Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 8 juillet 2014 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Il n'a échappé à la sagacité d'aucun d'entre vous qu'à l'issue de son examen par le Sénat, le projet de loi était légèrement différent de celui que le Gouvernement avait originellement présenté…

Aussi insisté-je sur la cohérence globale d'une réforme territoriale qui trouvera sa traduction dans plusieurs textes, dont certains ne seront pas législatifs, et qui repose sur quatre piliers.

Elle vise tout d'abord à donner au pays des régions fortes qui accompagneront de façon efficace leurs filières d'excellence et qui pourront décider des investissements de compétitivité structurants dont les territoires ont besoin pour se moderniser. Sur le terrain, il s'agira par exemple de poursuivre les coopérations interrégionales dans le cadre des pôles de compétitivité ou d'investir dans la transition énergétique, les transports de demain ou l'équipement numérique du territoire.

La réforme favorise ensuite la montée en puissance des intercommunalités dans un pays qui compte quasiment autant de communes que tous ses partenaires européens réunis. Dans ce but, Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la fonction publique, et M. André Vallini, secrétaire d'État chargé de la réforme territoriale, proposeront de fixer un nouveau seuil de population pour la création de l'intercommunalité.

À l'automne, un projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté par Mme Lebranchu et M. Vallini, clarifiera les compétences entre les collectivités territoriales, et traitera de leurs personnels et de leur management. L'organisation territoriale deviendra plus lisible aux yeux de nos concitoyens.

Enfin, la réforme territoriale vise à donner plus de pouvoir aux administrations déconcentrées de l'État. Pour qu'aucune ambiguïté ne subsiste, je précise qu'il ne s'agit nullement de « recentraliser » en confiant à des administrations déconcentrées des compétences qui relevaient jusqu'alors des collectivités territoriales. Nous souhaitons seulement mieux organiser l'administration déconcentrée de l'État et favoriser le transfert en sa faveur des pouvoirs de l'administration centrale. Dans ce cadre, les préfets doivent bénéficier de davantage de pouvoirs d'intervention et de plus de moyens pour organiser les services localement.

Comme un point d'orgue à la réforme, qui projette celle-ci au-delà du quinquennat en cours, il faut ajouter la possible suppression des conseils départementaux à l'horizon de 2020. Cette évolution suppose que soit stabilisée l'architecture que je viens de décrire, dans le cadre d'une large concertation.

Le Gouvernement a conscience que les territoires ruraux s'inquiètent d'un éventuel « décrochage ». La réforme territoriale ne saurait se traduire par un recul des services publics dans des territoires qui ont déjà un sentiment de relégation. Elle ne peut en aucun cas constituer une marche supplémentaire vers leur désertification.

Cette réforme cohérente n'est donc pas improvisée. Elle a sa logique, ses articulations et ses objectifs. Nous voulons des territoires plus forts et mieux organisés qui mutualisent leurs frais de fonctionnement.

Cette réforme est par ailleurs urgente. En mars 2009, le « comité Balladur » pour la réforme des collectivités territoriales, remettait au président de la République un rapport intitulé : Il est temps de décider. Cinq ans après, l'organisation territoriale n'a pas été sensiblement modifiée. Nous considérons en conséquence qu'il est véritablement temps d'agir, temps de décider. Le Gouvernement, conscient que nul n'est jamais assuré de détenir seul la vérité, a donc pris le risque de soumettre au débat des orientations afin que tous les acteurs puissent cheminer ensemble et qu'une réforme aboutisse.

La semaine dernière, le Sénat, saisi en première lecture, a choisi d'ôter du projet de loi deux de ses principales dispositions : l'article prévoyant le regroupement des régions ainsi que le tableau de conseillers régionaux s'y rattachant. Sur ces deux sujets, il appartient maintenant à l'Assemblée nationale de prendre ses responsabilités, en tenant compte de l'urgence qu'il y a à moderniser nos territoires et de l'impératif de mener le débat à son terme.

