaliser l'exercice de la compétence portuaire, aujourd'hui dispersée entre la région, le département et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elle serait transférée en fonction des cas, aux EPCI ou à la région. Cette question d'importance couvre également celle de la gestion des magasins à marée et du transport du poisson, qui peut nécessiter de gros équipements en hinterland.

L'objectif de l'article 16 est de rationaliser l'organisation des syndicats intercommunaux ou mixtes, dont bon nombre exercent des prérogatives en rapport avec l'environnement. Au début 2014, on en comptait 13 408, dont 7 200 investis de compétences en matière d'eau potable, d'assainissement, de gestion des déchets, d'énergie et de transport. Certains constituent un frein à l'intercommunalité, dans le sens où leur périmètre est égal ou inférieur à celle-ci, tandis que d'autres sont départementaux. La loi ne fera que lancer l'idée de la rationalisation sans procéder à sa mise en oeuvre, qui nécessitera d'examiner les situations au cas par cas pour déterminer les modalités du transfert et de la gestion déléguée – concession, affermage, société publique locale (SPL) ou autre formule.

Les articles 25 et 26 visent à améliorer l'accessibilité des services. Le premier institue à cet effet un schéma de l'amélioration de l'accessibilité des services au public, élaboré à l'échelle du département par le préfet et par les présidents d'intercommunalité, dans la mesure où cette action publique leur incombe déjà conjointement. Pour ce qui est de l'accessibilité aux services publics envisagée d'une manière plus générale, elle a vocation à être assurée par les maisons de services au public, auxquelles l'article 26 est consacré. Il existe également des schémas de services au public prévoyant la possibilité pour l'État, pour les collectivités territoriales, pour les entreprises publiques – la SNCF par exemple – ou pour d'autres partenaires de se concerter pour mettre des points d'accès à disposition du public. Les syndicats se posent beaucoup de questions à ce sujet, ayant mal vécu certains épisodes comme la mise en place relais postaux dans les petits commerces.

Tels sont, Monsieur le président, les points que je voulais évoquer devant vous et qui me paraissent relever plus particulièrement de la compétence de cette commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion