Intervention de Jean-François Ouvrard

Réunion du 26 juin 2014 à 10h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Jean-François Ouvrard, directeur des études de Coe-Rexecode :

Je tiens tout d'abord à préciser que Coe-Rexecode n'est pas seulement proche du Medef. C'est une association financée par un spectre large d'entreprises et de fédérations professionnelles.

Nous avons réalisé trois types de travaux sur le CICE. Ceux que vous avez évoqués ont effectivement un caractère fondateur. Coe-Rexecode a contribué de longue date au diagnostic sur la compétitivité et à la prise de conscience de l'enjeu qu'elle représentait. Je me permets de le rappeler parce que c'est un point important: l'objectif central du CICE est de contribuer à remédier à la dégradation de notre compétitivité.

Le premier constat de nos travaux a porté sur l'effondrement très important des parts de marché françaises. Le poids des exportations françaises sur l'ensemble des exportations de la zone euro est passé entre 2010 et 2013 de 17 à 12 %. Pour quelles raisons ? L'évolution des coûts a été défavorable, notamment par rapport à l'Allemagne. Le positionnement de la France en qualité est lui aussi défavorable par rapport à l'Allemagne et au Japon : les produits français ne sont pas assez haut de gamme. Les exportateurs, pris en tenaille entre la qualité « moyenne » de leurs produits et la concurrence sur les prix, ont dû comprimer les prix de vente et donc in fine leurs marges. Cette situation a limité la capacité des entreprises à investir ou à faire de la R&D pour monter en gamme. L'objectif du CICE est donc de casser cette spirale pour favoriser une montée en gamme des produits français et gagner en compétitivité.

Sur le CICE lui-même, nous avons, dès 2012, réalisé des chiffrages ex ante des impacts par secteurs. Nous mobilisons pour cela des distributions de salaires dans des exercices très similaires à ceux produits par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) à l'automne 2013. Nos conclusions sont évidemment et heureusement identiques : le CICE cible les secteurs dont les niveaux de salaires sont bas (entre 1 et 2,5 fois le SMIC) et, par conséquent, les secteurs industriels, dont le niveau de salaire est plus élevé, en bénéficient proportionnellement moins. On va assister à un allègement des charges particulièrement sensible dans les secteurs de la distribution et des transports par exemple, mais beaucoup moins dans le secteur de l'industrie. Il n'y a pas de débat sur ces résultats conformes avec ceux qui étaient déjà disponibles. Enfin, nous utilisons les variantes du modèle Mésange pour réfléchir aux mécanismes macroéconomiques.

Je vais aborder la question que vous m'avez posée sur l'impact du mode de financement choisi, en particulier sur le pouvoir d'achat des ménages et la consommation, avant de discuter des effets du CICE.

Il y a trois types de financement du CICE : la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la fiscalité écologique, et la réduction ou le freinage des dépenses publiques. La question du financement fait partie de la stratégie globale : les baisses de dépenses ou les hausses de TVA ne doivent pas être regardées de manière isolée. Sur la hausse de TVA, de nombreux rapports ont suggéré les bénéfices d'un basculement d'assiettes. Je n'y reviendrai pas : c'est un mode opératoire plutôt favorable. Sur la fiscalité écologique, nous sommes favorables au principe du signal-prix comme moyen optimal de réduire les émissions de CO2. Les travaux de la commission sur la contribution climat-énergie montraient la possibilité, en transférant une part de charges vers la fiscalité écologique, d'avoir des effets bénéfiques nonobstant les effets sur les consommations d'énergie. Sur la réduction de la dépense publique, il est indéniable que des marges de manoeuvre existent, mais il faut toujours garder à l'esprit l'objectif d'amélioration de la compétitivité française qui est au coeur du CICE. Quel sera l'impact des réductions de dépenses publiques sur la croissance ? Elles freineront certes l'activité à court terme. Mais il ne faut pas se laisser guider uniquement par des enjeux de court terme. Il est indéniable que la stratégie combinant une baisse de charges et une baisse de dépenses est facteur de croissance et d'emploi à moyen terme. Les modèles équivalents, dont les effets ont été globalement négatifs à court terme, montrent des effets largement positifs à plus long terme.