J'en viens au projet de loi tel qu'il avait été présenté en Conseil des ministres. Je me félicite de l'ambition affichée par certains d'entre vous de reconstruire un texte « défait » par le Sénat tout en améliorant la version proposée par le Gouvernement. Cette dernière proposait de regrouper quinze de nos régions actuelles pour créer six nouvelles régions au périmètre élargi. Sept autres régions, disposant déjà d'une population nombreuse, demeuraient inchangées. Il en allait de même pour un certain nombre de collectivités en raison de leur spécificité, notamment la Corse. Pour des raisons géographiques évidentes, ce processus de regroupement ne s'appliquait pas aux régions ultramarines.

Au terme de ce processus, la France compterait donc quatorze régions métropolitaines. Ce chiffre est proche des recommandations du comité Balladur, qui appelait de ses voeux la création de quinze régions. Il est plus élevé que celui proposé dans le rapport d'information présenté en octobre 2013 au Sénat par M. Yves Krattinger à l'issue des travaux d'une mission d'information commune présidée par M. Jean-Pierre Raffarin, qui préconisait de revenir à une dizaine de régions. En réduisant leur nombre à quatorze, le Gouvernement a naturellement été amené à proposer une nouvelle carte des régions de France. Cette carte a particulièrement retenu l'attention des commentateurs et frappé l'imagination des Français. Je voudrais pourtant que nous l'examinions et, le cas échéant, que nous l'amendions, en conservant une certaine distance critique.

Nous savons tous en effet qu'il n'existe pas de carte idéale. Comme l'observait Fernand Braudel : « Nous ne sommes pas seulement de telle province, préférée dans notre coeur à toutes les autres, mais de telle région précise de cette province-là. » C'est pourquoi, à grande échelle, il n'existe pas de carte qui soit économiquement efficace tout en respectant les contours des fleuves et des vallées, les frontières linguistiques, l'unité des paysages, les formes de l'habitat, les voies de circulation, sans même parler de la préférence des coeurs. Croyez bien que nous nous serions empressés de vous proposer un tel découpage ! Le Gouvernement ne fait preuve d'aucune perversité ; il souhaite sincèrement que nous aboutissions ensemble à un compromis autour des propositions les plus pertinentes possibles. Il existe autant de cartes que de regards portés à partir de considérations locales. Ces regards ne sont d'ailleurs pas sans intérêt, car c'est dans le croisement et la multiplicité des points de vue que réside l'équilibre que nous recherchons.

Notre objectif n'est pas de créer des régions identitaires, comme peuvent l'être la Catalogne en Espagne, le Piémont en Italie, ou la Bavière en Allemagne, mais des régions économiques à la fois puissantes et respectueuses des identités locales. Je n'en comprends pas moins certaines réactions d'attachement aux circonscriptions régionales actuelles, soit parce qu'elles recoupent d'anciennes provinces, comme la Bretagne, l'Alsace ou la Franche-Comté, soit parce que, plus généralement, trente années de régionalisation ont fini par faire émerger une vraie culture régionale à laquelle les élus et les citoyens sont attachés et à laquelle ils craignent de devoir renoncer à l'occasion d'un regroupement.

Au Sénat, plusieurs amendements ont convergé, dans des rédactions et selon des modalités différentes, vers un objectif commun : déverrouiller le droit d'option pour les départements. Ces assouplissements, qui permettraient à un département de se rattacher à une région autre que sa région d'origine, peuvent être regardés avec intérêt dès lors, bien entendu, qu'une carte aura été adoptée. Il n'aurait en effet pas de sens d'ouvrir un droit d'option sans carte. Afin de garantir qu'une modification des limites régionales fait l'objet d'un consensus, il sera nécessaire que ce projet obtienne l'adhésion, à une majorité des trois cinquièmes des suffrages, du conseil général du département en question, ainsi que des deux conseils régionaux des régions concernées.

