Monsieur Gaymard, à mon humble avis, deux raisons majeures expliquent notre difficulté à adopter des réformes institutionnelles, notamment territoriales, en France. La première est que nous sommes incapables de parvenir à un compromis transcendant les clivages politiques traditionnels pour adopter une bonne réforme dont la France a besoin, par delà ce que nous pouvons penser les uns et les autres. La deuxième est la bipolarité qui caractérise la vie politique française : quand on n'exerce pas la responsabilité du pouvoir, on tape sur la tête de ceux qui l'exercent quoi qu'ils proposent, y compris quand ils s'inspirent de ses propres idées. D'autres comportements seraient nécessaires pour surmonter la crise que nous traversons.
Il faut, dites-vous, monsieur Gaymard, veiller à ce que la réforme n'accroisse pas les fractures territoriales et ne crée pas davantage d'éloignement là où nous avons besoin de proximité. Vous avez évoqué la question du nombre des élus, des départements ruraux et de montagne qui peuvent vivre cette fracture comme une relégation. Vous avez raison de vous poser ces questions, auxquelles le Gouvernement essaie d'apporter des réponses.
Concernant les départements, nous avons décidé d'engager une réforme qui a sa cohérence : elle consiste à créer de grandes régions pour les raisons économiques que je viens d'indiquer. Si elle n'est pas tout, la taille est l'un des sujets à traiter pour permettre des politiques pertinentes d'accompagnement des filières. Nous voulons des intercommunalités puissantes, notamment en milieu rural, précisément par souci de proximité. Comme Marie-Françoise Bechtel l'a indiqué, l'existence d'intercommunalités n'implique pas la disparition des communes en milieu rural, pas plus qu'elle n'annihile la capacité de ces dernières à développer des politiques publiques et à assurer la proximité des élus.
Sur les territoires ruraux où des intercommunalités se constituent, nous créons des occasions de mutualisation qui contribuent à dégager, sur les coûts de fonctionnement, les économies dont nous avons besoin compte tenu de la situation financière du pays. Nous créons, grâce au développement de ces intercommunalités et aux économies permises par la mutualisation, les conditions du développement de politiques publiques tout en garantissant la proximité dont vous parlez.
Les départements dont l'administration et l'assemblée délibérative sont situées dans le chef-lieu assureraient-elles la proximité alors que les intercommunalités, plus proches des communes et des populations, ne le pourraient pas ? Ce raisonnement n'a pas de sens. Certaines compétences exercées par les départements pourraient être transférées aux intercommunalités, notamment dans le domaine social qui exige la proximité, sans que l'efficacité de l'action publique s'en trouve obérée. Si l'on raisonne comme si les choses étaient figées à tout jamais, comme si rien ne pouvait évoluer, comme si aucune compétence ne pouvait redistribuée pour améliorer l'efficacité et la proximité, alors il ne faut pas faire de réforme.
Nous avons trois ans pour faire cette réforme et nous avons raison de prévoir ce délai parce que, quand je vous entends, je ne suis pas sûr que vous la feriez si nous devions quitter le pouvoir. Nous avons trois ans devant nous, et nous voulons faire cette réforme dont j'ai rappelé la cohérence globale. La proximité peut passer par le développement de l'intercommunalité ou par de nouveaux instruments d'organisation territoriale, que nous avons six ans pour inventer ensemble puisque l'existence des conseils départementaux n'est pas remise en cause avant 2020. Nous attendrons que la réforme que nous engageons soit stabilisée pour y apporter son point d'orgue. Ces six années de débats, de réflexion collective, démocratique et parlementaire, doivent nous permettre de trouver une bonne organisation, qui concilie proximité et efficacité. Le Parlement aura un rôle éminent à jouer. Vous ne pouvez pas dire à la fois que nous n'avons pas le temps de débattre et que six ans, c'est trop long. La proximité et l'efficacité sont donc conciliables, et notre volonté de les concilier explique le calendrier retenu.
Je veux aussi apporter des précisions sur l'administration déconcentrée de l'État, qui suscite deux inquiétudes, si j'en juge par les interventions : la déconcentration ne cache-t-elle pas une recentralisation ? Ne va-t-elle pas conduire à faire exercer au niveau régional, autour du chef-lieu de la nouvelle région, des missions jusqu'alors confiées au département ?
Nous souhaitons que l'administration déconcentrée régionale traite essentiellement des fonctions « régaliennes » de la région recomposée. Nous voulons que la région récupère les compétences infrarégionales en matière d'aménagement du territoire et de développement économique, pour parachever la loi du 13 août 2004. Loin d'être une rupture, c'est un aboutissement, une consolidation. Nous proposons que l'État déconcentré régional ait les compétences économique et d'aménagement du territoire, et que, par ailleurs, il y ait de grandes plateformes administratives mutualisées. Lorsque nous créons des plateformes interdépartementales de naturalisation, nous redéployons des emplois, nous mutualisons et nous développons des marges de manoeuvre pour créer des emplois dans l'administration de proximité au plan départemental.
En ce qui concerne l'administration déconcentrée départementale, nous voulons donner plus de pouvoir aux préfets de département dans le domaine interministériel, en matière de nominations et de gestion budgétaire, afin qu'ils puissent, étant en grande proximité avec les élus, mieux répondre aux attentes des collectivités locales et des territoires. Cela vaut aussi en matière d'ingénierie territoriale, dont les communes et intercommunalité auront besoin pour développer leurs projets. Sans ce caractère interministériel de l'administration déconcentrée de l'État, nous aurons de plus en plus d'apories.
Quant à la localisation des chefs-lieux des régions issues de la fusion des régions actuelles, elle ne sera nullement déterminée par arrêté ministériel, mais par les élus du territoire concerné, dans le cadre d'un débat qui sera ouvert une fois la loi promulguée. Si un chef-lieu n'est pas établi au terme de cette consultation, il reviendra effectivement au Gouvernement de faire ce choix par voie réglementaire, mais c'est un choix qui devra être entériné par l'assemblée délibérante de la collectivité, une fois qu'elle aura été élue. Nous ne faisons donc aucunement preuve de jacobinisme ni d'autoritarisme. Les territoires pourront aussi décider de l'articulation entre l'administration régionale et l'administration déconcentrée de l'État, afin de créer des équilibres territoriaux. Car si certaines capitales administratives et économiques vont de soi, elles ne se superposent pas nécessairement. En revanche, la loi interdit de faire siéger l'assemblée délibérante d'une région dans une ville différente de la préfecture de région, cette dernière devant pouvoir exercer son contrôle de légalité dans des conditions satisfaisantes.
J'aborderai, pour terminer, la question des économies. Lorsque j'étais ministre du Budget, l'opposition me reprochait de ne faire que 50 milliards d'euros d'économies au lieu de 100 milliards. Et, bien qu'elle préconise d'y parvenir par des réformes structurelles, elle estime que celles que nous appliquons ne sont jamais les bonnes, pour mieux nous reprocher ensuite de ne pas en faire ! Mais, contrairement à ce qu'elle affirme, la réforme structurelle que nous proposons nous permettra de réaliser des économies significatives. En fusionnant les régions, nous mutualiserons leurs directions des ressources humaines et leurs directions financières. M. Philippe Gosselin, qui évoquait tout à l'heure les fusions de communes, sait parfaitement que la seule fusion importante qui ait eu lieu dans le département de la Manche est celle de Cherbourg-Octeville en 2000. En y rassemblant toutes les fonctions « support », nous y avons réalisé 25 % d'économies de fonctionnement en dix ans.