Intervention de Michel Houdebine

Réunion du 26 juin 2014 à 9h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques à la Direction générale du Trésor :

Nous présenterons le dispositif du CICE et son articulation avec les dispositifs existants et avec ceux qui sont actuellement en discussion devant l'Assemblée nationale (projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale pour 2014), ainsi que quelques éléments d'évaluation, sous un angle macroéconomique. Il s'agit toutefois d'une évaluation ex ante, puisque nous disposons pour l'heure de très peu de données de terrain. L'essentiel des résultats que je présenterai ont été produits à l'automne 2012, et quelques-uns entre l'automne 2012 et l'automne 2013, à partir de données des années précédentes.

Vous connaissez le dispositif, ainsi que le contexte dans lequel il a été décidé, à la suite du rapport remis par Louis Gallois au Premier ministre (Pacte pour la compétitivité de l'industrie française). Le principal motif du choix d'un crédit d'impôt a été d'éviter une imputation sur les cotisations sociales employeurs hors régime général, qui n'étaient pas suffisantes pour permettre la baisse de six points des charges qui était envisagée. Le CICE participe à l'allègement du coût du travail, en lien avec les allègements de charges sociales prévus par le Pacte de responsabilité : les 6 % d'allègement du CICE s'ajoutent aux allègements généraux dégressifs sur les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC, renforcés par le Pacte, et à l'allègement des cotisations sur les salaires compris entre 1 et 3,5 SMIC, également prévu par le Pacte. Si l'on cumule leurs effets, l'allègement du coût du travail au niveau du SMIC est légèrement supérieur à 35 %. Je rappellerai la distribution des revenus sous-jacente à ces dispositifs : environ 80 % des salaires sont versés en dessous de 2,5 SMIC.

Le CICE prolonge une politique initiée il y a 20 ans avec les allègements « Balladur », et poursuivie avec les allègements « Juppé » et les allégements « Aubry ». L'objectif de cette politique est de faire baisser le coût du travail au niveau du SMIC. Mais le CICE innove en prévoyant des allègements de charges jusqu'à des niveaux de rémunération relativement élevés.

Observons le niveau du coin fiscalo-social en France et en Allemagne en 2013 – soit avant le Pacte de responsabilité. Je rappellerai que le coin fiscalo-social désigne la différence entre le coût du travail pour l'entreprise et la rémunération effective du salarié après déduction des cotisations employeurs, des cotisations salariés, de l'impôt sur le revenu, de la CSG, etc. En l'absence de rigidité sur les salaires, les niveaux de coin fiscalo-social entre la France et l'Allemagne sont légitimement comparables car le niveau de rémunération peut s'ajuster en fonction de la négociation entre le salarié et l'employeur, et des éléments de fiscalité. En bas de barème, la situation est très différente en France et en Allemagne : la France a un coin fiscalo-social nettement plus progressif, ce qui est dû à l'existence du SMIC en France. Au milieu de la distribution des salaires, les niveaux des coins sont relativement proches ; le CICE a contribué à rapprocher le niveau du coin français de celui de l'Allemagne, voire à le rendre inférieur à celui-ci. Sur la fin de la distribution, les niveaux de coins divergent, avec un coin français supérieur au coin allemand. Toutefois, il y a très peu de salariés à ce niveau de rémunération, et le niveau de prestations ouvert à ce niveau de rémunérations est plus important en France qu'en Allemagne, notamment en matière d'assurance maladie (à partir de 4 000 euros, en Allemagne, il est possible d'opter pour un service privé, qui est a priori plus favorable à ces salariés, alors qu'en France il y a solidarité entre les niveaux de rémunération élevés et les niveaux de rémunération faibles), et en matière de retraites.

La montée en charge des décaissements du CICE devrait être progressive. Les créances sont générées par l'entreprise chaque année au titre de ses salaires de l'année précédente : à partir de 2013, les entreprises créent de la créance, puis celle-ci fait l'objet d'un décaissement progressif par l'État. Par ailleurs, le taux du crédit d'impôt passe de 4 % en 2013 à 5 % en 2014. Les décaissements atteindraient ainsi près de 9 milliards d'euros en 2014, environ 16 milliards d'euros en 2015, près de 18 milliards d'euros en 2016 et un peu plus de 20 milliards d'euros en 2017. Ces données reposent sur des estimations datant de l'automne 2012, sur la base des déclarations annuelles de données sociales de 2011.

L'effet attendu d'une baisse du coût du travail réalisée par une réduction des cotisations est une hausse de la demande de travail de la part des entreprises. Cette hausse de la demande résulte de trois mécanismes :

– La baisse du coût du travail rend l'embauche comparativement plus intéressante pour l'entreprise, par substitution de travail au capital. Cependant, les effets de cette baisse diffèrent selon le niveau de qualification des salariés. Pour le travail très qualifié en particulier – par exemple dans le secteur de la recherche et développement –, on a tendance à dire que cette substitution est très faible, voire s'inverse : il y a complémentarité entre le travail et le capital. L'exemple type est celui du crédit impôt recherche, qui comprend à la fois une baisse du coût du travail et une baisse du coût de l'investissement.

– De plus, on constate un effet de volume : les coûts de production baissant, l'entreprise peut diminuer ses prix, ce qui augmente la demande des ménages et des entreprises, et par conséquent l'activité et l'emploi.