Notre objectif de regroupement de régions répond à une préoccupation ancienne. Il y a plus de cinquante ans, la création des vingt et une « régions de programme » traduisait déjà la volonté de définir un espace pertinent, plus vaste que le département, pour organiser le développement économique du pays dans le contexte des « Trente Glorieuses ». Le général de Gaulle pouvait ainsi déclarer à Lyon en 1968 : « L'effort multiséculaire de centralisation du pays, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain. » Or certaines de ces régions sont à leur tour devenues aujourd'hui trop étroites pour rivaliser avec leurs concurrentes européennes.

Rappelons que la population moyenne des Länder allemands est ainsi de 5,1 millions d'habitants, et celle des régions italiennes, hors régions à statut spécial, de 4,4 millions d'habitants. Quant à l'Espagne, elle compte quatre communautés autonomes de plus de 4 millions d'habitants. Il faut comparer ces chiffres à la population moyenne des régions françaises qui s'élève, hors Île-de-France, à 2,6 millions d'habitants.

Notre réforme diminuera par ailleurs considérablement les disparités démographiques entre régions. Aujourd'hui, la plus peuplée, hors Île-de-France, rassemble aujourd'hui neuf fois plus d'habitants que la moins peuplée – et ce rapport est de un à seize en tenant compte de l'Île-de-France. Demain, après la réforme, ce rapport de population sera ramené de un à trois sans tenir compte de l'Île-de-France, de un à quatre en l'incluant.

L'article 1er du projet de loi qui proposait une nouvelle carte des régions a été supprimé par le Sénat. Nous souhaitons que l'Assemblée nationale rétablisse une carte qui soit la plus proche possible de celle retenue par le Gouvernement. Le tableau relatif à l'effectif des conseils régionaux – qui pouvaient compter au maximum 150 conseillers – a également été supprimé. Le Gouvernement se montrera ouvert si des amendements proposent de dépasser ce plafond. Nous nous sommes opposés au passage d'un à cinq du nombre garanti de représentants des plus petites sections départementales des grandes régions car l'amendement sénatorial déposé en ce sens à l'article 7 ne respectait pas les règles constitutionnelles. Nous sommes toutefois favorables à une évolution de cette disposition.

Nous souhaitons que vous puissiez faire prévaloir vos points de vue. Nous posons comme seules limites que vous n'alliez pas au-delà du nombre de régions prévues dans le texte initial, et que l'éventuel droit d'option ne s'ouvre qu'au terme d'une période probatoire et dans les conditions que je vous ai indiquées.

Certaines dispositions de l'article 12 qui pourraient paraître marginales permettaient de régler des problèmes en suspens comme la fin du mandat des conseillers généraux de l'agglomération de la métropole lyonnaise après qu'une répartition des compétences est intervenue entre cette dernière et le département. Une disposition de cet article tirait par ailleurs les conséquences de la décision du 16 mai 2013 du Conseil constitutionnel relative au projet de loi instituant le scrutin binominal. Il était prévu d'attendre, en cas de vacance résultant par exemple de la démission d'un conseiller départemental, que le deuxième conseiller départemental du même canton démissionne pour organiser une élection partielle binominale. Le Conseil constitutionnel avait jugé ce dispositif contraire au principe de bonne administration des collectivités territoriales. L'article 9 prévoit donc que des élections partielles seraient organisées. Le Gouvernement considère que l'objectif de parité inscrit dans la Constitution n'implique pas que, dans le cas d'une élection partielle, des considérations liées au sexe du candidat puissent interdire à un homme ou à une femme de se présenter dans un canton.

Notre pays attend une réforme des territoires. Nous avons décidé de l'engager de façon globale dans un esprit de dialogue, de compromis et, si possible, de consensus, tout en tenant compte des urgences du temps, notamment celle, pour les collectivités locales, de s'organiser pour investir et soutenir l'économie de leurs territoires, comme cela se pratique ailleurs en Europe.

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