Cette réflexion m'amène à vos questions relatives à l'évaluation de l'impact du CICE en termes macro-économiques. Il est trop tôt pour avoir des éléments d'appréciation. Il est difficile au niveau macro-économique d'isoler un impact sûr du CICE. Le seul impact mesurable, c'est le coût du travail publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et le CICE a bien évidemment contribué à en freiner la progression. Sur les impacts macroéconomiques, on en est encore, à mon sens, au stade de l'évaluation ex ante et pour faire ces évaluations, on peut être tenté d'utiliser des modèles macroéconomiques comme le modèle Mésange de la Direction générale du Trésor ou le modèle NEMESIS. Mais il faut, je crois, être prudent sur l'utilisation des modèles macroéconomiques qui ne me paraissent pas du tout adaptés à l'évaluation du CICE, en particulier dans ses composantes ciblage, montée en gamme, compétitivité hors coûts, etc. Ce n'est d'ailleurs pas l'objectif initial de ces modèles. Leur utilité est plutôt d'examiner des chocs de type prix du pétrole ou taux de change ou des dynamiques de court terme. Ce sont des modèles quantitatifs qui décrivent très bien les mécanismes « keynésiens » passant par les chocs de revenu par exemple. Mais ils ne décrivent pas ou mal les modifications structurelles de l'économie dont le CICE est l'objet. Je crois qu'il ne faut pas inverser la charge de la preuve : d'abord le diagnostic sur la compétitivité et ensuite les modèles, et non l'inverse.

Quand on cherche à évaluer des politiques structurelles avec ce genre de modèle, on se heurte en effet à plusieurs types de difficultés qui jettent un doute sur la pertinence de l'exercice : ces modèles ne permettent pas de mesurer les effets de montée en gamme qui constituent l'objectif central du CICE. Les comportements d'exportation sont en effet uniquement décrits à partir de l'évolution de la demande adressée et de l'évolution des prix relatifs. Le « hors coût » n'est pas mesuré. De plus, globalement, ces modèles sont mal pensés pour montrer les effets des politiques d'offre et il est aussi difficile de trouver une relation entre l'investissement et les marges. Or ces questions sont essentielles.

Que peut-on dire néanmoins de l'impact du CICE ? Il y a trois canaux potentiels, mais on ne connaît pas la part respective de chacun d'eux :

– La hausse des marges : si les 20 milliards d'euros pour le CICE étaient dépensés en amélioration des marges pour les entreprises, cela représenterait environ 1,5 point de marge des branches marchandes, avec des effets lents sur l'investissement.

– La baisse de prix : 20 milliards d'euros correspondent à une baisse d'environ 0,6 point des prix de production et donc d'exportation. La baisse des prix est facteur d'amélioration de la compétitivité et a des effets favorables sur les exportations, mais aussi sur les parts de marché intérieur. L'impact est non négligeable, mais avec les élasticités habituelles, il n'est pas de nature à combler l'intégralité du déficit commercial, même s'il peut conduire à le réduire : un gain de 0,6 point d'exports entraîne une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 0,15.

– La hausse des salaires ou de l'emploi : 20 milliards d'euros correspondent à une hausse des rémunérations de 1,3 point, avec des effets potentiellement rapides sur la consommation, mais purement « keynésiens », qui disparaissent sur le long terme.

Les effets favorables, via les prix et les marges, sur la compétitivité à l'export et l'investissement sont plus lents mais durables, contrairement aux effets sur la consommation dont le caractère est transitoire.

Ceci m'amène à la question du ciblage. Selon moi, le ciblage du CICE est trop étroit. Les salaires dans l'industrie sont relativement élevés, et la limite de 2,5 SMIC risque de n'affecter le CICE à l'industrie que de manière partielle. Les services à haute valeur ajoutée, tels que le design et l'ingénierie, ont des salaires très élevés ; il me semble dommage, notamment sur l'exportation, de ne pas alléger le coût du travail de ce secteur. L'interconnexion des secteurs est fréquemment utilisée comme réponse à cette problématique. En effet, il est souvent dit que l'abaissement de charges pour les services peu qualifiés (de distribution, de ménage aux entreprises, de transport) se répercute sur les secteurs plus qualifiés et a donc, in fine, un effet bénéfique sur l'économie. Je suis d'accord avec ce raisonnement, tant au niveau théorique que pratique. Cependant, ce processus implique nécessairement des pertes en ligne. En soutenant des services peu concurrentiels, c'est la hausse des marges et non la baisse des prix qui est favorisée. Ainsi, l'effet indirect du crédit d'impôt sur l'industrie ne me semble pas être le plus efficace.

Pour conclure, j'aimerais revenir sur la comparaison du CICE avec un allègement de charges. Il me semble évident que le passage par un crédit est de nature à fragiliser la mesure, en ce que les crédits d'impôt sont plus facilement remis en cause. Or les entreprises ont besoin, lors de leurs décisions d'investissement, d'une vision de long terme. C'est donc au niveau de la pérennité du dispositif que le CICE est fragile. Il y a par ailleurs un souci de complexité, car le coût du travail demeure le même, et ce n'est qu'au niveau du compte d'exploitation que la somme du crédit d'impôt est récupérée ; or le bilan comptable, divisé en plusieurs parties, est souvent effectué par différentes personnes, ce qui peut minimiser les effets de la mesure.

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