– Enfin, la baisse du coût du travail entraîne la rentabilisation d'activités auparavant non rentables, ce qui augmente également l'activité des entreprises et l'emploi.

L'allègement du coût du travail est supposé produire un effet plus important sur l'emploi lorsqu'il est réalisé au niveau du SMIC. Cette différence d'impact s'explique par l'effet du salaire minimum sur l'équilibre du marché du travail. L'équilibre du marché du travail se réalise de la façon suivante : du côté de la demande de travail, à un niveau de salaire donné, l'entreprise choisit un niveau d'embauches ; plus le salaire est élevé, moins l'entreprise tendra à embaucher. Du côté de l'offre de travail, les salariés sont d'autant plus disposés à travailler que la rémunération du travail est élevée. L'équilibre du marché du travail se situe à l'intersection de la courbe retraçant la demande de travail et de celle retraçant l'offre de travail. Cet équilibre décrit à la fois le niveau d'emploi qui en résulte, et le niveau de salaire correspondant.

En l'absence de salaire minimum, l'effet du CICE est de diminuer le coût du travail, ce qui augmente la demande de travail de la part des entreprises, entraînant la fois une hausse de l'emploi et une hausse des salaires. En revanche, si l'allègement intervient au niveau du SMIC, c'est un autre équilibre qui se réalise : au lieu d'une augmentation du salaire, on observe une stabilité du salaire, au niveau du SMIC, et un effet plus important sur l'emploi. L'effet des allègements sur l'emploi est donc plus important au niveau du SMIC.

Ces raisonnements sont confirmés par la littérature empirique : on observe bien un effet plus important des allégements du coût du travail aux environs du SMIC qu'à des niveaux de rémunération plus élevés. Cela tient aux variations de l'élasticité de l'emploi selon son coût : entre 1 et 1,5 SMIC, l'élasticité se situe à 0,90. Chaque fois que le coût du travail baisse de 1 % dans cette tranche de rémunération, l'emploi augmente de 0,9 %. Autour de 2 SMIC, l'effet sur l'emploi est plus faible, de seulement 0,2 %. Ces résultats sont partagés, en France, par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Observatoire français des conjonctures économiques et la Direction générale du Trésor.

En termes de conséquences sur l'activité, le coût du travail calculé par l'INSEE augmente depuis 2008 jusqu'au premier trimestre de 2013 ; si l'on n'avait pas instauré le CICE, on aurait observé une poursuite de l'augmentation continue du coût du travail. Pendant sa phase de montée en charge, le CICE a ainsi permis de maintenir le coût du travail à un niveau stable.

Le CICE participe à la restauration des marges des entreprises. On a observé en effet que la baisse d'activité économique avait entraîné une moindre réaction du marché du travail que celle observée précédemment. Il s'en est suivi une dégradation des marges des entreprises. Le CICE fait baisser la part des rémunérations du travail dans la valeur ajoutée. Le Pacte de responsabilité et de solidarité ajoutera ses effets au CICE.

Les modélisations macroéconomiques permettent de synthétiser ces différents paramètres. La baisse du coût du travail a plusieurs effets : une baisse des prix avec un effet sur la demande internationale, une augmentation de la demande en France et une augmentation de l'emploi ; une hausse des marges des entreprises entraînant l'augmentation des investissements, celle de la demande, et l'amélioration de la qualité des produits ; enfin, une hausse de l'emploi.

L'évaluation transmise au Parlement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012, à l'automne 2012, prévoyait l'augmentation de l'activité, des exportations, des importations et de l'emploi. La prévision était celle d'une création d'environ 400 000 emplois en moyenne annuelle. Ces éléments sont à peu près corroborés par la note de conjoncture de l'INSEE de mars 2013 qui fait état de la création de 300 000 à 400 000 emplois. On ne peut échapper à une certaine marge d'incertitude mais l'ordre de grandeur de l'effet du CICE en matière d'emploi est partagé par les observateurs.

À la suite du rapport Gallois, il est intéressant de mesurer la compétitivité de la France, prix comme hors prix. La mesure de la sensibilité des exportations aux prix met en évidence que la France occupe une position médiane entre les pays champions, la Suisse, l'Allemagne et le Royaume-Uni, et les autres. Cependant, il est nécessaire de renforcer la compétitivité-prix mais également de compléter cette politique par une stratégie de montée en gamme des produits.

L'impact du CICE en fonction du secteur d'activité présenté à l'automne 2012 constitue une description statique de la réalité. L'industrie représente environ 20 % du CICE pour 4 milliards d'euros. On constate des différences modérées de distribution des salaires par secteurs entre les différentes branches même si les secteurs des services aux particuliers et des services aux entreprises sont caractérisés par des rémunérations faibles. Il est donc difficile de faire un barème ciblé vers l'industrie.

Les coûts salariaux dans les services sont déterminants pour les prix de production dans l'industrie. Il ne faut pas cibler le CICE uniquement sur l'industrie car l'industrie consomme des services marchands à hauteur de la moitié de ses coûts de production. De surcroît, le coût unitaire des consommations intermédiaires de services dans l'industrie a augmenté plus fortement que celui du travail entre 1990 et 2012.

Enfin, le CICE versé au secteur protégé de la concurrence internationale peut bénéficier également à l'industrie directement ou via les consommations intermédiaires de services.

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